Quel avenir pour la RTBF ?

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A l’heure de la télé connectée à Internet et d’une concurrence mondialisée, a-t-on encore vraiment besoin, en Belgique, d’une entreprise audiovisuelle de service public ? “Plus que jamais !”, répond énergiquement Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF. Immersion dans les nouveaux défis de la Cité Reyers, un paquebot soumis à la diète et aux bourrasques de la révolution digitale.

Un casse-tête financier doublé d’une situation ubuesque. Voilà, en quelques mots, l’équation qui occupe actuellement Jean-Paul Philippot, l’administrateur général de la RTBF. Car pour le nouveau contrat de gestion RTBéen qui couvre les années 2013 à 2017, le manager, qui entame sa 12e à la tête de la Cité Reyers, n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Même si la dotation de la RTBF n’a presque jamais cessé d’augmenter depuis la nomination du grand patron, l’homme espérait malgré tout 8 millions d’euros de plus par rapport aux 208,5 millions obtenus en 2012 pour mener à bien ses objectifs. Or, il n’a reçu “que” 1,5 million supplémentaire, une somme malgré tout bienvenue dans un contexte de restriction budgétaire à la Fédération Wallonie-Bruxelles et qui est toutefois “compensée” par une autorisation de déficit de 6,5 millions pour l’exercice 2013.

Mais ce qui rend Jean-Paul Philippot particulièrement amer, c’est qu’il s’est vu délester d’un revenu potentiel de deux millions d’euros annuels avec l’interdiction, dans ce nouveau contrat de gestion, de recourir à tout placement de produits dans les émissions dites de flux (comme The Voice ou Sans Chichis) à partir du 1er juillet 2013. Une décision absurde — puisque cette pratique publicitaire moins agressive que la pub classique ne coûte rien à la collectivité et rapporte de l’argent à l’entreprise — et qui est le fruit, selon nos sources, d’une obsession quasi dogmatique du ministre de la Fonction publique Jean-Marc Nollet (Ecolo) lors des négociations inter-cabinets pour la finalisation du contrat de gestion. Et comme chaque parti a dû mettre un peu d’eau dans son vin au moment de la signature, le placement de produits est étonnamment passé à la trappe…

Si pour la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel, Fadila Laanan, le nouveau contrat de gestion de la RTBF reste “un document créatif, plein de perspectives positives et innovantes, mais réaliste dans le cadre de la réalité budgétaire actuelle”, il n’en demeure pas moins que la pilule passe relativement mal chez l’administrateur général. “Cela fait plus de 10 ans que l’on court après notre insuffisance de recettes, constate Jean-Paul Philippot.

Pendant cette période, l’entreprise a collectivement démontré qu’elle était capable de se réorganiser en augmentant de façon substantielle sa productivité et en réalisant concrètement des économies structurelles, un mot qui a toute son importance quand on parle de budget public. Mais quand je ne reçois pas les moyens minima et nécessaires, je me demande si le monde politique considère encore la culture comme un élément de promotion de son projet de société au sens large et si l’orthodoxie et la rigueur de gestion sont in fine récompensées ou quelque part un peu pénalisées”. Dont acte.

Un plan d’économies en trois axes
Résultat des courses : la RTBF est confrontée à un sérieux problème financier qui va se traduire par un plan d’économies en trois axes. Le premier est le plus sensible puisqu’il touche à la masse salariale de l’entreprise. Certes, aucun licenciement sec ni aucune baisse de salaires ne sont annoncés, mais comme la ministre Fadila Laanan l’a déclaré au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, “un plan de départ anticipé à la retraite sera proposé” au personnel de la RTBF et “le remplacement des départs se calquera désormais sur celui du Ministère, c’est-à-dire le remplacement d’un départ sur trois”. Ce qui, au sein du service public, fait grincer des dents puisqu’en l’espace de 10 ans, la RTBF a déjà perdu un cinquième de son personnel, passant ainsi de 2.565 salariés en 2002 à 2.070 en 2012.

Si cette nouvelle compression de la masse salariale fait l’objet d’une négociation avec les syndicats sur la base du volontariat, il se chuchote dans les couloirs de la Cité Reyers que le nombre d’employés devrait passer sous la barre symbolique des 2.000 salariés à l’horizon 2014 et que, dès lors, des efforts de productivité supplémentaire pourraient encore être demandés à tout un chacun. Ce qui risque, évidemment, de tendre l’atmosphère dans les mois à venir…

Deuxième et troisième axes des mesures envisagées pour résoudre l’équation financière de la “nouvelle RTBF” : des économies sur les programmes et sur les frais de fonctionnement généraux de l’entreprise, d’une part, et la recherche de nouveaux revenus — surtout dans des activités de vente de contenus — d’autre part. Dans cette logique, la direction de l’entreprise montre d’ores et déjà l’exemple en diminuant de 10 % ses propres frais de fonctionnement, mais c’est dans la valorisation d’actifs que la RTBF pourrait aussi pallier certains impératifs.

“Ces 10 dernières années, nous avons investi dans la modernisation et la numérisation de l’outil de production, et nous avons réorganisé un parc immobilier qui était hétérogène et incohérent, commente Jean-Paul Philippot. Mais ce n’est pas fini, il reste Reyers qui est le centre mou. Si nous voulons rénover ce site, ce qui est une nécessité, nous allons devoir faire une opération neutre dans la consolidation. Plusieurs formules sont à l’étude et une décision devrait tomber avant la fin du troisième trimestre.”

En coulisse, certains parlent de la vente de terrains, voire même de quel- ques pylônes émetteurs appartenant à la RTBF, tandis que d’autres évoquent la piste de la location de bâtiments du site de Reyers à une société privée en échange d’une rénovation des lieux. Deux scénarios plausibles et même complémentaires qui pourraient mettre un peu de beurre dans les épinards amers des comptes de la radio-télévision publique.

Mais c’est surtout sur la commercialisation des contenus propres de la RTBF que la direction mise beaucoup. Si la série A tort ou à raison et l’émission Sans Chichis ont déjà été vendues aux chaînes étrangères France 3 et Vivolta, c’est au tour du talk-show On n’est pas des pigeons de recevoir aujourd’hui les honneurs d’une autre chaîne de l’Hexagone puisque France 4 vient d’en acheter le concept et qu’une partie de l’adaptation du programme à la sauce française pourrait même être tournée dans les studios de la RTBF.

C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit conquérant qu’un nouveau projet de série belge est aujourd’hui sur le plan de travail de la télévision de service public. “Aujourd’hui, la plupart des grilles de chaînes de télévision sont alimentées par des programmes achetés, explique François Tron, directeur des antennes TV de la RTBF. Et ce sont les fictions américaines qui dominent sur les chaînes européennes. Or, le marché évolue et bientôt des acteurs comme Facebook ou Netflix pourraient distribuer ces séries en priorité. Quelle valeur auront-elles dès lors sur nos chaînes européennes ? La question est fondamentale. D’où la nécessité pour la RTBF de se focaliser sur la production propre. C’est une bataille que je défends avec conviction car c’est non seulement une garantie d’indépendance culturelle, mais aussi une garantie d’indépendance économique.”

Dans ce nouveau paysage médiatique où la télévision devient connectée à Internet et où la concurrence se mondialise via des plateformes offrant du contenu gratuit en streaming, la question de la pertinence d’une entreprise audiovisuelle de service public sur l’espace restreint de la Fédération Wallonie-Bruxelles mérite clairement d’être posée. Autrement dit, à quoi peut ou doit encore servir l’argent du contribuable dans ce décor ? “Dans ce monde-là, global et convergent, si l’on considère l’espace Wallonie-Bruxelles comme un espace géographique, social, culturel, patrimonial et identitaire, si cet espace a des talents et si nous ne les valorisons pas, la probabilité que, demain, plus personne ne le fasse est très grande, enchaîne Jean-Paul Philippot. Nous ne sommes pas les derniers Mohicans, mais on ne peut pas considérer la diversité comme une richesse et se dire ‘demain, plus personne n’en parlera’. Nous avons ce rôle. Et notre valeur ajoutée se situe donc de manière significative dans la production propre et dans la valorisation des identités de Wallonie-Bruxelles.”

Et l’administrateur général d’ajouter qu’il est criant de voir qu’en Flandre et dans tous les autres pays européens, la production locale est forte et que le genre télévisuel le plus répandu est la série. Certes, la RTBF est encore à la traîne, mais ce n’est visiblement pas une fatalité. Voilà pourquoi elle investira dans une série locale à hauteur de 5 à 6 millions d’euros via des fonds provenant de diverses origines, avec une place ouverte pour les investisseurs privés. “Cela fait partie d’une stratégie plus large qui nous anime et qui est un fil conducteur depuis une dizaine d’années : moderniser nos outils, en améliorer l’efficience de manière à maintenir et même à augmenter les volumes de production, conclut Jean-Paul Philippot. Aujourd’hui, nous sommes dans un espace ouvert de concurrence de plus en plus large. Notre avantage distinctif ne s’exprimera que par les contenus dont nous sommes les propriétaires et aussi dans les contenus live où l’on sera dans l’interactivité et l’osmose avec le téléspectateur, rendues possibles par les outils numériques qui sont une opportunité et un vrai défi pour nous.”

Miser sur le digital
Confrontée au pari de faire davantage de production propre avec un budget plus serré, mais aussi au défi de réussir la migration numérique de son outil radiophonique (lire l’encadré ci-dessous), la RTBF doit également, dans le même temps, assurer la plus large diffusion de ses contenus sur différentes plateformes. Qu’il s’agisse d’ordinateurs classiques, de smartphones ou de tablettes, la présence de la radio-télévision de service public sur Internet et sur les réseaux sociaux fait évidemment partie des priorités.

Directeur des médias et services interactifs de la RTBF, Fabrice Massin veille sur un département qui n’existait pas lorsqu’il est arrivé au boulevard Reyers il y a quatre ans à peine et qui compte aujourd’hui une bonne trentaine de personnes. Son principal objectif ? “Faire en sorte que la marque RTBF soit disponible partout et tout le temps”, explique-t-il, en réussissant notamment le virage du second screen et des réseaux sociaux. Sa mission d’évangélisation interactive semble avoir porté ses fruits puisque 160 pages d’émissions ou de thématiques estampillées RTBF sont désormais répertoriées sur Facebook, rassemblant plus de 740.000 fans cumulés. Et c’est le programme de télé-crochet The Voice qui remporte la palme de la sympathie digitale avec plus de 82.000 fans facebookiens pour la version belge et une grosse douzaine de milliers de tweets échangés lors de chaque émission. Un programme qui a surtout donné un sacré coup de fouet et de jeune au média télé de la RTBF, ce qui est toujours précieux en termes de séduction publicitaire.

“The Voice a fortement contribué au rajeunissement de la chaîne, tranche Yves Gérard, directeur général de la RMB, la régie publicitaire de la RTBF qui apporte près de 55 millions de recettes au service public. L’émission a révolutionné l’approche télévisuelle en y mêlant les outils numériques et elle installe aujourd’hui le modèle exemplaire de ce que peut et doit faire la télévision dans un avenir proche. Avec ce rajeunissement de l’audience, la RTBF améliore nettement sa position sur le marché publicitaire, d’autant plus que les annonceurs cherchent de nouvelles voies et qu’il y a aujourd’hui cet engouement très fort pour les médias digitaux et les réseaux sociaux. Certes, la crise est là et les budgets sont en recul (Ndlr, – 0,5 % pour la télévision en 2012 selon MDB/Mediaxim), mais on peut espérer que la RTBF entre néanmoins dans une phase relativement stable en termes d’investissements publicitaires puisqu’elle performe mieux aux yeux des annonceurs.”

Voilà qui devrait mettre un peu de baume au coeur de Jean-Paul Philippot, dont les défis sont conséquents en cette fin de deuxième mandat de six ans à la tête de la RTBF. Si la mission de l’administrateur général (53 ans) se termine en février 2014, la rumeur d’un départ précipité a toutefois été évoquée dans les couloirs du paquebot Reyers. La faute au budget du nouveau contrat de gestion raboté par le pouvoir politique et qui a fortement déçu le manager ? En tout cas, l’intéressé refuse de s’exprimer pour l’instant sur son avenir personnel et a fortiori sur une éventuelle candidature à sa propre succession. “N’injurions pas l’avenir, ne parlons pas pour lui, lâche Jean-Paul Philippot. Je ferai le point à titre personnel et avec mon conseil d’administration dans le courant de l’hiver 2013”. Il est vrai que l’homme a, d’ici là, plusieurs fers au feu…

Radio 2.0

De tous les défis stratégiques qui animent la RTBF actuellement, le dossier de la radio numérique est probablement le plus excitant puisqu’il s’agit ni plus ni moins de réussir la migration numérique du transistor de papa. “Les audiences de la radio traditionnelle s’érodent, constate Francis Goffin, directeur général des radios de la RTBF. La branche analogique commence à plier et si nous ne faisons rien, nous prenons le risque de voir une évolution positive au profit de nouveaux acteurs. Il faut pouvoir répondre en étant davantage interactifs et en passant par une offre plus diversifiée. Dans ce cheminement, la migration numérique représente une formidable opportunité pour mieux rencontrer nos publics, puisqu’elle nous permet d’avoir plus de radios et surtout d’enrichir nos contenus en entrant dans un monde multimédia.”

Concrètement, c’est à l’horizon 2015 que la RTBF entrera de plein pied dans le monde de la RNT — la Radio numérique terrestre — et qu’elle offrira à l’auditeur une meilleure qualité de son, mais surtout du contenu radiophonique enrichi de textes, d’images, de vidéos et donc d’interactivité via l’écran du récepteur, quel qu’il soit.

En attendant, la RTBF planche déjà sur le projet d’une nouvelle plateforme belge de promotion de la radio numérique — momentanément baptisée maradio.be — également soutenue par les stations concurrentes (Bel RTL, Radio Contact, Nostalgie,…) et dont l’objectif est d’être un radioplayer unique pour toutes les radios belges francophones à l’horizon 2014. Sur ce portail, l’auditeur pourrait, entre autres, écouter un contenu particulier en tapant un mot clé dans “cette espèce de Google de la radio francophone belge”, comme la définit Francis Goffin.

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