Comment Keytrade se repositionne
Sur un créneau des services financiers à distance où la concurrence ne cesse de s’intensifier, la célèbre banque en ligne dépoussière son identité visuelle et joue sa carte dans les fonds d’investissement.
Patron de Keytrade Bank, Thierry Ternier peut avoir le sourire. Les résultats enregistrés en 2013 par la banque en ligne dont il assure la gestion au quotidien ont de quoi faire des envieux.
Au cours de l’année écoulée, l’enseigne online a réussi à attirer plus de 14.000 nouveaux clients. Une progression appréciable (+ 8 %) qui a permis à Keytrade de franchir la barre des 180.000 fidèles. Dans le même temps, les avoirs de la clientèle ont progressé de 20 % pour s’établir à 7,3 milliards d’euros (dont 2,5 milliards de dépôts). Résultat des courses : le bénéfice engrangé au cours de cet exercice 2013 s’élève à 15,6 millions d’euros (contre 16,9 millions en 2012). Quant à la rentabilité sur fonds propres, elle se monte à… 17 % !
Environnement difficile
Ces résultats, Thierry Ternier n’hésite pas à les qualifier de très bons. Surtout, nous explique- t-il, si on tient compte du contexte peu favorable dans lequel la banque a évolué l’an dernier. “Malgré une conjoncture qui est restée difficile, 2013 a été une très bonne année tant sur le plan commercial que financier. Continuant de mettre les marges sous pression, les taux n’ont jamais été aussi bas. L’activité de courtage en ligne subit toujours les séismes de la crise. Par ailleurs, la concurrence n’a jamais été aussi importante. Et puis, Keytrade a fait l’objet de prélèvements sociaux et fiscaux qui s’élèvent à plus de la moitié de son résultat opérationnel.”
Mais malgré tout cela, poursuit Thierry Ternier, “nous sommes arrivés à dégager un bénéfice appréciable et une rentabilité à deux chiffres. Rares sont les acteurs du courtage en ligne qui peuvent en dire autant. Tous sont confrontés depuis maintenant cinq ans à ce double effet de la diminution des revenus et de l’augmentation des coûts.” Selon lui, la rentabilité du secteur serait inférieure à 5 % et même négative chez certains acteurs.
Encore dans le vert
Cette rentabilité atypique dans un secteur bancaire toujours sous pression, Keytrade la doit à son modèle de banque purement électronique faisant la part belle à une infrastructure légère (une seule agence) et donc peu coûteuse, lui permettant de proposer frais réduits et taux élevés. Et cela, pour le consommateur de services bancaires au quotidien comme pour l’investisseur qui achète et vend des actions en ligne. “Keytrade développe un modèle de banque online qui a prouvé toute sa résistance en traversant la crise économique et financière sans encombre, plaide le CEO. Contrairement à d’autres institutions financières belges, Keytrade n’a pas dû faire appel aux pouvoirs publics pour être renflouée. Certes, nous avons connu des années plus difficiles, mais nous n’avons jamais eu de gros problèmes. Depuis sa création en 1998, Keytrade n’a jamais été en perte. En 15 années d’existence, nous sommes toujours restés dans le vert.” Et Thierry Ternier d’insister : “Keytrade est une banque saine qui ne procède pas à des activités spéculatives, ni avec ses propres fonds, ni avec les fonds de ses clients. Elle est très solvable et sa liquidité est excellente.” Fin 2013, le noyau dur de ses fonds propres s’élevait à 79,7 millions d’euros. Soit un ratio (tier one) de 15,36 %.
De plus en plus digitale
Au-delà de cet argument de la sécurité censée rassurer les épargnants à la recherche de diversification pour leurs avoirs, Keytrade entend surtout convaincre les clients qu’elle peut également être leur banque principale, et pas seulement pour y passer des ordres de Bourse. “Nous continuons à investir dans ce sens. Nos dépenses marketing sont loin d’être négligeables.” Six millions d’euros l’an dernier, contre 4 millions en 2012 (soit un bond de 50 %).
Plusieurs projets innovants ont vu le jour dernièrement. “Fin 2012, nous avons lancé la première application iPad en Belgique, qui réunit tant le trading que le banking, situe Thierry Ternier. L’an dernier, cette application mobile a été déclinée sur les tablettes fonctionnant avec le système Androïd, ainsi que sur la plupart des smartphones.”
Fin décembre 2013, c’est Key Pack qui a été lancé : une formule avantageuse pour gérer ses opérations courantes (carte de débit gratuite, carte Visa gratuite, etc.), allant jusqu’à offrir 5 centimes par opération effectuée sur le compte courant. En quelques semaines, près de 8.000 personnes se sont empressées de devenir clients. Quant au lancement d’éventuels services en ligne de gestion de fortune, “c’est à l’agenda”, se borne à indiquer Thierry Ternier.
Concurrence accrue
On l’aura compris : qui n’avance pas recule. Car depuis sa naissance en 1998, Keytrade n’est plus le seul joueur sur ce créneau du trading online. Loin de là. Plus de 15 banques et courtiers en ligne se partagent les transactions des Belges qui investissent directement en Bourse. Sont notamment apparus sur le marché des concurrents directs venus de l’étranger comme le français Fortuneo ou le néerlandais Binck Bank. Ce dernier jouant notamment la carte des “prix cassés”.
Au cours des dernières années, l’offre s’est également étoffée sur le terrain des produits bancaires online. Ont débarqué chez nous une série de petites banques internet venues d’ailleurs et désireuses de capter des liquidités en jouant la carte de l’épargne en ligne mieux rémunérée (Evi, NIBC Direct, MoneyYou, etc.) ou du conseil patrimonial à distance (MeDirect). Sans oublier bien sûr les grands réseaux bancaires qui ont tous développé en la matière une offre online, et maintenant mobile (Hello bank ! chez BNP Paribas Fortis, par exemple).
Miser sur les fonds
Ce qui distingue dès lors encore Keytrade ? Outre ses différentes implantations à l’étranger (Luxembourg, Suisse et Pays-Bas), “c’est d’abord sa notoriété, plaide Thierry Ternier. La moitié des nouveaux clients arrivent chez nous par le bouche-à-oreille. C’est ensuite notre offre en matière d’opérations courantes que d’autres ne proposent pas. C’est enfin la possibilité pour nos clients d’investir dans des solutions à mi-chemin entre la Bourse et l’épargne, à savoir les fonds d’investissement.” Un créneau sur lequel la banque entend d’ailleurs se développer davantage pour y devenir un vrai challenger face à des acteurs plus établis. Actuellement, elle commercialise environ 600 fonds. Les avoirs de la clientèle investis dans ce type de produits représentent quelques 600 millions d’euros. Mais ce marché de la distribution de fonds pèse globalement en Belgique 130 milliards d’euros, évalue Thierry Ternier. Sans compter les 250 milliards d’euros qui dorment sur les livrets. “C’est dire si le potentiel est énorme !” Aussi en termes de commissions pour Keytrade…
A vendre ou pas ?
On s’en voudrait pour terminer de ne pas parler de l’avenir de l’entreprise au sein de la banque Crelan (ex-Crédit Agricole), dont Keytrade est une filiale à 100 %. Voici trois ans, des rumeurs ont circulé quant à une éventuelle revente. La page est-elle définitivement tournée ? Keytrade se plaît-elle toujours autant au sein de Crelan ? “Il se fait simplement que nous avons à l’époque été approchés par la plupart des grands acteurs européens du marché pour nouer une alliance dans le monde digital, confie Thierry Ternier, en guise de conclusion. Nous les avons reçus et écoutés. Mais notre actionnaire n’a jamais mandaté la moindre banque d’affaires. Finalement, cela ne s’est pas fait. Faire partie d’un groupe bancaire comme Crelan nous confère encore plus de crédibilité et nous aide en matière de collecte de dépôts. Le groupe nous laisse aussi suffisamment d’autonomie. Je pense qu’il est très satisfait des résultats que nous délivrons. Et je n’ai pas l’impression qu’il va changer d’avis.”
SÉBASTIEN BURON
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