L’ancienne députée Anissa Temsamani invite des grands chefs à la Villa Tazegzout au Maroc

Aux portes de la verdoyante vallée de l’Ourika, l’ancienne ­députée et secrétaire d’État (SP.A) Anissa Temsamani est à la tête de Villa Tazegzout. Elle y invite les meilleurs chefs belges à cuisiner pour ses hôtes. Nous rencontrons le chef à la forte ­personnalité Willem Hiele : « J’ai atteint un stade où la cuisine me rend heureux comme un enfant. »

À une demi-heure au sud de l’aéroport de Marrakech se trouve le village de Douar Ait Ben Youssef, où le jardin de Villa Tazegzout surplombe le pic du ­Toubkal dans le Haut Atlas, le point culminant de l’Afrique du Nord. Le chef ouest-­flamand Willem Hiele se détend au bord de la piscine : il est venu passer une semaine de congé ici, même s’il va cuisiner. « C’est comme être en voyage scolaire », dit-il. Pendant ce temps, il s’imprègne du terroir de la vallée de l’Ourika. Que ce soit dans les livres, en ligne ou dans sa tête, il épluche les herbes et les épices. « Ici, je sors de ma zone de confort. Il n’y a pas de mer, donc je suppose qu’il n’y a pas non plus de fruits de mer ni de crustacés. »

De secrétaire d’État à gestionnaire de chantier

L’hôtesse Anissa Temsamani (57 ans) sert du vin marocain, des pintes de Casablanca et un tajine traditionnel avec des courgettes et des courges du jardin. Elle aime beaucoup la gastronomie. Elle et Hiele ont des amis communs. « Anissa est venue dîner et ça a matché », ­raconte Hiele. Elle l’a ensuite invité ici. « Les Marocains ne connaissent pas plus la cuisine belge que la mode belge », dit-elle. « Ils ne ­s’intéressent qu’à ce qui est français. Je suis consciente que ce séjour n’est pas destiné à un public marocain, mais je pense qu’il est important de promouvoir la gastronomie belge. Nous avons beaucoup d’artistes culinaires. Fin septembre, Alex Hanbuckers de De ­Herbalist viendra cuisiner. »

L’histoire de Villa Tazegzout a commencé il y a quatre ans. « Lorsque les frontières ont été fermées pendant la pandémie, je logeais chez un client près d’ici », raconte-t-elle. « En tant que Belge aux racines marocaines, j’ai soudain dû justifier pourquoi je voulais ­retourner en Belgique ; j’étais coincée ici. »

Elle et son partenaire Stijn Debaene (50 ans), avocat spécialisé en droit de propriété intellectuelle, avaient acheté un grand terrain quelques mois plus tôt. « Mon travail consistait à accompagner les entreprises à l’étranger », explique Temsamani. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté et je me suis retrouvée sans emploi. J’avais besoin de quelque chose auquel me raccrocher. Et le projet initial de construire une maison pour nous et les enfants s’est un peu emballé. C’est un architecte local fraîchement diplômé qui a réalisé Villa Tazegzout ; une villa de pas moins de 1 000 m² d’espace habitable à l’architecture différente des normes habituelles de la région. « Tazegzout signifie vert, au sens large mais aussi : se fondre dans l’environnement », explique Temsamani. « Quand il y a le financement, les architectes marocains ont tendance à copier beaucoup de choses de l’Europe », poursuit Temsamani. « Nous avons eu recours à l’artisanat et à des matériaux locaux tels que le tadelakt naturel et le pisé (terre crue). Les Marocains trouvent que c’est démodé alors que, pour nous, cela respire la simplicité et le luxe discret, loin du bling-bling. Le tadelakt, ­similaire au mortex, est hors de prix en Belgique. Ici, il coûte sept euros au mètre carré. »

Le bâtiment brutaliste et minimaliste donne une impression de connexion avec la nature. La piscine d’eau salée mesure 30 mètres et, au fond du jardin, se trouve un hammam ­traditionnel. C’est aussi une maison pratique et confortable : fraîche en été, notamment grâce à un système de refroidissement écologique, et dotée d’un chauffage par le sol en hiver. Elle est en partie autosuffisante avec un grand potager et des oliviers. Les ânes Bijou et ­Trésor mangent les déchets verts, l’eau est ­recyclée et la maison est indépendante à 80 % du réseau électrique grâce à la biomasse.

Pour la décoration intérieure, Temsamani a travaillé avec l’architecte d’intérieur Veerle Van Eycken, une amie qui a réalisé l’intérieur du palais Hof van Cortenbach à Malines. « J’ai vraiment mis mon âme dans la décoration, jusque dans le choix des poignées de porte et des charnières. Veerle était l’experte en ­matériaux et a proposé les minuscules ­carreaux pour le sol. »

grands chefs
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La villa trône au milieu de nulle part. « Il n’y avait rien ici, pas d’eau, pas d’électricité. » Elle a fait aménager la route reliant la villa au village, soit environ un kilomètre et demi. « Nous ne voulions pas d’une propriété dans un complexe protégé avec plusieurs villas. ­Bien que ces complexes offrent l’avantage des contrats d’entretien communs. Ici, nous avons vite réalisé que l’entretien et le personnel coûteraient beaucoup d’argent. Nous ­employons six personnes à temps plein : une cuisinière, un chauffeur et une équipe d’entretien de la maison et du jardin. »

Le projet initial de construire 
une maison pour nous et les enfants s’est un peu emballé

Anissa Temsamani

Pour couvrir ces frais, elle loue la maison à des particuliers et à des entreprises. Une dizaine de personnes peuvent y séjourner confortablement et un bâtiment séparé peut accueillir quatre personnes supplémentaires. La pool ­villa, d’une capacité de quatre personnes, est disponible à partir de 500 euros par jour. Des chambres séparées peuvent être louées par deux pour 750 euros par jour. La maison entière est disponible à partir de 1 500 euros.

Un plan retraite ? Absolument pas. « C’est du travail », dit-elle. « Stijn vient environ une semaine tous les deux mois, et moi je suis ici presque 90 % du temps maintenant. Quand il y a des gens, je me sens chez moi, mais quand il n’y a personne, je me sens parfois seule. Ma vie est en Belgique, à laquelle je suis attachée. C’est pourquoi, une fois que tout sera sur les rails pour la villa, j’aimerais trouver quelqu’un pour l’exploiter, et ainsi pouvoir venir quand bon me semble. »

Bar à tapas

Une chose est sûre : pour l’instant, elle est bel et bien présente, à en juger par le petit-­déjeuner qu’elle a préparé. Crêpes marocaines avec amlou maison, confiture de fraises et de menthe, confiture de mandarine, olives et huile du verger. « J’aime beaucoup cuisiner, et ici aussi », souligne-t-elle. J’aime voir les gens, j’aime donner, et qu’est-ce que la cuisine, sinon donner de l’amour ? Mais la cuisine est toujours empreinte d’une touche belge. Je fais du poulet au citron confit comme on le prépare ici, mais je l’accompagne de frites et de salade. » L’image négative qu’ont les Belges des ­Marocains entre également en ligne de compte. « Je veux faire venir des Belges pour corriger cette image complètement infondée. » Elle-­même a encore de la famille à Tanger, à six cents kilomètres au nord, où elle est née. « Pour eux, je suis une étrangère », reconnaît-­elle. « Dans les téléphones de certaines personnes, je suis enregistrée sous ‘Anissa la Belge’. »

Coup de tête

Hiele n’a pas encore de menu en tête. Il veut d’abord aller au marché. « Ce sont des moments que j’apprécie : la mise en place d’un marché, l’installation des étals », dit-il. Il fouille, touche, sent et goûte, et après quelques minutes seulement, il est envahi par l’émotion. « Quand je goûte ça, j’ai l’impression d’avoir à nouveau quatre ans », confie-t-il. « Ce sont les pois sucrés du jardin d’été de mon père. » Il prend également des ananas, des melons et des pastèques ; c’est la pleine saison. « Et regardez : des sardines ! Ultra-fraîches. » Il montre les yeux, la peau, les branchies. Il jette également son dévolu sur de la ­betterave rouge (« le sang de la terre »), des ­citrons biologiques, des poivrons verts, des ­petits concombres légèrement acides, des ­aubergines, de la racine de radis, et de la jeune ciboule rouge. Il met la main sur du cumin moulu, de la cannelle, du ras el-hanout, du ­safran, de l’anis étoilé et du poivre noir. Plus loin, il demande s’il y a des pêches. « Avec de la lavande et des roses, pour le dessert ! »

grands chefs

« J’ai envie de devenir végétarien, mais ce n’est pas facile », dit-il après avoir choisi un potiron. C’est alors qu’il aperçoit d’énormes dindes. « Je vais en prendre », s’exclame-t-il. « Thanksgiving au Maroc ! J’en salive déjà. » Puis, il doute. « C’est trop de viande. Nous n’allons pas tout manger. Et je suis contre le gaspillage alimentaire. Ce sont pourtant de très beaux spécimens. Regardez l’épaisseur de ces cous : magnifique ! »

« Pas besoin de souffler dans un ballon, car ­l’alcool n’existe pas ici », déclare Temsamani lorsque nous buvons un vin gris local en guise d’apéritif à Kasbah Bab Ourika, l’un de ses endroits préférés. Le domaine cossu des mille et une nuits surplombant la vallée appartient à l’entrepreneur anglais Stephen Skinner, ce que l’on devine en contemplant les jardins. Nous venons à peine d’arriver que Hiele est déjà en train de cueillir des prunes sur les arbres. « Elles ne sont pas mûres, elles sont encore un peu acides : parfaites pour accompagner ces sardines ; j’ai mon déjeuner », s’amuse-t-il en prenant encore quelques feuilles de vigne.

Crayons de couleur

De retour à la villa, il tempère les attentes. « Ici, je ne travaille pas avec une équipe de huit personnes, je vais rester assez simple. Avec des plats à se passer. Sinon, j’aurai besoin de beaucoup d’assiettes et de bols et d’établir une feuille de route, et ça va me stresser… Non, je ne vais pas faire comme ça. » Mais les invités se régalent déjà en le regardant lever le poisson et découper l’agneau. Ils donnent un coup de main pour la mise en place, et l’un ­d’entre eux s’improvise sous-chef. Et tandis que la maîtresse de maison va prendre une douche, une coupe de champagne à la main, le chef pose sur la table une rangée de sachets qu’il a ramenés de chez lui : son miso maison à base de pain au levain, des graines de courge grillées, de l’ail fermenté, etc. « Ce sont mes saveurs, une part importante de mon identité en tant que chef », explique-t-il. « Ce sont des bombes d’umami que l’on ne peut acheter nulle part et que j’utilise pour donner du relief à mes plats. Mes crayons de couleur, en quelque sorte. »

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Ce n’est que lorsque nous nous dirigeons vers le grill dans le jardin qu’il a une idée de ce qu’il va préparer aujourd’hui. Il raconte qu’il se rend chaque année chez un ami dans la jungle du Costa Rica. « Ma grande passion est le surf, mais je ne pouvais pas en faire mon métier. En parcourant les côtes en camionnette, j’ai appris à me débrouiller. C’est aussi comme ça que je conçois la cuisine. Ce n’est que maintenant que j’ai atteint un stade où la cuisine me détend, me rend même heureux comme un enfant. Je ressens peut-être moins le besoin de faire mes preuves qu’auparavant. J’ai déjà reçu ­beaucoup de reconnaissance. »

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Hiele hache la poitrine d’agneau. Il pétrit des morceaux de selle, prend une pierre et bat la viande en morceaux plats qu’il laisse s’attendrir dans du yaourt de chèvre. Le pain naan est garni d’une préparation de pitta originale, à base de poivron rouge grillé et d’oignon rôti. « Les odeurs me rendent fou », dit-il en riant. Et tous les invités sans exception l’accompagnent dans sa transe avec bienveillance. Tout comme Temsamani. Après cette première ­expérience avec le chef plutôt imprévisible, ­elle ne demande qu’à réitérer. Il n’est pas ­contre. « Je reviendrai avec certains de mes gars, ou avec cuisiniers de renom comme Bo Bech ou Bruno Verjus. Parce qu’on peut faire encore beaucoup mieux. Oui… On peut toujours faire mieux. »

par Bert Voetimages Wouter Struyf

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