Tout le monde en boit et a donc une opinion à son sujet: vin naturel. Trends Style a réuni deux voix distinctes et tenté de trouver de la nuance. TEXTE / Marlies Beckers
VIN NATUREL: LA DÉFINITION?
Qu’entend-on par vin naturel?
Kenny Burssens: “Il s’agit de vins pour lesquels il n’y a aucune intervention du vigneron entre le raisin et la bouteille. Rien n’est ajouté – ni pesticide ni sulfite. En résumé: on laisse le vin s’élaborer lui-même. Ce qui, selon moi, ne fonctionne jamais bien”.
Steve Bette: “Cela peut fonctionner! Simplement, ce n’est pas évident. Du reste, il est permis d’ajouter du sulfite – mais en nettement moins grande quantité que dans les vins conventionnels”.
KB: “Ah oui? Dans ce cas, il s’agit d’une tout autre histoire”.
SB: “La difficulté commence là. Il n’existe pas de cadre légal établi donnant une définition précise du vin naturel. Selon le site vinsnatures.fr, il est encore permis de l’appeler naturel lorsque 30 à 40 grammes de SO2 (sulfite) y ont été ajoutés. Dans les vins conventionnels, cela fluctue entre 150 et 300 grammes. Une différence considérable”.
KB: “Oui, mais tous les vins non naturels ne peuvent pas être réduits à de la camelote sulfitée – que je ne bois pas, du reste”.
La question du sulfite hante beaucoup d’oenophiles. Certains affirment même qu’il les rend malades. Pourquoi l’utilise-t-on?
KB: “Le sulfite contribue au fait que le vin se conserve et reste stable. La levure transforme les sucres des raisins en alcool et en CO2 – que le vigneron laisse s’échapper pour un vin tranquille. Le sulfite fait en sorte que la fermentation ne se poursuive pas dans la bouteille, s’il y subsiste des sucres résiduels. Sans quoi, les bouteilles pourraient exploser dans la cave”.
SB: “Il est abondamment autorisé dans l’industrie alimentaire – dans les charcuteries et autres aliments préparés. La norme est fixée par la loi. Mais la fermentation du raisin produit elle-même du sulfite. Il n’est donc pas possible d’affirmer qu’un vin n’en contient pas. En revanche, il est possible d’en ajouter trop – même si ce n’est pas plus que ce qui est autorisé -, ce qui empêche les levures et autres micro-organismes autochtones de fermenter et bride nombre d’arômes complexes”.
Pourquoi dès lors un vin naturel peut-il faire l’impasse sur le sulfite?
SB: “Un vigneron qui travaille de manière naturelle utilise, entre autres, les pédoncules et les rafles des raisins. Les antioxydants s’extraient ainsi subtilement du jus, ce qui permet d’ajouter moins de sulfite”.
Goûtez-vous la présence de sulfite?
SB: “D’emblée. J’y suis très sensible.”
KB: “Il est impossible de le goûter. A moins que le vin en soit saturé. Dans ce cas, il offre trop peu de complexité et d’arômes, et il est sans intérêt”.
SB: “La raison pour laquelle on l’utilise tant est que la plupart des vignerons veulent fabriquer un vin qui réponde à un profil gustatif déterminé, lequel à son tour rencontre les attentes du consommateur. Si l’on ajoute le sulfite aux raisins juste après qu’ils ont été cueillis, on affaiblit les micro-organismes naturellement présents et l’on empêche la fermentation spontanée. En conséquence, on passe à côté de l’authenticité et de la complexité. Le vin doit s’élaborer dans le vignoble et non dans la cave”.
KB: “Mais cela vaut tout autant pour mes vins “normaux”. Il y a peu, une femme s’est montrée déçue lorsque je lui ai dit que je ne proposais pas de vin naturel. Je lui ai fait goûter un vin allemand, biodynamique, à peine sulfité. Elle s’est montrée ravie”.
SB: “La question porte peut-être davantage sur les termes – vin naturel et vin fabriqué de façon naturelle. Je pense que tes vins sont plus proches des vins naturels que tu ne le penses généralement”.
ERREUR DE PERCEPTION?
Steve, qu’est-ce qu’un vin naturel selon vous?
SB: “Il s’agit d’un vin dans lequel l’intervention humaine est la plus réduite possible. Il est, au minimum, issu de l’agriculture biologique, mais pas nécessairement certifié. Un vin dont sont exclus les produits chimiques et les additifs, tant dans le vignoble que dans la cave. Ce qui permet de se fier aux levures naturelles et de goûter ainsi les caractéristiques du raisin et de son terroir”.
KB: “Mes vins ne sont pas différents, mais ils sont sulfités (rires)”.
Mais où se situe dès lors, selon vous, la différence avec les vins naturels, Kenny?
KB: “Les vins naturels présentent souvent des défauts. Le fait qu’un vin soit trouble, en est un selon moi. Et qu’il ait une odeur peu agréable, également. Un vin doit avoir un parfum et une saveur agréables. Et un vin tranquille ne doit pas contenir de CO2”.
SB: “Mais il s’agit là d’une différence dans la perception. Je n’ai aucun problème avec l’aspect trouble. Pour la bière, c’est permis, non? Pourquoi pas pour le vin, dès lors? De plus, il existe aussi des vins naturels clairs. C’est un choix du vigneron qui attend que tous les sédiments se soient déposés ou qui clarifie son vin autrement”.
KB: “Et dans ce cas, le vin du fond de cuve est trouble”.
SB: “Dans ce cas, on le clarifie à l’aide d’un tamis, par exemple”.
Constatez-vous une différence de goût entre un vin clarifié et un vin qui ne l’est pas?
SB: “Je les distingue à l’aveugle”.
KB: “J’en doute. La différence de goût est si minime qu’elle ne compense pas l’esthétique dans le verre”.
Y a-t-il alors, oui ou non, des défauts?
SB: “Il serait très réducteur d’avancer que tous les vins naturels comportent des défauts. Tout comme ce le serait de dire que tous les vins conventionnels contiennent des produits chimiques en abondance. Je ne trouve pas qu’extraire une pointe de CO2 d’un vin en le carafant soit un problème. Et non, un vin ne peut avoir une saveur et une odeur désagréables. Mais cela relève aussi de la subjectivité. Il est important de ne pas être partial”.
KB: “Je veux bien comprendre cet engouement pour les vins naturels mais j’ai eu une formation classique et j’ai eu à goûter certains vins afin d’en comprendre les défauts. Et, aujourd’hui, ces mêmes vins reçoivent une étiquette tape-à-l’oeil, un bouchon couronné – pour éviter que la bouteille n’explose, soit dit en passant – et deviennent soudainement des vins naturels plus chers de 10 euros. Et lorsque je demande plus d’explications au sommelier, il me répond que je ne peux pas comprendre”.
SB: “Le problème est que de nombreux oenophiles novices passent de vins conventionnels produits en volume à des vins naturels. Et donc d’un extrême à l’autre, ce qui n’est jamais bon. Il faut en goûter le plus possible et élargir sa vision du vin. Pour fabriquer et comprendre un bon vin, une formation classique est indispensable. Sans quoi, on ne peut en dégager les défauts ni placer les limites. Ainsi, l’un des
vignerons les plus brillants de Bourgogne en matière de vins naturels, Philippe Pacalet, est titulaire d’une maîtrise en chimie”.
DES GOÛTS ET DES COULEURS
Quels mauvais composants les vignerons conventionnels ajoutent-ils à leurs vins?
KB: “Les pesticides en excès sont mauvais. Tout comme les suppléments de levures ou d’enzymes. Ils modifient les arômes naturels du vin. Du sucre est également souvent ajouté – lorsque la récolte a été mauvaise. Mais je me demande quel vigneron de vins naturels peut bien laisser moisir sa récolte”.
SB: “En effet. Il ne le fera pas. En fin de compte, on ne peut le vérifier. Il peut très bien ajouter du sucre, lui aussi. On ne sait jamais. Mais en étant en contact étroit avec les vignerons, on peut très vite en savoir plus long.”
La grande différence entre vos vins ne réside-t-elle pas tant dans la manière dont ils sont élaborés que dans leur goût?
KB: “Les vins naturels n’ont pour moi rien de savoureux. Ils sont souvent trop acides et agressifs. J’en ai rarement bu de bons – du moins à un prix inférieur à 20 euros. J’aime un goût rond classique. Et j’estime qu’un vin peut être très passionnant et original sans qu’il ait besoin d’être “funky” comme certains amateurs de vins naturels aiment les décrire”.
SB: “J’aime précisément ces acides qui se manifestent naturellement, cette complexité et ce fruit pur qui sont propres aux vins naturels. Un vin accompagne un repas et, dans cette association, un plus un doit, selon moi, faire trois. Ce que j’estime plus facile avec des vins naturels. Chez Invincible, je pourrais néanmoins sélectionner un vin non naturel – mais qui, selon moi, le serait bel et bien (rires)”.
Steve Bette : the lover
– De 2002 à 2007, sommelier du restaurant étoilé Dôme (Anvers) et l’un des premiers sommeliers belges à avoir inscrit des vins naturels à la carte d’un restaurant gastronomique.
– Conseiller en boissons (horeca, entreprises et particuliers), spécialisé en vins naturels.
www.stevebette.be
Kenny Burssens: The hater
– Chef et copropriétaire (avec son épouse) du restaurant InVINcible (Anvers) depuis 2004.
– Carte de vins classiques au terroir très reconnaissable et… T-shirts du personnel affichant le slogan “Natural wine sucks”.
www.invincible.be
