Pourquoi la montre fascine toujours autant
À la mi-janvier, le groupe de luxe LVMH organisait sa première Watch Week à Dubaï pour dévoiler les nouveautés de ses maisons horlogères. La preuve que la montre, dont l’utilité est discutable à l’ère du tout-smartphone, continue de fasciner inlassablement. Zoom sur la beauté et la complexité de cet objet précieux avant le coup d’envoi des salons horlogers de Bâle et de Genève.
“Si t’as pas de Rolex à 50 ans, c’est que t’as raté ta vie.” Certes, Rolex est la société la plus réputée au monde, devant Lego ou encore Netflix. Contrairement à d’autres marques de montres dont la décote est vertigineuse, elle représente en outre un excellent investissement. Pourtant, la déclaration de Jacques Séguéla, pape français de la publicité, a suscité une vive polémique en 2009. Et on n’ose imaginer le tollé que de tels propos soulèveraient à l’heure actuelle, où “l’être” semble gagner du terrain sur “l’avoir”. Alors pourquoi la montre fascine-t-elle toujours autant ? État des lieux avec cinq passionnés.
Un homme, une montre
Féru d’horlogerie depuis qu’il a hérité de la montre gousset de son grand-père il y a cinq ans, Jérôme a envisagé de tout plaquer pour partir étudier la discipline en Suisse. Faute de véritables débouchés à l’époque, il a dû se rendre à l’évidence. Toujours est-il que la première chose qu’il regarde quand il rencontre quelqu’un, c’est sa montre et sa manière de la porter. “Ça me donne directement une idée de sa personnalité, voire de son statut social.” Quant à la sienne – un modèle mécanique d’une des seules manufactures françaises toujours en activité -, il l’a plus choisie pour les trésors qu’elle renferme que pour le luxe qu’elle dégage. “Très souvent, je ne la regarde pas pour connaître l’heure, mais pour admirer ses complications (toutes les fonctions autres que l’affichage de l’heure et des minutes, ndlr) à l’arrière du cadran. Une montre représente énormément de choses à mes yeux : l’ingéniosité humaine, le travail artisanal, un objet sentimental et, bien sûr, la relation au temps et à son histoire.”
À l’instar de ce grand amateur, Bernard Julémont se sent nu sans sa montre et il fera demi-tour s’il a oublié de l’enfiler à son poignet. “Parce que c’est un bel objet qui évoque ma passion.” Présent dans le secteur horloger depuis 1992 et fondateur de la marque Raidillon, Bernard Julémont lance en 2020 une nouvelle signature éponyme au design belge et décalé. “L’heure est un prétexte. Vintage ou moderne, classique ou sportive, manuelle ou automatique, chère ou pas, la montre – le seul bijou de l’homme dit-on souvent – est un accessoire qui véhicule un message sur sa personnalité. Dans le cas des modèles mécaniques, c’est aussi un objet d’art horloger.”
Du passé au présent
“On portait les premières montres dans une poche du nom de gousset – d’où l’appellation montre gousset -, ou bien on les suspendait à l’extrémité d’une chaînette ou d’un ruban fixé à la ceinture”, raconte Jean-Marie Louis, jeune horloger-pendulier qui a repris le commerce de son père il y a trois ans.
Chez les Marchal, c’est aussi une histoire de famille. Selon David Marchal, horloger-joaillier de la troisième génération, la montre est davantage le résultat d’une épopée technique qu’une invention en soi. “Pendant plusieurs siècles, l’objectif des savants horlogers, sous l’impulsion des cours françaises, anglaises et espagnoles, a été de miniaturiser le mouvement et d’augmenter sa précision. Au début du 20e siècle, les montres-bracelets (pour dames) n’étaient pas très ponctuelles. Le port de la montre-bracelet ne se virilise et démocratise que pendant la Première Guerre mondiale, aux poignets des pilotes et ensuite de tous les corps de l’armée, pour des raisons pratiques.”
Et d’évolution il est encore question aujourd’hui. Selon l’adage, tout s’achète et tout se vend. Désormais, tout se loue également. “Au cours des dernières années, la montre fonctionnelle a disparu au profit de la montre plaisir. Dans la société du paraître, elle est aussi devenue un symbole de raffinement qui se loue”, poursuit David Marchal. Une manière de démocratiser le luxe afin de le rendre accessible au plus grand nombre.
Foule sentimentale
“Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures.” Selon le célèbre slogan de l’horloger genevois, une montre est un objet intime qui accompagne notre quotidien, puis qu’on lègue à notre descendance.
Une transmission à laquelle Jean-Marie Louis est fier de contribuer. “De plus en plus de (jeunes) clients souhaitent faire restaurer les montres ayant appartenu à leurs parents ou grands-parents. Ils détiennent ainsi un objet de qualité, tant sur le plan esthétique que sentimental, en phase avec la tendance vintage. Bonus : il donne l’heure.”
Valeurs éthiques
Avec Adrien Voisin, ce monde si masculin s’ouvre aux femmes à grand renfort de modèles élégants, exclusivement carrés ou rectangulaires. “Une montre est avant tout un accessoire de mode, au même titre qu’une paire de boucles d’oreilles ou un sac à main.”
Du grec “resplendir”, sa marque Amalys célèbre et soutient la gent féminine en reversant une partie de ses bénéfices à ONU Femmes, une agence de l’Organisation des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. “Il est par ailleurs important de respecter les conditions de travail de celles et ceux qui fabriquent nos montres. Aujourd’hui, une marque ne peut plus se contenter de créer de beaux produits de qualité, elle doit aussi transmettre à son audience des valeurs éthiques.”
Quel que soit leur profil, professionnel ou amateur, pionnier ou fashion victim, les passionnés du genre font perdurer la tradition horlogère, et ce, malgré l’avènement des mouvements à quartz (comprenez : à pile) dans les années 70 ou l’attrait technologique des smartwatches. La preuve que le savoir-faire et le savoir-être vont au-delà des fonctionnalités d’une montre et ont encore de beaux jours devant eux.
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