La voie verte: La révolution verte de l’étoile Michelin
Parce que l’expérience gastronomique ne se résume pas à la bonne cuisine, Michelin a introduit, il y a quelques années, l’Étoile Verte. Une distinction qui prend de plus en plus d’importance pour les restaurants et les foodies. Mais comment gagner ce galon vert?
«Cela faisait un moment que Michelin envisageait l’idée de l’Étoile Verte», nous confie Werner Loens, Directeur de sélection du Guide Michelin Benelux. «L’un des objectifs majeurs de notre groupe industriel consiste, en effet, à verdir toutes nos activités (pneus, hôtellerie et restauration) entre 2030 et 2050. C’est une façon d’inspirer les chefs à tenir compte de la durabilité dans leur travail. De nombreux chefs étoilés s’en soucient depuis longtemps et ce n’est pas Michelin qui les a incités, mais nous pensons qu’il est important, en tant qu’initiateur de tendances dans le domaine de la haute gastronomie, de décerner aux chefs une Étoile Verte pour leur approche durable. Même si nous exigeons certains critères, nous n’avons pas de check-list de la durabilité. Il s’agit plutôt d’une question de philosophie, qui varie en fonction du restaurant. Par exemple, les chefs cuisiniers en milieu urbain sont souvent plus soucieux de réduire les déchets alimentaires et de plastique ou de s’approvisionner en ingrédients plus localement, tandis qu’un restaurant plus rural pourra cultiver ses légumes, installer davantage de panneaux solaires ou recycler son eau. D’ailleurs, nous couronnons aussi certaines initiatives, comme Instroom de Seppe Nobels, qui se concentre davantage sur l’humain et offre un nouvel avenir aux primo-arrivants de langue étrangère du monde entier. Il propose aux immigrés de travailler dans une atmosphère esthétique et agréable. Des restaurants qui se soucient de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée relèvent aussi de la durabilité selon nous… la durabilité de l’humain et du travail. Nous évaluons ces aspects lors de nos visites et en nous informant sur les sites web et réseaux sociaux. Si des fournisseurs locaux sont mentionnés à la carte, cela nous met la puce à l’oreille et nous menons notre petite enquête.»
Werner Loens, directeur de sélection du Guide Michelin Benelux Nous n’avons pas de check-list de la durabilité. Il s’agit plutôt d’une question de philosophie, qui varie en fonction du restaurant
LA PREMIÈRE GRAINE
«En 2005, quand nous avons inauguré notre premier potager, le concept du potager de restaurant n’existait pas vraiment», explique Kris De Roy, le chef étoilé du Hofke van Bazel. «En d’autres termes, nous étions à l’avant-garde de la grande tendance des restaurants et de leurs potagers. Au départ, nous voulions juste faire pousser quelques herbes potagères pour nous dépanner. Faire l’aller-retour deux fois par semaine, la nuit après le service, jusqu’à la légendaire pépinière Sanguisorba à Ranst était assez pénible ; de plus, nous n’arrivions jamais à estimer précisément la quantité de fleurs et d’herbes dont nous aurions besoin jusqu’au dimanche soir. C’est pourquoi nous avons décidé de cultiver nous-mêmes les ingrédients que nous utilisons beaucoup, comme la sauge Hot Lips, le thym, l’estragon… pour avoir une réserve. La première graine a donc été plantée dans notre potager d’herbes aromatiques. Aujourd’hui, nous continuons à tout cultiver à partir de semences, car on ne connaît jamais vraiment la qualité des plantes achetées prêtes à l’emploi. Nous en avons déjà fait l’expérience avec la menthe du Maroc, par exemple. L’intensité gustative, l’arôme et le parfum de la plante prête à l’emploi s’estompent grandement au fil du temps, car la plante s’adapte à notre climat. En revanche, si vous laissez la menthe marocaine pousser à partir de la graine chaque année (et cela va vite), vous obtiendrez une menthe aux arômes chaleureux et riches pour préparer un thé à la menthe. Nous avons aujourd’hui un potager de 0,7 hectare (de la taille d’un terrain de football) dans les Polders de Kruibeke, une zone naturelle unique et la plus grande plaine inondable de Belgique. La moitié des légumes que nous servons au restaurant proviennent de notre production. Pas tous. Certains légumes comme le céleri, les pommes de terre, les carottes ne sont pas cultivables par nos soins, car le sol ne s’y prête pas. Nous cultivons les tomates et la plupart des aubergines, poivrons, piments, dahlias comestibles, raifort, wasabi…»
Kris De Roy, chef Étoile Verte de ‘Hofke van Bazel’ «Les restaurants qui n’ont pas de plats végétariens à la carte sont dépassés
RESSOURCES LOCALES
En 2018, le Hofke van Bazel a été élu meilleur restaurant de légumes de Belgique par le guide Gault&Millau et en 2021, il a reçu pour la première fois une Étoile Verte au Michelin. «C’était fantastique!», se remémore Kris De Roy. «Michelin a créé ce prix pour récompenser les restaurants qui gèrent leur établissement de manière durable. Tout restaurant figurant dans le Guide Michelin est éligible, mais il ne s’agit donc pas tellement des restaurants qui proposent une bonne cuisine végétale. Pour attribuer l’Étoile Verte, les inspecteurs Michelin observent si le restaurant utilise des ingrédients locaux et saisonniers, comment il aborde le gaspillage alimentaire, l’empreinte écologique du restaurant, l’élimination et le recyclage des déchets en général, ainsi que la gestion durable.» Bref, l’Étoile Verte récompense les restaurants et les chefs qui respectent l’éthique et les normes environnementales. Ceux qui travaillent avec des fournisseurs et producteurs éthiques, qui font tout pour réduire les déchets et évitent le plastique et autres matériaux non recyclables dans leur chaîne d’approvisionnement. De nombreux chefs cuisiniers travaillent en étroite collaboration avec des producteurs, des agriculteurs et des pêcheurs locaux. Ils font de la cueillette sauvage dans les forêts, élèvent leurs bêtes et cultivent des fruits et légumes. Ils sont aussi nombreux à soutenir les méthodes d’agriculture régénératrice et se lancent, par exemple, dans les forêts comestibles. Et le Hofke van Bazel n’échappe pas à la règle. «Tous les matériaux, par exemple ceux des bacs à plantes et à herbes que nous utilisons dans notre potager — sont en plastique recyclé», explique Kris De Roy. «Même nos bancs de jardin sont fabriqués à partir de bouteilles PET recyclées. Nous nous efforçons également de nous approvisionner localement et régionalement, dans la mesure du possible. Par exemple, notre farine provient des moulins de Hanewijk à 500 mètres d’ici, nos produits laitiers viennent des environs… Nous cueillons nos légumes dans notre potager et nous y rapportons les déchets que nous produisons pour les composter. Les aliments que nous présentons dans l’assiette, leur origine et ce que nous en faisons sont nos préoccupations quotidiennes.»
FORÊT COMESTIBLE
Nicolas Decloedt, du restaurant Humus x Hortense* à Ixelles, se pose les mêmes questions. «Ce restaurant 1 étoile à Ixelles a été le premier restaurant gastronomique végétal ayant reçu une étoile Michelin et est pour nous le parfait exemple du concentré de travail durable», nous dit Werner Loens. «Ils ne se contentent pas de proposer une cuisine végétale, ils s’intéressent à tous les maillons de la durabilité. Un agriculteur cultive pour eux des produits spécifiques, ils servent presque exclusivement des vins biologiques et leurs infusions sont préparées à partir des pelures des fruits et légumes.
Au niveau international, De Nieuwe Winkel** d’Emile van der Staak à Nimègue est un magnifique exemple. Il possède une forêt comestible, un trésor de plantes comestibles allant de l’achillée à l’acajou de Chine. Il suit un très beau parcours et a récemment remporté le prix du meilleur restaurant végétal au monde.»
UNE MISSION NOBLE
Le restaurant Hofke van Bazel aussi séduit depuis un certain temps par son approche végétale, puisqu’il sert à ses clients des fingerfood et canapés cent pour cent verts et végétariens. «Nous faisons découvrir la gastronomie végétale à une multitude de gens chaque année, ce qui me donne une immense satisfaction», nous confie l’hôtesse des lieux, Gina Miurin. «Quand les clients déclarent, après un repas, qu’ils ont adoré et qu’à aucun moment la viande ou le poisson ne leur a manqué, j’ai l’impression que ma mission est accomplie. Je ne peux pas changer le monde, mais je peux élargir les horizons des gens.»
«Mon épouse (l’hôtesse des lieux) étant végétarienne, nous avons commencé à préparer des plats à base de légumes il y a plus de vingt ans, mais notre approche n’était pas une sinécure», explique Kris De Roy. «Les gens ne comprenaient pas que nous ne servions pas de substituts de viande, mais des assiettes pleines de légumes et d’herbes. Heureusement, cette mentalité a disparu. Les restaurants qui n’ont pas de plats végétariens à la carte et qui le proclament sur leur site web sont, à mon avis, dépassés. Nous proposons également des pains aux légumes et des menus avec un accord mets-jus de fruits. Pour accompagner les plats végétaux, nous proposons des associations de jus de légumes, de fruits et d’herbes. Plus nous nous engageons, plus notre offre s’élargit.
Récemment, Eleven Madison Park de Daniel Humm à New York est aussi devenu le premier restaurant végan au monde à être récompensé par trois étoiles au Michelin. Bref, une belle évolution en cours.» «Toutefois, la durabilité doit être une évolution et non une révolution», ajoute Werner Loens. «Une évolution progressive. Sinon, on risque d’appauvrir la gastronomie. Nous devons continuer à privilégier la bonne cuisine, les saveurs… car c’est bien le but de l’expérience gastronomique: le plaisir de manger.»
Les Étoiles Vertes en Belgique
Arabelle Meirlaen La chef: Arabelle Meirlaen Chemin de Bertrandfontaine 7, Marchin www.arabelle.be
Atelier de Bossimé Le chef: Ludovic Vanackere Rue Bossimé 2B, Namur www.atelier-de-bossime.be
Barge (fermé pour rénovation) Le chef: Grégoire Gillard Boulevard d’Ypres 33, Bruxelles www.bargerestaurant.be
Humus x Hortense Le chef: Nicolas Decloedt Rue de Vergnies 2, Bruxelles www.humushortense.be
De Jonkman Le chef: Filip Claeys Maalse Steenweg 438, Bruges www.dejonkman.be
Graanmarkt 13 Le chef: Jan Keuppens Graanmarkt 13, Anvers www.graanmarkt13. com
Hofke van Bazel Le chef: Kris De Roy Kon. Astridplein 11, Kruibeke www.hofkevanbazel.be
Hors-Champs Le chef: Stefan Jacobs Chaussée de Wavre 170, Gembloux www.hors-champs.be
Instroom Le chef: Seppe Nobels Droogdokkenweg 4, Anvers www.instroom.academy
La Grappe d’Or Le chef: Clément Petitjean Route de Luxembourg 317, Arlon www.lagrappedor.com
L’Air du Temps Le chef: Sang Hoon Degeimbre Rue de la Croix Monet 2, Éghezée www.airdutemps.be
Souvenir Le chef: Vilhjalmur Sigurdarson Brabantdam 134, Gand www.souvenir.gent
¡Toma! Le chef: Thomas Troupin Boulevard de la Sauvenière 70, Liège www.toma-restaurant.be
WILDn Le chef: Bart De Pooter Lange Nieuwstraat 22, Anvers www.wildn.be
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