Lover / Hater le jeûne intermittent: suivre l’horloge ou le diététicien?

Servaas Bingé © Nette Clonen

Se concentrer non plus sur ce que l’on mange, mais sur le moment où l’on mange. Le jeûne intermittent n’a rien d’un nouveau concept. Jennifer Anniston ne jure que par ce “régime de stars”. Si Servaas Bingé approuve, Michaël Sels éprouve des doutes.

JEÛNER, VRAIMENT?

Servaas Bingé: “En réalité, “jeûne intermittent” n’est pas le bon terme. Il serait préférable de dire “alimentation limitée dans le temps”. On absorbe les calories et les nutriments dans un temps donné. Et de fait, la forme la plus populaire est l’horaire 16:8 – soit ne se nourrir que durant une tranche horaire de 8 heures et s’abstenir durant 16 heures. Peu importe sur quelle partie de la journée s’étendent ces 8 heures – entre un petit-déjeuner (à 8h00 ou à 10h00) et un repas de fin de journée (à 16h00 ou à 18h00). Mais dans notre société et notre culture, ce n’est pas évident. Nous tenons le fait de manger pour un acte social en soi et nombre de nos activités sociales sont souvent couplées à un repas. Elles ont pour la plupart lieu le soir, ce qui amène à faire l’impasse sur le petit-déjeuner afin de pouvoir manger plus tard le soir”.

Lover Servaas Bingé – “lorsqu’on ne mange pas, le corps est contraint de chercher une autre source d’énergie, interne cette fois

Michaël Sels: “Il s’agit surtout de savoir quand on peut manger. Il existe nombre d’horaires différents – 16:8, 20:4 – tous repris sous le terme de “jeûne intermittent”. Mais le discours scientifique sur le sujet est souvent très pauvre. Dans la science aussi, on s’adonne volontiers au “picorage”: on choisit ce qui sert son argumentation et l’on tait le reste”.

RÉGIME STRICT?

SB: “Je n’aime pas qualifier cela de régime parce que je ne crois pas aux régimes. Dans un régime, on s’impose des règles provisoires, auxquelles on ne peut se tenir. Nous sommes de telles créatures d’habitudes qu’il nous est impossible de maintenir longtemps ce qui n’en relève pas, à moins de l’intégrer de l’une ou l’autre manière dans nos vies. Le jeûne intermittent s’apparente pour moi davantage à une stratégie qu’à un régime. Il n’y a que peu de directives, si ce n’est ne s’autoriser à manger que durant 8 heures. Il s’agit d’un léger changement, dont il n’est pas très difficile d’en faire une habitude.”

MS: “Je le rangerais bel et bien dans la catégorie des régimes. Il faut suivre un programme strict et défini. J’estime que nous devons encourager le public à manger plus sainement – ce que ne font pas ces régimes à la mode. Ils suppriment toujours l’une ou l’autre chose: si ce ne sont pas les lipides ou les glucides, ce sont les moments où l’on peut manger. Si cette approche restrictive avait fonctionné, nous l’aurions remarqué il y a dix ans déjà, lorsqu’il était recommandé d’éliminer des repas les pommes de terre et le pain. Nous ferions mieux d’opter pour davantage de bons aliments, que de choisir de manger moins”.

Michael Sels
Michael Sels© Nette Clonen

QUID DU PETIT-DÉJEUNER?

SB: “En anglais, petit-déjeuner se dit breakfast. Soit, en traduction littérale, le repas de rupture du jeûne. Oui, le premier repas de la journée est le plus important. Il doit aussi être le plus calorique et comprendre beaucoup de nutriments, mais personne n’a dit qu’il devait se prendre la matin. Mieux encore, lorsqu’on se lève, on sort d’une phase de repos et l’on n’a, en réalité, aucun besoin de s’alimenter, le corps étant rechargé et disposant d’énergie en suffisance”.

MS: “Le métabolisme ne s’enclenche que de deux façons. En déjeunant. Ou en faisant du sport à jeun – ce qui, pour beaucoup, s’avère en pratique souvent difficile. Dans ce cas, il est préférable de déjeuner, ce qui permet de déclencher un phénomène de combustion et présente un avantage métabolique. Peu importe qu’il s’agisse de yaourt aux fruits et céréales ou de riz aux légumes et poulet. Il faut simplement amener son métabolisme à un rythme diurne, ce à quoi l’on ne parvient pas en ne faisant rien”.

MS: “Le contraire est vrai également. Le métabolisme passe précisément à une vitesse supérieure lorsqu’on ne mange pas. Le corps est alors contraint de chercher une autre source d’énergie. Si l’on se met d’emblée à absorber des glucides en déjeunant, on ne peut passer à la deuxième source d’énergie dont on dispose: le tissu adipeux. Chacun, en ce compris les personnes les plus maigres, possède des réserves de graisse dont il peut tirer de l’énergie. En réalité, il est important de passer de l’un de ces deux systèmes d’énergie à l’autre. Cela prévient le développement de maladies chroniques et permet de se sentir beaucoup plus énergique”.

Hater Michaël Sels – “mais en ne déjeunant pas, on est plus susceptible de prendre du poids car on utilise moins d’énergie au repos

MS : “Mais il a également été prouvé qu’en ne déjeunant pas, on est plus susceptible de prendre du poids, car on utilise moins d’énergie au repos. Par ailleurs, on observe aussi que si l’on fait l’impasse sur le petit-déjeuner, on aborde le lunch en ayant très faim. Conséquence: on éprouve plus de difficultés à éprouver de la satiété et l’on perd plus facilement le contrôle. Cela va aussi de pair avec des choix alimentaires moins sains et de moins bonne qualité – ce que confirme l’exemple classique des courses faites en ayant le ventre vide”.

COMPTE À REBOURS

MS: “Beaucoup pensent qu’il suffit de s’en tenir aux horaires pour que tout se passe bien. Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Le problème du jeûne intermittent réside aussi dans le fait que l’on éprouve souvent le besoin d’encore manger au cours des dix dernières minutes des 8 heures permises, précisément parce que c’est encore autorisé, alors même que l’on n’a pas faim. Cette méthode nous éloigne donc encore plus de l’apprentissage des sensations de faim et de satiété. Il ne faut pas apprendre au public à manger en raison d’une contrainte de temps”. SB: “D’un point de vue purement technique, le jeûne intermittent ne porte pas sur ce que l’on mange, mais quand on le fait. Mais consommer deux paquets de chips durant ces dix dernières minutes n’aide évidemment pas à mener une vie saine”.

MS: “Nous sommes devenus des brouteurs, à longueur de journée. Alors que, durant les repas, nous nous montrons souvent plus stricts avec nous-mêmes. Mais le soir, nous consommons toutes sortes d’en-cas. Le jeûne intermittent a mis cela en évidence chez beaucoup de personnes”.

SB: “En effet. Et le fait d’arrêter de manger vers 19h00 ou 20h00 présente beaucoup d’avantages. Entre autres, ceux de mieux dormir et de moins éprouver une surcharge de calories. Il n’y a rien de plus mauvais pour le repos nocturne que d’aller dormir l’estomac plein”.

MS: “Peut-être pratiquons-nous le jeûne intermittent depuis 50 ans déjà, ici, à l’hôpital. Les patients reçoivent leur petit-déjeuner à 9h00 et leur repas du soir à 17h00 – soit un exemple de répartition 16:8. Mais, dans la vie courante, les gens préfèrent reculer le premier de manière à pouvoir manger le soir – même si c’est synonyme de nourriture malsaine. Il serait donc préférable de supprimer ce repas et de conserver le petit-déjeuner”.

LA SOLUTION?

SB: “Il ne s’agit pas de s’affamer, surtout, mais il faut apprendre à redécouvrir son corps. Partir de l’idée que l’on doit maigrir de 10 kilos est également une erreur. Il faut choisir un schéma qui convient à soi-même, dans lequel on se sent bien. Je ne forcerai personne à passer d’emblée à un schéma 16:8 si le 14:10 est plus facile, plus confortable. Le reste viendra naturellement et les résultats seront là”.

MS: “Selon moi, la solution réside dans l’alimentation consciente. Soit manger et ressentir la faim et la satiété plus consciemment – ce que l’on a désappris. Nous devons à nouveau essayer de manger en fonction de cette pulsion interne. Et il ne s’agit pas, selon moi, d’une question d’horloge”.

Servaas Bingé THE LOVER

– Médecin généraliste, du sport et entrepreneur

– Ex-médecin de l’équipe cycliste Lotto-Soudal

– Auteur, entre autres, de 16: 8, un livre ayant trait au jeûne intermittent

Michael Sels THE HATER

– Chef et diététicien en chef à l’Hôpital universitaire d’Anvers (UZA)

– Partisan de l’alimentation consciente

– Auteur d’un livre de recettes dédié à la santé

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