Le styliste Réda Faklani: “J’ai des garde-robes un peu partout”
Il y a quatorze ans, Réda Faklani posait ses valises en Belgique pour y étudier la mode. Aujourd’hui, le styliste cultive une approche conceptuelle et artisanale, comme en témoigne sa collection Eldorado présentée au Sablon en octobre dernier. Trends Style l’a rencontré lors d’une interview dans l’air du temps et du confinement, à savoir en live sur Instagram.
Le premier souvenir lié à la mode de Réda Faklani remonte à son enfance au Maroc. À l’époque, il se rendait avec son père et ses frères chez un tailleur muet qui leur confectionnait un costume pour les grandes occasions. “C’était à la fois fascinant et drôle. Son atelier était rempli de livres et d’échantillons de tissu. Bien sûr, la communication n’allait pas sans difficulté. Ce n’était pas évident de lui expliquer ce qu’on voulait, de comprendre ce qu’il nous répondait”, raconte Réda.
Élevé au Maroc, où il a fréquenté une école française, Réda débarque en Belgique à l’âge de 21 ans. “La Belgique m’attirait énormément, bien plus que la France. C’était un pays surréaliste, ayant vu naître de nombreux artistes comme Magritte et Simenon. Un territoire cosmopolite, en plein centre de l’Europe, qui me faisait rêver, qui semblait sans limites.”
Après des études de mode à l’HELMo à Liège, c’est auprès du célèbre styliste belge Jean-Paul Lespagnard – qu’on salue au passage et remercie d’avoir fait partie des spectateurs sur Instagram – puis au sein de la prestigieuse maison de couture néerlandaise Iris Van Herpen qu’il fait ses armes. “Jean-Paul Lespagnard reste de loin ma plus belle rencontre dans le milieu de la mode. C’est quelqu’un de très perspicace, qui m’a accueilli les bras ouverts. Il est connu comme Barabbas, je le suivais partout, on sortait beaucoup et il m’a présenté à un tas de gens.” En plus du savoir-faire, Réda a donc développé son carnet d’adresses, avant de traverser la frontière et de s’installer à Amsterdam. “J’y ai de merveilleux souvenirs. Je roulais à vélo sous la pluie, en écoutant les compositions d’Erik Satie. J’associe des souvenirs à la musique, autant qu’aux vêtements. Iris Van Herpen est une fée. Elle m’a offert une tout autre expérience, à plus grande échelle. Déjà à l’époque (en 2015, ndlr), elle explorait les possibilités offertes par les nouvelles technologies comme l’impression 3D et la découpe laser. J’ai par ailleurs découvert à ses côtés que la mode est une discipline rigoureuse, qui demande énormément de concentration. Nous travaillions parfois à trois ou quatre sur une même pièce pendant plusieurs semaines.”
Après ces deux expériences intenses, Réda ressent le besoin de retourner dans son Maroc natal pour réfléchir au travail accompli et reprendre son souffle. “Cet été-là, je suis tombé sur des ouvriers du textile qui manifestaient depuis trois ans, à la même période. J’ai demandé à l’un d’entre eux de me tailler un costume pour le mariage de mon frère. Sans prendre mes mesures, il a confectionné une tenue impeccable, qui m’allait comme un gant.” C’est à ce moment que le styliste a su ce qu’il voulait faire : collaborer avec des artisans.
Et il fallait oser. Sa marque Dare!Reda, qui tire son nom de to dare en anglais (oser) mais aussi de dar en arabe (maison), est le fruit de toutes ces rencontres, ces apprentissages, mais aussi des prises de conscience relatives aux difficultés du métier. Le résultat est une ligne forte et asexuée. “Les premières saisons, une marque doit asseoir son nom et son style. La création de ma première collection Eldorado – présentée à Bruxelles en automne dernier et bientôt disponible sur la plateforme One Such –, m’a permis d’exorciser mes origines. Dans la prochaine, j’exprimerai sans doute autre chose. Il est prématuré de dire à qui Dare!Reda s’adresse. Ce sont des pièces de qualité qui font la part belle au lurex, au brillant, mais aussi à des tissus traditionnels comme la fouta (matière des serviettes utilisées dans les hammams, ndlr), confectionnées par des techniciens extrêmement méticuleux.”
Ce styliste de proximité, qui a envie de savoir avec qui il travaille et qui porte ses vêtements, place la question de l’écologie au centre de ses créations, mais tout en nuances. “Certaines marques font de la durabilité leur cheval de bataille. Eco-friendly, c’est bien plus qu’un slogan à marteler dans sa communication. La protection de l’environnement est une évidence qui doit faire partie de l’ADN de tous les labels et trouver sa place dans le dressing de tout un chacun”, confie le styliste, qui porte un tee-shirt labellisé Dare!Reda, et orné de détails en plexiglass découpés au laser et brodés sur le vêtement.
Et parlons-en, du dressing. “J’ai des garde-robes un peu partout. En Belgique, au Maroc, chez moi, chez mes parents, chez des amis. Je garde tous mes vêtements. Jeter un vêtement s’apparenterait à effacer le souvenir qui y est attaché. J’imagine que c’est un peu comme un DJ qui garde précieusement tous ses vinyles.” Quant au must-have de Réda, il ne se porte pas sur soi, mais en soi. “À mes yeux, la pièce indispensable, c’est – outre un masque actuellement -, une attitude consciente par rapport à l’achat et la consommation de la mode. Après ce confinement, j’aimerais qu’on possède tous un bel accessoire qui serait le fruit d’un choix délibéré et réfléchi.”
Le must-have dans un dressing ? Une attitude consciente
Un travail de réflexion et d’introspection, que le créateur avait l’intention d’approfondir pendant le confinement et qui s’est également traduit par la confection de masques. “Je ne pouvais pas rester les bras croisés. C’était mon devoir de protéger mon entourage, ma famille, mes amis, les personnes qui m’ont toujours suivi ainsi que le personnel soignant.” Mais après avoir réalisé et offert gratuitement 150 masques à partir de chutes de tissu, Réda s’est retrouvé confronté d’une part à une demande croissante, et de l’autre au manque de matières premières. Aujourd’hui, il met en vente cette deuxième vague de masques au prix de 20 euros pièce. “La commercialisation des masques a suscité le mécontentent de certains internautes. Dans mon esprit, ces réactions ne reflètent qu’une seule chose : la peur. Or ce prix ne couvre pas seulement le matériel ou la main-d’oeuvre des stylistes, mais aussi le risque qu’on prend en sortant de chez nous, en allant acheter du tissu, en nous rendant à la poste. Aucun prix appliqué dans ce contexte ne me heurte. Notre vie a-t-elle un prix ? Non, je ne crois pas.”
Un souhait, une attente post-confinement, Réda ? Une collab peut-être ? “Je suis très fan de l’oeuvre de Martin Margiela. Il y a trente ans, il a imaginé un concept caractérisé par des designs déstructurés et des matériaux peu conventionnels qui fait fureur aujourd’hui. Dans cette même lignée, les créations conceptuelles de la marque parisienne Y/Project me plaisent énormément. Il ne s’agit pas de faire joli pour faire joli. Cela dit, l’idée de collaborer avec des artisans au savoir-faire méticuleux m’enthousiasme davantage. Avec eux j’adorerais créer des vêtements en raphia. Malheureusement, je ne sais pas quand je pourrai retravailler avec des personnes en dehors de la Belgique.”
Les collaborations de Réda ne se confinent pas aux créateurs de mode et aux artisans du textile. “J’ai travaillé avec Samuel D’Ippolito, qui s’est chargé des décors de mon défilé l’année dernière. Dans ce genre de collaborations avec des designers, nous mettons tout notre coeur, toute notre passion. La mode n’est plus un point de vue personnel, comme à l’époque de Christian Dior et de Coco Chanel qui imposaient leurs idées au monde entier. Il est bien plus exaltant de brainstormer à plusieurs et d’aboutir ainsi à une vision plus universelle de la mode.”
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