Le come back du Y2K: ode au ventre nu

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Si vous avez parmi vos proches des adolescents ou de jeunes adultes, vous l’avez certainement remarqué: les jeans longs, les tops courts et les minijupes font leur grand come-back. Pourtant, la Y2K, la mode du début des années 2000, a longtemps été méprisée par les esthètes. Trends Style a enquêté sur la raison de cette tendance bizarre.

“Revivez les années 2000 avec une slip dress, une paire de grosses sandales et un sac baguette. Découvrez notre collection de jeans évasés, de robes avec détails en dentelle, de crop-tops à volants, de minijupes, de jupes plissées et de jupes portefeuille en denim.” Ce bout de prose a été copié-collé du site web de H&M par votre très dévoué journaliste. Avant de me taxer de paresseux: H&M est toujours l’une des plus grandes marques de prêt-à-porter au monde, et lorsqu’ils affublent leur site web d’une description — et d’une collection — assez fidèle des années du millénium, c’est du sérieux. Pour étayer notre propos, il suffit d’observer TikTok, où le hashtag #Y2K compte plus de 6 milliards de vues. Il y a un peu moins d’un an, le célèbre site de mode High Snobiety a titré: “Le Y2K est officiellement devenu un style de luxe”, après les défilés des grandes marques comme Chanel, Balmain et Miu Miu, qui semblaient tout droit sortis de la vieille boîte à malices du bug de l’an 2000. Le Y2K, le style des années 2000, est de retour.

Le Y2K est souvent considéré par les profanes, c’est-à-dire les gens de plus de 35 ans, comme le ‘style des années 90’

Le Y2K (prononcez ouaille-tou-qué) est souvent considéré par les profanes, c’est-à-dire les gens de plus de 35 ans, comme le “style des années 90”. C’est en partie vrai. Le style Y2K est attribué à la glorieuse période autour de l’an 2000, de 1997 à 2004 à peu près, et couvre donc une partie des années nonante et une partie des noughties. Ce langage esthétique s’exprime dans la mode, le cinéma, la musique et même le design de produits. Le point commun: un côté un peu tape-à-l’oeil avec une touche techno-optimiste, voire rétrofuturiste. Et beaucoup de ventres nus, de crop-tops irisés, de t-shirts minuscules associés à des piercings au nombril, de pantalons bootleg (jambes larges), de pantalons en cuir moulants, de jeans taille basse style Spears, de tops tie-front (tops noués à l’avant), de robes “bodycon” très moulantes qui laissent peu de place à l’imagination, de strings qui dépassent du pantalon, de casquettes Von Dutch, de lunettes de soleil qui semblent venir du monde du snowboard (surtout de la marque Oakley), de denim sur denim et, bien sûr, de chouchous (ces fameux élastiques à cheveux entourés de tissu).

Britney Spears à son apogée en 2001
Britney Spears à son apogée en 2001© Ron Galella Collection via Getty

“It’s Britney, bitch”

Pour bien comprendre ce style, il faut examiner ses origines. Nous sommes en 1997, et les Spice Girls, Christina Aguilera, Britney Spears et divers boys bands conquièrent le monde à coups de messages joyeux et parfois un peu coquins. “À l’époque, le Y2K n’était pas considéré comme un style ou un concept particulier”, explique Aurélie Van de Peer, sociologue de la mode. “Il s’agit pourtant d’une expression stylistique claire qui s’inscrit dans le postmodernisme et qui consiste à explorer le passé, que l’on considère comme un coffre au trésor. Cela consistait parfois littéralement en superpositions de styles vestimentaires de différentes époques et sous-cultures.” D’un point de vue historique, le Y2K est donc un dérivé du postmodernisme: tout a déjà été fait, contentons-nous de nous inspirer de ce qui existe déjà. Un exemple assez évident est le clip Toxic de Britney Spears. De nombreuses tenues sont réinterprétées, de l’ensemble de l’hôtesse de l’air à la combinaison en cuir de la drag racer. Et par réinterprétation, nous entendons sexualisation.

Le come back du Y2K: ode au ventre nu

Car le Y2K est une période de grande nudité et de promiscuité sexuelle, feinte ou non, sous couvert d’une nouvelle forme ultra-light de féminisme. “Le “Girl Power” et la “bossy girl” étaient en effet très à la mode,” confirme Aurélie Van de Peer. “C’est une sorte de féminisme commercial, un féminisme lipstick: je peux porter un décolleté profond et me dire féministe. Tout était amusant, commercialisable et extrêmement individualisé ; il n’y avait aucune velléité d’actions collectives. Depuis, on est devenu plus critique à l’égard de ce type de féminisme. Autre caractéristique remarquable: c’est une expérience très incarnée de l’habillement. La mode est inconfortable à porter, ce qui fait qu’on en est conscient à tout moment. Par exemple, si vous portez un pantalon taille basse et que vous vous asseyez, on va voir vos sous-vêtements”.

Off-White
Off-White© Getty Images

The power of Playstation

Outre le girl power, un grand optimisme règne autour de la technologie, c’est ce que l’on appelle le “tech optimism“. Celui-ci s’exprime dans une musique, un design et un sens de la mode rétrofuturistes. La musique métal se métamorphose en NU-métal aux sonorités plus futuristes, comme Linkin Park, et les nouvelles stars de la pop comme TLC, Destiny’s Child, En Vogue et Aaliyah apparaissent dans des tenues et des décors élégants, froids et rétrofuturistes. Le rétrofuturisme consiste à s’approprier les formes esthétiques considérées comme futuristes dans le passé. Par exemple: lunettes de soleil étroites et tenues moulantes en cuir noir. Le clip d’Aaliyah “Try Again”, revenu tout à fait à la mode pour les jeunes d’aujourd’hui, en est un bon exemple. Vêtue d’un pantalon baggy en latex associé à un haut à paillettes, la chanteuse danse dans un environnement qui évoque une scène de Blade Runner 2049.

Crazytown sort Butterfly, une chanson accompagnée d’une vidéo où des papillons générés par ordinateur peu crédibles volent autour de la tête du rappeur et d’une dame Y2K à moitié nue — les réalisateurs de clips vidéo découvrent la CGI (computer generated imagery), ce qui donne naissance à une multitude de mauvais clips vidéo. Dans le monde du cinéma, The Matrix, grand classique de la science-fiction et franchise surabondant de rétrofuturisme (beaucoup de cuir, de lunettes de soleil étroites et d’ordinateurs très mécaniques), triomphe et, ce n’est pas un hasard, a récemment fait l’objet d’un remake. “Ce film a également influencé la mode de luxe de ces années-là”, précise Aurélie Van de Peer. “Si l’on en croit le livre de Bradley Quinn, Techno Fashion, on remarque que la plupart des exemples datent des années 1990 et du début des années 2000”. Avancées technologiques: la démocratisation du GSM, les animaux de compagnie numériques, c’est-à-dire les Tamagotchis, l’expansion de l’Internet, les Pokémon et la première PlayStation: une console de jeux vidéo avec, tenez-vous bien, des images en 3D.

Jacquemus La collection 'Le Papier'
Jacquemus La collection ‘Le Papier’© WireImage

Paris Hilton recyclée

De nombreux objets de cette liste ressortent aujourd’hui. Les jeunes achètent la réédition du Nokia 3310 ou un téléphone à clapet et se délectent des comédies romantiques du début du siècle comme Clueless et Mean Girls. Même les poupées Bratz sont une source d’inspiration. Nous ne savons pas exactement pourquoi cet engouement se manifeste maintenant. “Mon hypothèse — la science de la mode doit encore le prouver — est que les jeunes adoptent ce style premièrement parce qu’il est très facile à trouver dans les boutiques d’occasion (en ligne). De plus, c’est assez facile d’upcycler les vieux vêtements de ce style-là: il suffit d’un coup de ciseaux pour avoir un crop-top, par exemple.”

Cette hypothèse semble assez juste. Les magasins de seconde main sont toujours des coffres au trésor pour les jeunes créatifs, et ces magasins regorgent actuellement de vêtements qui datent d’il y a vingt ans. En outre, le recyclage des vêtements a de plus en plus de succès, notamment grâce aux plateformes en ligne comme Vinted, et les réseaux sociaux vous bombardent de tutoriels pour upcycler les vêtements. Il est également remarquable que les “cool kids” d’aujourd’hui soient aussi les premiers à avoir adopté le style Y2K. “Je présume que les jeunes Y2K d’aujourd’hui sont beaucoup plus préoccupés par la durabilité que les jeunes de l’époque. Il s’agit probablement — je reste prudente — de personnes complètement différentes aujourd’hui. Dans l’exemple inverse, les jeunes des années 1990 qui se préoccupaient du climat et de la justice sociale ne portaient pas ce style.” Pour ceux qui ont vécu cette période, le style Y2K avait un petit côté vulgaire à l’époque. Ce n’était pas le style des fashionistas. Contrairement à aujourd’hui.

Le come back du Y2K: ode au ventre nu
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It’s a bag-uette!

Bien que. Depuis, le style est devenu assez mainstream. Tous les vêtements ne sont pas rétro ou d’occasion. Les marques de vêtements prennent le train en marche. On fait appel à des stars comme Bella Hadid, Rihanna, Dua Lipa et Hailey Bieber pour les campagnes de pub. Par exemple, celles de l’entreprise italienne Blumarine, qui a touché le jackpot avec un crop-top en forme de papillon. À Paris, Chanel a fait défiler ses mannequins en bikini avec des chaînes de taille. La maison Balmain, quant à elle, a notamment présenté des minijupes style Spears. Le sac Baguette de Fendi de 1997, icône du style Y2K et rendu célèbre par Carrie Bradshaw (rôle interprété par Sarah Jessica Parker) dans “Sex and the City” avec la citation légendaire: “It’s a bag-uette!” est recopié par de nombreuses marques. “Depuis, ce style s’est quasi institutionnalisé. Les grandes entreprises tentent aujourd’hui de tirer profit d’un style qui a probablement été remis au goût du jour par une jeunesse durable. Ce qui est assez cynique.” Le fait que la high fashion s’empare de la tendance au lieu de la créer n’est pas surprenant. “Aujourd’hui, la plupart des marques de luxe sont à la traîne. Cela s’explique par le fait que l’on donne moins de liberté aux stylistes. L’équipe commerciale chuchote à l’oreille des créateurs ce qu’ils doivent faire: il faut suivre les hashtags.”

“La nostalgie n’y est probablement pas étrangère non plus”, déclare Aurélie Van de Peer. “C’est la nostalgie d’une période qu’ils n’ont pas vécue. C’est la nature humaine et cela arrive souvent. Le fait de ne pas avoir vécu l’époque donne une image assez réductrice et positive, influencée par la culture pop grand public. Tout comme les fans de Britpop des années 2000 qui s’extasiaient sur le rock des années 70. À l’époque, votre dévoué journaliste trentenaire s’est lui aussi précipité dans les magasins de seconde main pour s’offrir un perfecto et un t-shirt trop serré à l’effigie d’un groupe de rock, et on connaît le résultat…

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