Meryl Rogge collabore avec Vitra et le MoMu Anvers : « Un intérieur, c’est comme la mode : tout tourne autour de l’assemblage des matériaux »

Un premier défilé officiel à Paris, une place en finale du Prix International Woolmark, la perspective d’une deuxième marque et, en passant, une collaboration avec Vitra. La créatrice Meryll Rogge est inarrêtable.

Meryll Rogge a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois. La créatrice belge avait donc aussi beaucoup à dire. Qu’il s’agisse d’événements personnels, comme son mariage l’année dernière à Cadaqués, en Espagne, ou professionnels, comme les cinq ans de sa marque et ses débuts à Paris, Meryll Rogge semble surfer sur une vague de succès. Pourtant, en coulisses, tout n’était pas rose. Son compte Instagram a par exemple été suspendu après la publication de quelques photos de paparazzis montrant des célébrités comme Rihanna portant ses créations. Une leçon en matière de droit d’auteur qu’elle n’est pas prête d’oublier. Cependant, la créatrice originaire de Deinze n’a pas beaucoup de temps pour s’attarder sur le passé. Peu après son retour de Paris, elle a troqué la mode pour la décoration d’intérieur et a créé une installation au Vitra Partner Store à Anvers. Elle y a aménagé un espace bureau comme un cocon, avec des livres, une photocopieuse et sa propre chaise de bureau : « C’est sur cette chaise que je travaille tous les jours depuis cinq ans, des centaines d’heures par mois. »

Mode & intérieur

La chaise en question est la Vitra Aluminium Chair EA 104, conçue en 1958 par Charles et Ray Eames. Rye a doublé cette création iconique avec de la laine grise de Grande-Bretagne. « Le tissu est généralement utilisé pour les costumes et fait ainsi le lien avec l’atmosphère de travail », explique la créatrice dans The Apartment, la salle d’exposition de Vitra qu’elle a rebaptisée The Research Room pour l’occasion. Meryll Rogge est la cinquième occupante de ce soi-disant appartement et la première créatrice de mode à pouvoir l’aménager à sa guise. Cette collaboration s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle exposition au MoMu d’Anvers qui explore la relation entre la mode et l’intérieur: Mode & Interieur. A Gendered Affair.

L’exposition présente des créateurs qui considéraient le mobilier et le vêtement comme une œuvre d’art globale, ainsi que des créateurs contemporains inspirés par l’architecture et le design, de Raf Simons à Ann Demeulemeester. Simons conçoit des tissus pour Kvadrat parallèlement à son travail chez Prada, Demeulemeester a fait ses adieux à sa maison de couture pour se consacrer à la céramique, notamment pour Serax. Y a-t-il quelque chose en préparation pour Meryll Rogge également ? « Un jour, j’aimerais lancer une collection pour la maison, mais c’est encore trop tôt. C’est pourquoi la collaboration avec Vitra a été une si belle expérience. J’ai su assez rapidement quels matériaux je voulais utiliser, il ne restait plus qu’à attendre de voir si la laine serait assez solide pour une chaise. Elle a passé le test. »

Existence nomade

Meryll Rogge tire sa fascination pour la décoration d’intérieur de sa situation : « Décorer une maison m’intrigue parce que je ne l’ai encore jamais fait. Je vis temporairement à Deinze depuis cinq ans. Le terme “temporairement” est relatif. (rires) Je me sens à moitié nomade, vivant tantôt ici, tantôt là, mais je rêve de m’établir définitivement… Je me prends donc à me demander à quoi mon lieu de vie permanent ressemblerait. L’exercice semble périlleux aux premiers abords mais, finalement, la décoration d’intérieur s’apparente à la mode : il s’agit de réunir des matériaux et de développer un langage visuel. J’ai beaucoup apprécié pouvoir exprimer ma créativité autrement, comme je le faisais chez Dries Van Noten, où je travaillais également sur les collections de produits de beauté et de parfums. »

Avant de lancer sa propre marque en 2020, Meryll Rogge a dessiné pour Marc Jacobs et Dries Van Noten, deux créateurs qui excellaient dans des catégories différentes. Elle lancera une nouvelle marque de tricots dans le courant de l’année, baptisée B.B. Wallace, en partenariat avec Sarah Allsopp. Vous n’étiez pas assez occupée ? « (Rires) C’est une période intense. Évidemment, je ne pouvais pas prévoir que tout coïnciderait, mais c’est bien que les choses bougent. Juste après l’ouverture de l’installation chez Vitra, j’irai à Milan pour le Woolmark Prize. L’avantage des cérémonies de remise de prix, c’est que l’on y rencontre des collègues et que l’on peut se plaindre ensemble des mêmes choses. » Outre Meryll Rogge, le duo de designers belges Ester Manas figure parmi les nominés.

Copie autorisée

Les nombreux projets témoignent de la polyvalence créative de Meryll Rogge, sans parler de son éthique de travail. Ce n’est pas par hasard qu’elle a aménagé pour Vitra une salle de recherche remplie de livres d’artistes et de photographes qui inspirent son travail, tels que Liv Lieberg et Marie Déhé. « L’idée est que les gens puissent venir s’y installer pour se plonger dans les livres. Ceux qui le souhaitent peuvent même emporter une copie. Bien sûr, on peut aussi prendre une photo avec son iPhone, mais cela n’a pas le même charme. La photocopieuse joue un rôle important dans la création de mes collections. Il y a également un lien avec notre exposition : le papier peint au plafond, inspiré du livre Walls Paper de Gordon Matta-Clark. »

Comme dans les maisons japonaises, l’espace d’installation est surélevé pour créer un sentiment de sécurité. Le sol est recouvert d’une moquette brune et les murs de placage. « Les matériaux sont autant que possible issus de la récupération. Presque rien n’est neuf. Auparavant, on aurait crié à l’avarice, aujourd’hui on parle de durabilité », explique Goele Vermeeren, directrice générale de Vitra Partner Store. « Cet aspect circulaire est important car il s’agit d’une installation temporaire et il s’inscrit également dans le récit de Vitra. » Meryll Rogge a déniché les stores, si typiques des anciens bureaux, sur un chantier voisin. « Je pense que “dérober” est le mot juste », déclare la créatrice en riant.

La version de Meryll Rogge de la Vitra Aluminium Chair orne actuellement le musée MoMu. Les passionnés peuvent commander cette édition spéciale auprès de Vitra Partner Store. Les créations de Meryll Rogge se sont désormais fait une place dans l’histoire de la mode : The Costume Institute, le département de mode du Metropolitan Museum, a acheté quatre looks. « J’ai vu de magnifiques expositions au Met lors de mon séjour à New York, c’est donc un rêve qui se réalise », partage Meryll Rogge. Elle réalisera bientôt un autre rêve dans nos contrées : « Passer à nouveau plus de temps avec mes enfants. Je ne les ai pas beaucoup vus ces derniers temps. Le plus jeune a deux ans et demi et n’est pas très content, mais bientôt je retrouverai des horaires classiques. J’ai hâte. »

The Research Room de Meryll Rogge x MoMu Antwerp est exposée jusqu’au 30 septembre au Vitra Partner Store, Sint-Antoniusstraat 12, Anvers.

par Catherine Kosters portrait Jorre Janssens

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