La folie Horta

2023 est l’année de l’Art nouveau, et qui dit Art nouveau dit Victor Horta. Au musée qui porte son nom, une exposition retrace ses influences: mouvements artistiques, architectes, femmes. Avons-nous négligé Horta pour le réinventer aujourd’hui?

Sortons tout de suite les grands mots. Éclectisme. Cette tendance architecturale de la seconde moitié du 19e siècle mêlait les éléments stylistiques de styles architecturaux du passé. L’architecture comme un patchwork «Victor Horta n’était pas seulement un architecte de l’Art nouveau», affirme Elisabeth Horth, vice-conservatrice du musée Horta. C’est là que l’expo Victor Horta versus Art nouveau illustrera, à partir du 30 mars, l’éclectisme de Victor Horta.

SOUS L’INFLUENCE DE TROIS ARCHITECTES…

L’expo recense d’importantes sources d’inspiration pour Victor Horta. L’historienne de l’art et coordinatrice de l’exposition, Brigitte De Clercq, sélectionne trois architectes parmi celles-ci. «D’Alphonse Balat, Horta a adopté les caractéristiques classiques. Horta fait un stage chez Balat, qui doit sa renommée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles et au Jardin d’hiver du Palais de Laeken. Il construit les serres royales à la demande du roi Léopold II. Grâce à ce projet, Horta acquiert une expérience de l’architecture de fer et de verre. Et c’est ainsi qu’il devient le roi de la lumière et de l’alliance des matériaux. Le fer n’est plus dissimulé, Horta l’intègre comme un élément structurel visible.»

«Il a également été influencé par le Français Eugène Viollet-le-Duc. Ce dernier est célèbre pour sa restauration de nombreux monuments français, comme la Sainte-Chapelle et la sacristie de Notre-Dame à Paris, le Mont-Saint-Michel et le château de Pierrefonds. Viollet-le-Duc abordait les restaurations sous l’angle d’une vision personnelle. Il prenait la liberté de réinterpréter les monuments et d’ajouter des éléments.»

Un troisième architecte à avoir marqué Victor Horta est Joseph Poelaert, le concepteur du Palais de justice de Bruxelles. Victor Horta n’avait pas une opinion favorable du Palais de Justice. Il l’a qualifié «d’architecture cyclopéenne, rêvée par des mains n’ayant pas conscience de l’échelle humaine: masse écrasante couronnée par une cloche à fromage.» Elisabeth Horth apporte une nuance. «Horta désapprouvait les proportions gigantesques, mais le bâtiment le fascinait. Il a soumis un projet pour le portique d’entrée avec les portes en bronze et a également participé à un concours pour l’aménagement de la place Poelaert.» Ces deux projets ont été refusés.

… ET DEUX FEMMES

Elisabeth Horth mesure la portée de l’influence de Pauline Heyse, la première épouse de Victor Horta. «Horta était le fils d’un cordonnier gantois. Il était issu d’une famille de douze enfants. Pauline Heyse a grandi dans une famille bourgeoise. Elle avait des antécédents et un bagage culturel supérieurs à ceux de Horta. Il ne fait aucun doute qu’elle a contribué à son éducation culturelle.»

Pourquoi est-il fait peu mention d’elle dans l’histoire? Un brin de recherche donne quelques éléments de réponse. En 1906, Victor Horta et Pauline Heyse vivent un divorce orageux. Incorrigible bourreau de travail, Victor Horta était rarement au domicile conjugal et elle a pris des amants. Petite anecdote. L’actuel musée Horta a été construit par Horta pour résoudre ses problèmes conjugaux: construire la maison et l’atelier au même endroit devait le faire travailler plus près de sa famille. Mais ils venaient de s’y installer lorsqu’il a trouvé une pile de correspondances dévoilant l’adultère de son épouse.

«On parle davantage de sa seconde femme, la Suédoise Julia Carlsson, avec qui il a fui aux États-Unis pendant la Grande Guerre», poursuit Elisabeth Horth. «Elle était sur place en mission humanitaire, pour récolter des fonds pour les orphelins de guerre belges. Une femme engagée. Professeur de gymnastique.» Ce second mariage n’a pas tenu. Julia Carlsson, en proie à la dépendance aux jeux de cartes, était plus avide de mondanités que de l’homme qui les lui offrait.

LES ARCHIVES DÉTRUITES

Un regard nouveau sur Victor Horta, sans œillères. «Nous continuons à découvrir de nouvelles choses», révèle Elisabeth Horth. Le fait que Victor Horta ait brûlé ses archives donne lieu à de nombreuses spéculations. «Sa fin de vie a été difficile. Il avait perdu sa fille unique (Simone s’est suicidée en 1939 à l’âge de 49 ans. Une autre fille, Marguerite, n’a vécu que de 1881 à 1882, N.D.L.R.). Sur le plan professionnel, il était dépassé par une nouvelle génération d’architectes. Ils raflaient les plus belles commandes. Au moment de sa mort, Victor Horta était probablement un homme aigri.»

Mais il y a des théories moins dramatiques. Elisabeth Horth poursuit: «Pendant la Grande Guerre, de nombreux greniers ont pris feu, car ils étaient remplis de vieux papiers et de bois sec. Juste avant la Seconde Guerre mondiale, on a demandé aux citoyens de vider leurs greniers. C’est peut-être de cette façon que les archives de Victor Horta ont disparu.»

HORTA REDÉCOUVERT

Assistons-nous aujourd’hui à une folie Horta? Elisabeth Horth n’irait pas jusque-là. «C’est un nom établi depuis longtemps. Mais à un certain moment, l’Art nouveau était devenu désuet. C’est aujourd’hui à nouveau un mouvement adulé sans réserve. Il semble donc logique que l’on parle beaucoup de Horta dans le contexte de l’année de l’Art nouveau.»

«La pandémie y est pour quelque chose. Dans le passé, c’était principalement un public international qui visitait le musée Horta. Les touristes étrangers associent Bruxelles à l’Art nouveau. La plupart des Belges l’avaient un jour visité, il y a une trentaine d’années. Mais le musée offre aujourd’hui une visite très différente qu’à l’époque. Beaucoup de choses ont été ajoutées, le guide didactique est plus moderne. La COVID a réconcilié les Belges avec le musée.»

Nous constatons aujourd’hui d’importants efforts de restauration du patrimoine Horta. A-t-il été négligé? Ce n’est pas l’avis d’Elisabeth Horth. «Les restaurations prennent une éternité, ce sont des processus lents. Le processus de décision est aussi très lent ; il s’agit de grosses sommes d’argent. Tout ce que le public voit, ce sont les échafaudages et non la recherche, les analyses, les réunions, la collecte de fonds.»

D’accord. Mais certaines réalisations de Horta ont tout simplement disparu. «Parce qu’à un moment donné, les gens n’aimaient plus son architecture. Et en raison de la bruxellisation (terme péjoratif désignant l’anarchie dans le développement urbain de Bruxelles dans les années 60 et 70), N.D.L.R.). La Maison du Peuple en est l’exemple le plus flagrant. Dans l’ivresse de la rationalité et du modernisme, on avait perdu toute trace de bon sens.»