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Le ballon espion chinois et le piège de Thucydide

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Les Américains se sont réveillés vendredi dernier en apprenant qu’un ballon chinois survolait leur pays en toute impunité et en violation de la souveraineté nationale américaine.

Les Chinois ont indiqué que ce ballon était un ballon météorologique égaré ! Autant dire que ça n’a pas fait sourire les Américains qui ont bien compris qu’il s’agissait d’un instrument d’espionnage. Washington a néanmoins gardé son sang froid avant de l’abattre une fois qu’il a cessé de survoler le territoire américain. Motif de cette prudence ? Le ballon espion avait la taille de plusieurs autobus et le Pentagone avait peur que les débris de ce ballon ne blessent ou ne tuent des Américains même si les territoires survolés (Montana) par ce ballon sont ruraux et peu peuplés.

L’autre raison du sang froid de nos amis américains, c’est qu’ils savent que la Chine utilise déjà des satellites en orbite basse pour surveiller les Etats-Unis. En réalité, le ballon en question n’avait qu’une utilité, celle de pouvoir photographier les silos de missiles et les centres de recherche, mais sous un autre angle que les satellites à basse orbite selon Les Echos. Au final, cet épisode digne d’un film à la James Bond n’est qu’un des multiples épisodes de la guerre froide actuelle qui se livrent les deux premières puissances mondiales. Bien entendu, la Maison Blanche a montré sa mauvaise humeur et la visite du secrétaire d’Etat Antony Blinken en Chine a été reportée. Vous remarquerez que j’écris bien reportée et non pas annulée. La nuance est de taille, car pour l’heure, c’est une guerre invisible que se livrent ces deux puissances pour savoir qui sera la première puissance mondiale d’ici 2050. Et la communication partisane fait partie de cette guerre.

Des exemples ? Le 31 janvier dernier, c’était l’ambassade de Chine a Paris – qui via quelques Tweets – avait accusé les Etats-Unis d’avoir déclenché la guerre en Ukraine, mais aussi d’avoir alimenté ce conflit en fournissant des armes lourdes aux Ukrainiens. Sans doute était-ce une réponse à une autre fuite – vraie ou fausse, je n’en sais rien – diffusée par les médias américains selon laquelle un mémo confidentiel du général américain Minihan indique que la Chine et les Etats-Unis pourraient se déclarer la guerre en 2025. Je pense aux lecteurs et lectrices de Trends-Tendances qui comme moi ont vécu l’explosion de la bulle internet en 2000, les attentats de New York en 2001, la crise financière de 2008, la crise de la dette publique européenne en 2012, le COVID en 2020 et puis l’Ukraine en 2022, et qui s’écrieront “manquait plus qu’une guerre entre la Chine et les Etats-Unis pour 2025”. Bon, restons zen, tout cela fait partie de la propagande classique en temps de guerre froide ou chaude.

En réalité, la guerre a déjà lieu, mais heureusement uniquement sur le plan économique. Les Américains sous la direction de Joe Biden sont en réalité aussi durs que Trump envers les Chinois, mais de manière moins vocale, mais beaucoup plus efficace. La preuve ? Ils sont en train de relocaliser leur industrie à coups de milliards de dollars, en prenant d’ailleurs le risque de déstabiliser l’Europe, et cette même administration Biden est en train d’interdire le transfert des technologies de pointe aux entreprises chinoises avec l’aide forcée des Pays-Bas et du Japon, deux pays ralliés à la cause américaine et qui possèdent des puces de dernière génération que convoite la Chine. D’ailleurs, c’est simple : en privant les entreprises chinoises de certains composants technologiques de pointe, Pékin voit ses espoirs de rattrapage technologique disparaitre au fil du temps. Mais attention à ne tirer de conclusion hâtive : ne pensez pas que les Chinois sont démunis. La Chine vient encore de rappeler au monde qu’elle contrôle 90% des productions de terres rares nécessaires à la fabrication de produits électroniques et des batteries. Ce n’est pas rien ! Et puis, ne l’oublions pas, le premier créancier des Etats-Unis, c’est la Chine !

Pékin détient la plus grosse partie de la dette publique américaine et donc, le parti communiste chinois dispose d’une arme de destruction massive à sa disposition sur le plan financier. En d’autres mots, les deux pays sont très imbriqués économiquement, ce qui en principe éloignerait toute forme de guerre physique. J’utilise à dessein le conditionnel, car l’historien Thucydide – V siècle avant JC – avait déjà expliqué que la montée en puissance d’Athènes avait inspiré la peur à sa rivale Sparte . Résultat, cette peur a été mauvaise conseillère et a conduit à la guerre du Péloponnèse. Remplacez Athènes par la Chine et Sparte par les Etats-Unis et vous avez le même scénario. Espérons que cette leçon de l’histoire est connue par Washington et Pékin. Sinon qu’ils commandent le livre de Graham Allison, (Vers la guerre : l’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ). Il parait que c’est un best-seller aux USA.

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