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La guerre des puces, la guerre invisible

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Et si nous parlions d’une autre guerre que celle qui se déroule en ce moment en Ukraine. Si je vous parlais d’une guerre froide, invisible, que livrent les États-Unis à la Chine, et avec la complicité de l’Europe. Cette guerre, c’est celle des puces comme diraient les Américains.

Pour l’heure les Américains font tout – absolument tout – pour attirer, sur leur territoire, des équipementiers qui fabriquent des puces. Pour y arriver, les Américains ont mis en place un plan de 52 milliards de dollars pour convaincre ces sociétés, notamment taïwanaises, de venir fabriquer leurs puces dernière génération sur le sol américain. En même temps, comme dirait Macron, ces mêmes Américains font tout pour ralentir les progrès de la Chine en matière de puces. Comment ? Mais le plus simplement du monde : en interdisant ou en limitant les exportations des technologies occidentales vers la Chine. Les Américains ont même réussi à convaincre les Pays-Bas et le Japon à les rejoindre dans ce combat contre la Chine. Là encore, ces deux pays ont chez eux deux équipementiers clés en matière de fabrication de puces électroniques dernière génération. L’administration de Joe Biden a vite compris qu’il ne servait à rien de mettre une forme d’embargo sur la Chine, si son rival peut aller se servir aux Pays-Bas ou au Japon. Joe Biden a donc réussi à convaincre ces deux pays à le rejoindre dans sa guerre froide contre la Chine.

En fait, cette compétition entre les deux grandes puissances mondiales n’est pas nouvelle, mais elle a été accélérée par le covid et par l’invasion russe en Ukraine. Le covid, parce qu’avec la désorganisation que ce virus a provoquée sur les chaînes d’approvisionnement, cela a rappelé aux Américains que sans puces – donc sans semi-conducteurs – leur industrie automobile tournait au ralenti. L’invasion de l’Ukraine a aussi rappelé aux députés américains qu’une seule société – du nom de TSMC – produisait la majeure partie des puces mondiales, et, manque de pot, cette société est installée à Taïwan, une île dont les Chinois veulent prendre le contrôle. D’où l’appel du pied de Joe Biden à cette société pour qu’elle vienne ouvrir une usine de puces avancées sur le sol américain.

En fait, les Américains, comme les Européens, se sont bien réveillés avec le covid et la guerre en Ukraine. Ils ont compris que sans puces, pas d’armée sophistiquée, pas d’automobile qui roule, pas de smartphone qui fonctionne et pas d’avion qui décolle. En réalité, les Américains, sans le dire, veulent priver la Chine d’oxygène digital. Bien sûr, les Chinois auront encore accès aux semi-conducteurs, mais uniquement les puces de l’ancienne génération, tandis que les États-Unis vont tenter de garder une longueur d’avance sur leur rival systémique.

Au fond, ce que font de manière brutale les Américains, c’est interdire “à la Chine de monter en compétences” comme le reconnaît Chris Miller, auteur du livre “chip war”. Selon lui, Joe Biden a peur que les Chinois puissent produire des machines capables “d’entraîner des intelligences artificielles qui pourraient être utilisées à des fins d’espionnage, de piratage ou pour perfectionner leur système militaire”.

La guerre en Ukraine était une surprise, aujourd’hui, elle est devenue cyniquement une donnée parmi d’autres sur l’échiquier mondial. En revanche, cette guerre froide que se livrent États-Unis et Chine pour la maîtrise des puces électroniques est sous le radar des grands médias, elle est invisible, car elle ne fait aucun mort, donc ne suscite aucune émotion. Dommage pour cet angle mort, car l’invisible a parfois encore plus d’impact que ce qui est visible.

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