Pierre-Henri Thomas

La Bourse, ce n’est pas l’économie

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Il y a un grand écart entre le comportement des valeurs du Bel 20 et celui des 400.000 sociétés belges.

Notre dossier de couverture se penche sur la surprenante santé des marchés boursiers. Alors que le taux de croissance des principales économies industrialisées reste bien pâle, les Bourses, elles, semblent se jouer du covid, de la guerre en Ukraine ou du réveil de l’inflation. En trois ans, l’indice S&P500, qui regroupe les 500 entreprises cotées américaines les plus importantes, a progressé de 30%, bien plus que la croissance de l’économie des Etats-Unis.

Certes, la croissance du PIB est calculée en termes réels (corrigée de l’inflation) et le S&P 500 ne tient pas compte des versements de dividendes. Il n’empêche: les performances de l’économie américaine n’ont pas suivi celles des actions. C’est le cas aussi en Belgique où, pourtant, les returns sont moins flamboyants qu’à Wall Street. Depuis sa création en 1980, le Belgian all shares index, qui reprend toutes les sociétés cotées en Bourse de Bruxelles, affiche une croissance annuelle moyenne de plus de 6%, bien supérieure à celle de l’activité du pays.

On a souvent comparé l’évolution de l’économie réelle et des marchés à celle d’un maître promenant son chien avec une laisse de plus en plus longue et de plus en plus élastique. Parfois, le chien est très loin devant. Parfois, il revient. Parfois, il casse sa laisse et gambade – c’est ce qu’on appelle une flambée spéculative. Parfois, il s’emmêle les pattes et tombe dans le fossé – c’est ce qu’on appelle un krach.

Les krachs ébranlent l’économie, certes. Et aux Etats-Unis, la hausse des Bourses donne confiance aux ménages. Mais personne ne devrait assimiler l’économie à la Bourse. D’abord parce que la valeur d’une action est l’estimation de ses bénéfices futurs, alors que la croissance est la richesse créée au cours des mois passés. Quand on compare la Bourse et l’économie, on ne se situe donc pas dans le même temps.

Si les banques centrales devaient serrer la vis un peu plus fort pour dompter les marchés, ce geste aurait des conséquences très différentes selon les entreprises.

Ensuite, parce que la Bourse reflète surtout la valeur d’un panier de grandes entreprises dont le pricing power est bien plus grand que la majorité des petites entreprises. Et il y a un grand écart entre le comportement des valeurs du Bel 20 et celui des 400.000 sociétés belges. Les économistes sérieux le savent et le rappellent dans leurs études. Sur leur dernière analyse du taux de marge des entreprises, la Banque nationale indique par exemple: “comme tout indicateur macroéconomique, cette mesure est influencée par un petit nombre de très grandes entreprises qui ne sont pas nécessairement représentatives de l’ensemble des firmes”. Une autre manière de dire que pour un statisticien, quelqu’un qui a la tête dans le four et les pieds gelés présente certes une température moyenne idéale, mais cela ne veut pas dire qu’il soit nécessairement en bonne santé.

Cela paraît trivial, mais il vaut mieux rappeler cette vérité car l’oublier peut mener à des conséquences fâcheuses. On a ainsi entendu certains faucons des banques centrales exprimer leur mécontentement face à la nonchalance des marchés, apparemment trop placides devant la hausse des taux d’intérêt. Mais si les banques centrales devaient serrer la vis un peu plus fort pour dompter les marchés, ce geste aurait des conséquences très différentes selon les entreprises.

Autre exemple, à l’autre bout du spectre. Voici quelques mois, Raoul Hedebouw (PTB), pointant les bénéfices réalisés par les entreprises du Bel 20, s’indignait: “Qu’on arrête de dire qu’il n’y a pas de marge pour négocier des augmentations de salaires”. Comme si le Bel 20 représentait toutes les entreprises du Royaume. Et non, monsieur Hedebouw, la Bourse n’est pas le reflet de l’économie.

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