Eddy Caekelberghs

Le sultan et l’Otan

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Le président Recep Tayyip Erdogan fait du chantage à l’entrée des Suédois dans l’Otan? La Turquie, membre de l’Alliance en raison de sa situation stratégique sur les détroits depuis la guerre froide, sait monnayer et/ou utiliser à chaque fois à ses propres fins les données géostratégiques disponibles. Et en déclarant il y a une semaine qu’il pourrait admettre le dossier finlandais à défaut d’approuver le suédois, Erdogan tente de semer la division.

Diviser pour mieux régner (ou peser! ), la vieille affaire… Mais il y a plus, qui concerne les affaires intérieures: les élections se profilent, et après avoir neutralisé le concurrent maire d’Istanbul, il s’agit d’utiliser les adhésions souhaitées à l’Otan en instrumentalisant une affaire de Coran brûlé pour se faire de la pub facile. Ce qui devrait réclamer des autres membres de l’Alliance une mise au point sévère avec Ankara. Mais qui le fera, quand Erdogan joue les entremetteurs avec Moscou, notamment dans l’important volet céréales?

Le quotidien madrilène “El Pais” ne s’y trompe pas lorsqu’il éditorialise “Recep Tayyip Erdogan exacerbe les sentiments nationalistes et religieux, afin d’aiguillonner ses électeurs, quitte à provoquer le blocage de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan. (…) Avec ses aspirations, Erdogan foule aux pieds les droits fondamentaux tels que la liberté de réunion, de manifestation et d’opinion, que la Suède et la Finlande respectent pour leur part. (…) Il est insensé qu’à un moment aussi critique, un acte blasphématoire d’autodafé ou des manifestations pro-kurdes puissent amener la Turquie à sortir son droit de veto contre l’élargissement de l’Otan. (…) Tant qu’un autocrate comme Erdogan se servira de la Suède et de la Finlande pour sa campagne électorale, l’Otan doit promettre aux deux pays des garanties suffisantes”.

En cherchant à diviser l’Otan, Erdogan rend un service à Moscou, et cela ne fait pourtant l’objet d’aucun débat en Turquie.

Pour autant faut-il paniquer? Non, nous dit l’un des grands quotidiens finlandais! Ilta-Sanomat rappelle: “Erdogan a certainement cherché à plomber le processus d’adhésion commun de la Finlande et de la Suède. Or, dans ce petit jeu de pouvoir, il faut veiller à ne pas se laisser instrumentaliser. Il convient bien entendu de mener, en Finlande aussi, un débat ouvert et factuel sur le processus d’adhésion à l’Otan, y compris sur le fait que celui-ci dure plus longtemps que prévu. Les conclusions à tirer et les solutions à privilégier devront l’être en fonction des conditions finlandaises, et non de celles dictées par Erdogan”.

Et à Stockholm on essaie de définir un plan B! Quelle feuille de route privilégier si Erdogan, même après les élections en Turquie, continuait de s’opposer à l’adhésion de la Suède? C’est la question que pose Dagens Nyheter à Stockholm: “Nous avons obtenu de grandes promesses de protection, notamment de la part des Etats-Unis. Une attaque russe sans riposte de l’Otan est inconcevable, affirme le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg. Mais l’Otan ne peut se résumer à des promesses verbales. Ce que l’alliance fait en pratique est tout aussi important: planification concertée de la défense, exercices communs. Cela donne du poids aux garanties de sécurité. (…) Dans l’hypothèse où la Suède resterait bloquée [par la Turquie], le gouvernement doit se faire une idée claire du processus qui doit permettre au pays de rallier l’Otan”.

En cherchant à diviser l’Otan, Erdogan rend un service à Moscou, et cela ne fait pourtant l’objet d’aucun débat en Turquie. In fine, cela pose d’ailleurs plus de questions sur l’Otan que sur la Turquie…

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