Carte blanche

Ce que le secteur pharmaceutique pourrait apprendre du secteur des semiconducteurs

Le secteur pharmaceutique pourrait prendre exemple sur le secteur des semiconducteurs et coopérer davantage pour rendre l’innovation plus rapide, plus efficace et moins coûteuse, avec la perspective de renforcer le leadership de la Belgique dans ce secteur clef affirme Olivier Rousseaux, Director Venture Development à imec.

Oubliez la bière et le chocolat, le produit d’exportation numéro un de la Belgique ce sont les produits pharmaceutiques. Chaque jour, 150 millions d’euros de produits biopharmaceutiques sont exportés de Belgique, ce qui fait de nous un des leaders mondiaux dans ce domaine de pointe. La meilleure façon de consolider cette position de leader tout en étant encore plus agile pour répondre aux pandémies à l’avenir est de s’engager pleinement dans l’innovation. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsque beaucoup d’argent est en jeu.

Le développement d’un nouveau médicament coûte en moyenne 1,1 milliard d’euros (Journal of the American Medical Association). En outre, il exige des infrastructures de pointe et des connaissances dans toute une série de domaines de recherche qui évoluent rapidement. Lorsque de telles sommes sont en jeu, les entreprises gèrent leurs risques et leurs intérêts avec la plus grande prudence.

Aujourd’hui, cela se traduit entre autres par une application stricte et particulièrement défensive du droit de la propriété intellectuelle : les entreprises pharmaceutiques protègent étroitement leurs travaux de laboratoire contre les concurrents. C’est un réflexe logique. Mais il y a un effet secondaire non désiré. Si, au cours du processus de développement, ils découvrent des idées qui peuvent être utiles dans d’autres domaines, ces connaissances restent souvent chez le découvreur, même si l’entreprise en question ne les utilise pas nécessairement. Ainsi, l’utilisation de la connaissance générée n’est pas optimale et des opportunités substantielles peuvent rester lettre morte. Inversement, il arrive fréquemment que des concurrents développent en parallèle des méthodes ou innovations équivalentes, en supportant chacun séparément l’entièreté du coût de développement ce qui représente in fine un surcoût de développement et une allocation sous-optimale des moyens techniques, humains et financiers pour arriver à l’innovation souhaitée.

Vers un cadre de recherche coopératif?

Un regard sur le secteur des semiconducteurs suggère une manière alternative d’organiser la recherche autour des technologies fondamentales nécessaires au développement du secteur. Comme les médicaments, les semiconducteurs sont incroyablement complexes et coûteux à développer. Une infrastructure de pointe  au  coût prohibitif et un pool de talents et compétences uniques sont nécessaires. Comme dans le domaine de la pharma, les enjeux financiers et stratégiques sont considérables et les entreprises doivent gérer leurs risques avec le plus grand soin. Mais l’industrie des puces a choisi une voie radicalement différente pour y parvenir : la collaboration.

Bien que les concurrents conservent des brevets sur leurs produits commerciaux, ils travaillent constamment ensemble pour améliorer les processus de fabrication fondamentaux, mener des études de faisabilité, former le personnel, tester de nouveaux matériaux et, en fin de compte, développer les prochaines générations de technologies de semiconducteurs. La propriété intellectuelle qui en résulte est partagée entre les partenaires, ce qui permet, par exemple, aux fabricants de puces, de systèmes et de dispositifs d’innover ensemble. Conclusion : aller dans une même direction ensemble permet non seulement de répartir les risques, mais aussi de partager les coûts et, au final, de progresser plus rapidement.

Qu’en est-il des brevets ? Les acteurs principaux de l’écosystème de l’électronique et des semiconducteurs focalisent leur propriété intellectuelle aux innovations dont ils ont réellement besoin pour protéger les avantages compétitifs distinctifs de leurs produits (performance, fonctionnalité, coûts de fabrication). Le reste est partagé. De cette manière, ils gardent la possibilité d’investir dans la recherche et le développement avec leurs concurrents. Ce cadre “coopératif” a été la force motrice des progrès stupéfiants réalisés par l’industrie des puces au cours des dernières décennies. Le résultat : le smartphone dans votre poche, qui est environ un million de fois plus puissant que l’ordinateur de la NASA qui a envoyé le premier homme sur la lune en 1969. Imaginez que vous puissiez libérer cette impressionnante puissance d’innovation dans le domaine des technologies pharmaceutiques et médicales.

L’innovation comme barrage contre les pandémies

Une industrie ne change pas du jour au lendemain. Pourtant, le besoin d’évolution est patent dans le domaine de la santé avec un besoin d’adaptabilité accru et des coûts de développement qui explosent rendant l’innovation de moins en moins finançable. Les experts préviennent que nous ne sommes pas suffisamment préparés aux futures pandémies. Et avec le vieillissement de la population, le nombre de patients atteints de cancer devrait également augmenter. Nous devons donc renforcer la ligne de défense de nos soins, et pour cela, il est essentiel de laisser plus de place à l’innovation dans le secteur pharmaceutique. Comment faire pour créer cet espace ? En répartissant les investissements dans les infrastructures et en créant des partenariats interdisciplinaires. Il ne s’agira pas seulement de partenariats entre entreprises pharmaceutiques, mais aussi entre les secteurs pharmaceutique et technologique, par exemple. Les technologies de semiconducteurs, des puces et nanomatériaux, développés initialement pour les technologies de l’information et de la communication, ont commencé à révolutionner le domaine des applications médicales, et sont appelées à redéfinir le secteur.

Nous pouvons attendre des innovations spectaculaires de ces solutions interdisciplinaires. La vedette de la pandémie Covid en est un bel exemple la technologie ARNm qui sous-tend les vaccins de BioNTech et Moderna. L’ARNm est à la croisée des mondes numérique et médical : il s’agit d’un code court qui donne à une cellule des instructions, par exemple pour produire une protéine qui déclenche une réponse immunitaire. Compiler un tel code d’ARNm est beaucoup plus facile, plus rapide et moins coûteux que de fabriquer des cellules, car il ne s’agit pas de matière vivante. À terme, l’ARNm rendra possibles des traitements sur mesure, tout en apportant une réponse aux maladies rares et des traitements plus efficaces pour des maladies telles que le paludisme, Ebola et le VIH.

Avec une industrie pharmaceutique à la pointe et une compétence unique dans le développement des semiconducteurs et nanotechnologie, la Belgique dispose d’un écosystème tout à fait unique pour être le berceau de ce nouveau modèle. Cela représente une opportunité unique de renforcer notre avantage dans le domaine de la pharma et des soins de santé et d’accroître encore notre position de force dans le secteur au moment ou il s’apprête à entamer une redéfinition en profondeur.

Olivier Rousseaux, director Venture Development imec

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