L’épargne-pension est secouée par les turbulences du marché

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Mais sur le long terme, les fonds de pension continuent à battre largement l’inflation.

A côté des changements de législation qui peuvent impacter leurs pensions, les indépendants ont également trouvé une autre pierre dans leur jardin: l’impact des turbulences des marchés. Mais ils ne sont pas les seuls: tous ceux qui ont souscrit à des fonds de pension ou à des contrats d’assurance autres que ceux à rendements garantis ont également été secoués.

Le deuxième pilier

Petit rappel tout d’abord, car la famille des produits d’épargne-pension qui s’adressent aux indépendants et aux salariés est large. A côté de la pension légale (premier pilier), on trouve d’abord les instruments de pension complémentaire, ce qu’on appelle le deuxième pilier. Pour les salariés, il s’agit de produits souscrits dans le cadre de leur contrat d’emploi: une assurance groupe ou un fonds de pension mis en place par un secteur ou, pour les grandes entreprises, par l’entreprise elle-même. Ces fonds du deuxième pilier représentent une masse de plus de 40 milliards d’euros (43,3 milliards fin 2020) pour un peu plus de 2 millions de “participants”.

Pour les indépendants, il existe un outil particulier, la PLCI (pension libre complémentaire pour indépendant) qui est en fait une assurance à rendement garanti, de type branche 21, assortie d’un avantage fiscal (les primes versées sont déductibles comme frais professionnels, et lorsque vous touchez le capital, vous ne payez que des cotisations Inami et de solidarité, mais le capital qui est perçu ensuite est exonéré d’impôt).

Les indépendants en société peuvent aussi bénéficier d’un EIP (engagement individuel de pension) qui est constitué par leur société et qui est aujourd’hui dans le viseur du ministre des Finances. Ils peuvent aussi, à titre individuel, souscrire à une CPTI (convention de pension pour travailleur indépendant) qui sera investie dans un fonds d’assurance de type branche 21 (rendement garanti) ou 23 (sans rendement garanti mais avec risque et espoirs de rendements plus élevés) ou un mélange des deux (les fonds de la branche 44).

Le troisième pilier

Les indépendants, comme les salariés, peuvent aussi se reposer sur un troisième pilier et se tourner vers des instruments d’épargne-pension individuels, soit en souscrivant à un fonds de pension bancaire (comme Star Fund d’ING, BNP Paribas B Pension Growth, Pricos chez KBC-CBC, Belfius Pension Fund, etc.), soit à une assurance retraite, avec les avantages fiscaux afférents. Environ 1,8 million de Belges ont investi dans un fonds de pension bancaire et un nombre similaire a une assurance pension. Et les montants ne sont pas négligeables: une vingtaine de milliards d’euros se trouvent dans les fonds de pension bancaires et les réserves des assurances épargne-pension dépassent les 17 milliards.

Le quatrième pilier

Et puis, il y a un quatrième pilier: l’épargne libre. Celle-ci ne donne pas droit à un avantage fiscal particulier, mais elle est évidemment un élément important dans lequel on peut aller puiser lorsqu’on termine sa carrière professionnelle.

Les turbulences subies par les marchés l’an dernier ont été particulièrement sévères mais elles n’ont pas affecté tous ces instruments de la même manière. Ce sont surtout les fonds de pension et ceux de la branche 23 qui ont été touchés. Car c’était la première fois, en plus d’un demi-siècle que l’on assistait en parallèle à une baisse des actions et des obligations.

Une malheureuse première

En général, lorsque le marché des actions subit une crise, les investisseurs se replient vers les obligations dont les cours montent. Mais l’an dernier face aux divers chocs subis par l’économie et au réveil de l’inflation, les épargnants ont essuyé à la fois une baisse des Bourses et une chute des cours obligataires. Les fonds de pension ont donc connu une année agitée.

En octobre dernier, PensioPlus, qui regroupe les fonds de pension du deuxième pilier observait qu’au cours des six premiers mois de 2022, le rendement nominal de ces fonds avait baissé de 13%. En ajoutant l’impact de l’inflation, la baisse des rendements réels dépassait les 18%.

Même impact du côté du troisième pilier. Un investisseur qui aurait mis 100 euros dans un fonds de pension le 1er janvier 2022 se retrouverait 12 mois plus tard avec environ 84 euros seulement. “La baisse de l’actif net sur un an s’élève à 15,9%, observe Marc Van de Gucht. Mais elle était de 18% à 19% à la fin du troisième trimestre.”

La valeur d’actifs net des fonds de pension est en effet passée de 25,5 milliards fin 2021 à 20,7 milliards à la fin du troisième trimestre. Mais cette évolution n’est pas seulement due à la baisse des marchés. Il faut aussi compter sur les variations de volumes entre les épargnants qui demandent à sortir et ceux qui versent de l’argent. Toutefois, dans le segment des fonds de pension, on observe encore un montant positif de souscription nette: les “entrées” ont été plus importantes que les “sorties”.

L’année 2022 n’a donc pas été un bon millésime. “C’est en effet la première fois que tant les obligations que les actions baissent en même temps, souligne Marc Van de Gucht, directeur général de Beama, l’association belge des gestionnaires de fonds. Les cours des obligations peuvent encore baisser car les banques centrales continuent d’annoncer un relèvement des taux. Mais cette tendance devrait s’arrêter à un moment donné. N’oublions pas non plus que sur les obligations, la moins- value reste théorique tant que les investisseurs restent dans les fonds. Et si les obligations sont gardées jusqu’à échéance, elles sont remboursées à 100%.”

Un rappel d’autant plus important que le détenteur d’un fonds de pension n’est pas obligé de sortir lorsqu’il part à la retraite. S’il n’a pas besoin de cet argent, il peut conserver son fonds et attendre un moment plus propice pour sortir, lorsque les marchés auront retrouvé des couleurs.

Tassement des souscriptions

Ces turbulences ont cependant eu un effet évident sur les souscriptions. Belfius note “un nombre d’ouvertures de comptes d’épargne-pension appréciable, mais en recul de 7% par rapport à 2021”. La banque précise que l’an dernier, “les montants versés ont enregistré une croissance plutôt limitée, soit 1,2% par rapport à 2021”. Le phénomène est général: en 2021, les fonds de pension du troisième pilier avaient attiré 800 millions de souscriptions nettes (les apports moins les sorties). En 2022, sur les trois premiers trimestres (seuls chiffres disponibles), on ne compte plus que 300 millions.

Le détenteur d’un fonds de pension n’est pas obligé de sortir lorsqu’il part à la retraite. Il peut conserver son fonds et attendre un moment plus propice pour sortir.

Du côté des assureurs, les chiffres de l’assurance pension en 2022 ne sont malheureusement pas encore disponibles. Néanmoins, on constate ces dernières années une lente érosion des primes versées: 1,17 milliard en 2019, 1,16 milliard en 2020, 1,09 milliard en 2021… Cependant, cette érosion ne s’explique pas, loin de là, par l’état de nervosité des marchés car la toute grande majorité des polices du secteur sont souscrites dans la famille de la branche 21, celle qui offre des rendements garantis. En 2021, cette branche représentait 93% des réserves en assurance pension, observe Nevert Degirmenci, porte-parole d’Assuralia, le lobby des assureurs.

Toutefois, lorsque les taux étaient très bas, ces produits d’assurance n’ont en général pas été poussés par les assureurs car leur rentabilité pour les compagnies était très faible. Sans doute les reverra-t-on ressurgir lorsque les obligations offriront à nouveau des rendements élevés, permettant de garantir des rendements plus généreux.

La balance risque-rendement n’est pas le seul élément qui oriente l’épargnant vers tel produit plutôt que tel autre. L’horizon de placement, les incitants fiscaux ou, à ne pas négliger, la hauteur des frais de gestion et de souscription qui vont venir grever le rendement entrent également en considération.

On note, par exemple, une tendance à se tourner vers les instruments qui offrent des commissions peu élevées. “En ce qui concerne les nouvelles ouvertures, nous constatons que le fonds Belfius Pension Fund Balanced Plus a le plus de succès. Ce fonds d’épargne-pension se distingue par le fait qu’il applique 0% de frais d’entrée. Les versements dans ce fonds ont été supérieurs de 6% à ceux de 2021”, observe Belfius.

Investir à long terme et en continu

S’ils ont pu affecter les instruments d’épargne-pension et les comportements des épargnants, les soubresauts des marchés remettent en question l’utilité d’une épargne-pension. Au contraire, puisque la meilleure manière de résister aux fluctuations des marchés consiste à investir en continu. “Comme on ne peut jamais acheter au plus bas et sortir au plus haut, nous conseillons donc d’investir régulièrement, petit à petit”, affirme Marc Van de Gucht.

Comme on ne peut jamais acheter au plus bas et sortir au plus haut, nous conseillons donc d’investir régulièrement, petit à petit.”

Sur 37 ans et demi, les fonds de pension du deuxième pilier affichent en moyenne un rendement net (donc corrigé de l’inflation) d’un peu plus de 4%. Les fonds de pension du troisième pilier présentent des performances similaires: “Sur le long terme, soit une trentaine d’années, un fonds de pension procure en moyenne un rendement de 4% après inflation”, affirme Marc Van de Gucht, qui ajoute qu’ “évidemment, on ne peut pas promettre ce type de performance pour les 30 années à venir: un rendement passé ne présage jamais un rendement futur”.

Malgré les chocs de ces derniers mois, les épargnants, et notamment les jeunes (40% des souscripteurs l’an dernier ont moins de 40 ans) continuent d’investir dans cet outil. Une tendance confirmée par les banques: “Les jeunes sont bien conscients du fait qu’il vaut mieux qu’ils commencent leur épargne- pension rapidement. En 2022, 47% des nouveaux comptes (pour une souscription à un fonds d’épargne-pension, NDLR) ont été ouverts par des clients de moins de 30 ans”, constate Belfius.

Ajoutons un dernier élément: l’impact à court terme de la baisse des marchés ne fragilise pas le secteur. La structure du marché belge est très différente de celle du marché britannique où les fonds de pension avaient été fortement bousculés fin de l’an dernier. “Les fonds de pension doivent toujours détenir suffisamment d’actifs correspondants pour couvrir leurs obligations de pension. Ce ratio de financement est et reste plus qu’adéquat au niveau sectoriel, malgré les turbulences des marchés financiers, et ce, principalement grâce aux réserves constituées dans le passé dans lesquelles les fonds de pension peuvent puiser”, rassurait PensioPlus à la fin de l’an dernier.

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