L’activisme actionnarial gagne du terrain: ou quand les investisseurs se font entendre

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Les actionnaires tentent de plus en plus d’orienter le cours de leur entreprise. Et bien souvent, l’investisseur minoritaire arrive à ses fins, avec ou sans le soutien des grands acteurs.

“Nous sommes moins impuissants que nous l’imaginons”, a déclaré l’historien néerlandais Rutger Bregman dans une interview accordée à Knack après son passage remarqué au Forum économique mondial de Davos. De nombreux investisseurs minoritaires partagent cette opinion. Chez Global Graphics, une petite entreprise active dans le secteur du graphisme et cotée sur Euronext Bruxelles, un groupe d’actionnaires s’oppose farouchement à l’offre publique d’achat du président Guido Van der Schueren. Début mars, nous saurons qui aura obtenu gain de cause.

L’activisme actionnarial n’est pas un phénomène nouveau, y compris en Belgique. Ainsi des investisseurs de la Banque nationale revendique depuis plusieurs années une partie de l’or de la banque centrale. Mais les chiffres du fournisseur d’informations Activist Insight montrent une augmentation spectaculaire des révoltes d’actionnaires ces dernières années en Europe. Les investisseurs s’attaquent en particulier aux sociétés de petite à très petite taille cotées en Bourse. Un comportement symptomatique de l’air du temps. À l’instar des militants pour le climat qui accablent un ministre de messages et d’e-mails, les actionnaires n’hésitent pas à bombarder le conseil d’administration d’une entreprise de questions écrites. Le citoyen et partant l’investisseur ont désormais voix au chapitre. Les technologies modernes permettent aux investisseurs de se réunir plus facilement. Certaines organisations spécialisées comme Deminor défendent leurs intérêts, tout en s’appuyant sur un modèle d’indemnisation conflictuel avec les entreprises.

Actionnaires actifs

Une révolte d’actionnaires n’obtient pas systématiquement l’effet escompté. Des actionnaires minoritaires de la société de biotechnologie TiGenix ont ainsi mordu la poussière en essayant de forcer une offre publique d’achat plus élevée auprès du Japonais Takeda. Les investisseurs qui ont bloqué la sortie de bourse de la société spécialisée dans la production et la commercialisation de boissons Spadel ont eu plus de succès. Et personne ne s’en plaindra puisque l’action vaut désormais deux fois plus que ce que les actionnaires familiaux voulaient bien mettre sur la table en 2015. Chez ASIT Biotech, les actionnaires ont réussi à se débarrasser du CEO et du président à la fin de l’année dernière. De quoi donner des idées à d’autres investisseurs.

Les grands acteurs représentent une autre source d’inspiration pour l’investisseur minoritaire. Ces dernières années, des investisseurs institutionnels de premier plan tels que le fonds pétrolier norvégien et le fonds de pension des enseignants californiens CalPERS ont souligné l’importance d’une bonne gouvernance. Selon Charles Demoulin, associé au cabinet de conseil Deminor, ce genre de démarche aide d’autres acteurs institutionnels comme les fonds de pension et les compagnies d’assurances à se faire entendre. “Ils n’apprécient pas qu’on les qualifie d’activistes. Les véritables investisseurs activistes visent un rendement immédiat par le biais d’une fusion, d’une scission ou d’une offre publique d’achat plus élevée. Les gestionnaires d’actifs et les fonds de pension misent en revanche sur le long terme et préfèrent se considérer comme des actionnaires actifs.”

Bonne gouvernance

“Dans le passé, de nombreux investisseurs institutionnels étaient des actionnaires passifs”, explique Nelson Seraci, responsable du Special Situations Research auprès du Institutional Shareholder Services (ISS), une agence de conseil en vote aux grands investisseurs. “Si quelque chose leur déplaisait, ils vendaient leurs actions. Aujourd’hui, ils essaient d’abord de parler à la direction.”

“Les grands gestionnaires d’actifs peuvent détenir jusqu’à un millier d’actions dans leurs fonds. Impossible donc pour eux de se rendre dans toutes ces entreprises chaque année. Mais s’ils détectent un problème, ils en parlent”, poursuit Nelson Seraci. L’investisseur joue un rôle à cet égard. “Il attend de son fonds qu’il se comporte en actionnaire responsable et ne se contente pas de vendre une action. Les nouvelles directives européennes ont également toute leur importance. Celles-ci prescrivent que les partenaires institutionnels jouent un rôle actif tout en tenant compte non seulement des considérations financières, mais aussi des principes de bonne gouvernance.

Différentes armes

Il y a trois ans, Deminor a pris des mesures contre Volkswagen à la suite de l’existence d’un logiciel frauduleux sur certains véhicules diesel du constructeur allemand. Aujourd’hui, la société de conseil enquête sur Dankse Bank impliquée dans un scandale de transactions internationales suspectes à hauteur de 200 milliards d’euros. Charles Demoulin s’attend à ce que plusieurs investisseurs institutionnels se joignent à sa cause.

Selon lui, les actionnaires institutionnels et privés se battent avec des armes à la fois différentes et complémentaires. “Les investisseurs privés peuvent partager les mêmes intérêts, ce qui est susceptible de faire naître une alliance. Les grands investisseurs s’adressent à une entreprise et prennent leurs décisions lors d’une assemblée générale. Le vote s’opèrent par le biais d’une procuration. Ce genre de réunion prend tout son sens pour les particuliers. Ceux-ci ne représentent qu’une partie infime du capital et leur vote pèse moins lourd, mais ils peuvent plus facilement attirer l’attention de l’opinion publique ou de la presse, ce qui peut peser sur l’image d’une entreprise. C’est pourquoi ces assemblées générales restent essentielles.”

Enfin, les investisseurs minoritaires peuvent être à leur tour une source d’inspiration pour les investisseurs institutionnels. “Le plus important, c’est la qualité de l’idée”, conclut Nelson Seraci. “Si une proposition est valable, elle pourra aussi faire son chemin auprès des grands investisseurs.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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