Elroy Dimson: “A long terme, les actions constituent l’investissement le plus rentable”

Elroy dimson "Il est très difficile de faire mieux que le marché". © FRANKY VERDICKT
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Grâce au professeur Elroy Dimson, nous savons que, depuis le début du 20e siècle, les actions ont davantage rapporté que les obligations, l’art, le vin ou les timbres. Il est aussi persuadé que les actions sont un “must-have” pour les placements à long terme.

Elroy Dimson (71 ans) qui préside le Centre for Endowment Asset Management de la Cambridge Judge Business School et est également professeur de finance à la London Business School, ne fait pas son âge. Il doit sa notoriété principalement à son étude sur le rendement des actions et obligations depuis 1900. Il reçoit quasi quotidiennement des demandes d’informations de gestionnaires du monde entier, chargés d’investir de grosses fortunes à très long terme.

” Ce n’est pas l’argent qui manque, ni la volonté de le faire fructifier. ‘Investir dans quoi ?’ est une question récurrente “, déclare Elroy Dimson qui nous fait part du courriel d’une personne sollicitant un entretien d’une quinzaine de minutes. ” Il ment. Il sait pertinemment bien que cela durera plus que 15 minutes “, ajoute-t-il en riant.

TRENDS-TENDANCES. Quel conseil donnez-vous ?

ELROY DIMSON. Si vous visez le long terme, les actions constituent l’investissement le plus rentable. Les risques sont importants et des périodes de tassement sont à prévoir. L’histoire montre qu’un investisseur – qui ne veut rien perdre de son pouvoir d’achat – doit parfois faire preuve d’énormément de patience avec les actions. La durée de ces périodes varie d’un marché à l’autre. Aux Etats-Unis par exemple, on évoque une durée de 17 ans. Cela signifie donc qu’il y a eu par le passé des périodes allant jusqu’à 16 ans durant lesquelles les actions américaines ont fait perdre de l’argent aux investisseurs en termes réels. L’Autriche a quant à elle connu une période de 97 ans durant laquelle les actions n’ont pas réussi à compenser l’inflation. En Belgique, on a comptabilisé une période similaire s’étendant sur 58 ans.

Initialement, les fonds de pension et les assureurs investissaient à long terme mais ils ont cessé de leur faire.

Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour investir dans les actions quand on sait que certains investisseurs ont dû attendre si longtemps avant de retrouver leur mise.

Il y a toujours un risque de dévalorisation des actions. Raison pour laquelle il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. La diversification permet de limiter la prise de risque mais ne l’élimine pas totalement. Il faut investir l’argent dont on n’a pas besoin. Supposons que vous gériez le fonds d’une grande université destiné à financer les bourses d’études. Vous pouvez alors vous permettre un horizon d’investissement à long terme. Si la stratégie ne donne pas les résultats escomptés, vous ne pourrez financer les études que d’un nombre d’étudiants limité. Par contre, si vous devez gérer les deniers d’une petite université dont le toit de la chapelle fuit, vous risquez d’avoir besoin de cet argent plus vite que prévu. Une grande organisation caritative comme la Gates Foundation ou un fonds d’investissement public d’un Etat pétrolier, par contre, peut envisager d’investir une grande partie de l’argent en actions cotées. Pas tout mais une grande partie. Le fonds de pension public de Norvège, par exemple, investit 70% de l’argent en actions.

Recommandez-vous de diversifier dans d’autres actifs comme l’art et le vin ?

J’ai participé, avec un de vos compatriotes, Christophe Spaenjers, professeur associé de finances à HEC Paris, à une étude sur le prix des objets de collection de 1900 à nos jours. Ensemble, nous avons étudié entre autres le rendement des timbres britanniques les plus chers. Ensuite, je me suis penché sur la valeurs des grands crus car ma famille tient un négoce de vins depuis plusieurs générations. Nous avons reçu de Berrry Brothers, société de négoce active depuis 1698 à Londres, un historique des prix des premiers crus de bordeaux qui a servi de base à notre étude sur l’évolution des prix du vin. Pour résumer mon propos, nous sommes arrivés à la conclusion que des objets de collection de grande qualité rapportent davantage qu’un compte d’épargne ou des obligations peu risquées. Mais ils ne peuvent pas égaler le rendement des actions.

Elroy Dimson:

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à chercher un financement en dehors de la Bourse, excluant ainsi de fait les petits investisseurs. N’est-ce pas regrettable ?

Les autorités et les organismes de contrôle sont confrontés à d’importants dilemmes. Ils veulent d’un côté des marchés de capitaux florissants, de l’autre côté une protection optimale pour les investisseurs. Ils multiplient donc les règles pour faire en sorte que les entreprises ne fassent pas n’importe quoi et que les investisseurs ne soient pas grugés. Ces règles ont un coût pour les entreprises. Résultat : elles rechignent à faire leur entrée en Bourse. Le nombre d’entreprises cotées a chuté. Elles ne font plus la démarche car une cotation en Bourse implique beaucoup plus de contraintes que le private equity.

Toute cette réglementation destinée à protéger l’investisseur serait donc contre-productive ?

J’ai publié un article sur ce sujet dans le Journal of Finance en 2009 avec mon collègue David Chambers de l’université de Cambridge. Notre hypothèse de départ était celle-ci : la loi sur la protection des investisseurs doit rééquilibrer le prix payé par les investisseurs pour les actions fraîchement émises. Nous pensions que la loi contribuerait à niveler la différence entre le prix d’introduction et le cours après l’introduction en Bourse. Il n’en est rien. Du temps où il n’existait aucune loi destinée à protéger les investisseurs, le prix auquel les actions étaient proposées et le prix du marché étaient plus concordants.

Comment l’expliquez-vous ?

On marchait autrefois à la confiance. Il n’existait pas de fonds de pension anonymes qui achetaient des actions. Il n’y avait pas de gestionnaires qui investissaient l’argent des autres. Les nantis achetaient des actions mises en vente par les entrepreneurs. Ils investissaient au niveau local. Il y avait davantage de confiance et de continuité dans les relations investisseurs/entrepreneurs. Pas question d’enjoliver le discours précédant l’introduction en Bourse. Une réglementation excessive est un lourd fardeau. Les autorités, les organismes de contrôle, les avocats, etc., tous veulent résoudre les problèmes. En général, ils y arrivent à court terme mais à long terme, le monde n’en devient que plus complexe.

Elroy Dimson:

Vous travaillez souvent avec des fonds de pension…

Au début de ma carrière, je m’intéressais aux grands investisseurs institutionnels, à savoir les fonds de pension et les assureurs. Puis, j’ai commencé à m’intéresser aux investissements à long terme. Initialement, les fonds de pension et les assureurs investissaient à long terme mais ils ont cessé de le faire. Les fonds de pension font coïncider leurs investissements avec leurs futurs engagements. Ils calculent la valeur actuelle de ces engagements sur base de l’intérêt qui fluctue tous les trimestres. Si la valeur des engagements change, ils modifieront leur portefeuille en conséquence. D’où la difficulté d’adopter une vision à long terme.

Inquiétant, selon vous ?

Une génération subventionne la suivante. Les années fastes, les assureurs et les fonds de pension économisent un peu plus pour financer les années moins fastes. Le problème, c’est quand les vaches maigres précèdent les vaches grasses. Le défi pour ces investisseurs à long terme est leur date with destiny. Il se peut que vos petits-enfants soient licenciés et ne puissent plus assurer vos vieux jours. Mais tandis que les fonds de pension et les assureurs cessaient de jouer leur rôle d’investisseurs à long terme, une nouvelle catégorie d’investisseurs à long terme a vu le jour : les nantis, les familles riches, les family offices, les fonds d’investissement public, les organisations caritatives qui investissent l’argent de leurs bienfaiteurs pour générer des revenus, etc.

La Belgique est jalouse des sommes pharaoniques économisées pour la pension des Norvégiens.

La Norvège doit sa richesse à ses gisements pétroliers. Avez-vous déjà entendu parler du resource curse ? Cette terrible tentation de dépenser à laquelle doivent résister tous les pays riches en matières premières. Grâce à leurs réserves de gaz, les Néerlandais ont pu financer leur système social, la hausse des salaires, etc. Mais si on ne met rien de côté, le jour où les réserves de gaz et de pétrole s’épuisent, impossible d’encore répondre aux attentes du public. Le magazine britannique The Economist a qualifié de dutch disease cette propension à dépenser plus que de raison sans rien économiser mais on pourrait aussi bien parler de maladie britannique car les Britanniques ont littéralement gaspillé les richesses générées par la mer du Nord, si ce n’est que l’expression désigne déjà les mauvaises relations de travail. ”

Les Norvégiens voulaient à tout prix éviter de tomber dans le piège de la dutch disease. Ils souhaitent, au contraire, faire en sorte qu’un maximum de générations puisse profiter de cette manne providentielle. Le but du fonds de pension norvégien est de mettre suffisamment d’argent de côté pour les enfants des citoyens qui viennent de naître, voire les enfants de Norvégiens qui ne sont pas encore nés.

Le fonds de pension norvégien est devenu une sorte de référence en termes d’investissement éthique et durable. C’est assez ironique car le fonds est alimenté notamment par les revenus du pétrole.

La question revient régulièrement sur le tapis : l’Etat norvégien doit-il se défaire de ses intérêts dans l’entreprise pétrolière Statoil ( actuellement Equinor, Ndlr) ? De plus en plus d’investisseurs désapprouvent les carburants fossiles. Mais si l’Etat norvégien décide de céder ses actions Statoil, dans quelles mains passeront-elles ? On connaît le vendeur mais pas l’acheteur. Ne vaut-il pas mieux dialoguer avec l’entreprise et essayer de la pousser sur la voie de la durabilité ?

L’ESG ou Environmental, Social and Governance ne date pas d’hier mais suscite un intérêt croissant depuis quatre ou cinq ans. Sa popularité est étayée du point de vue marketing, rétorquent certains esprits cyniques. Les gestionnaires de patrimoine se trouvent piégés dans une sorte de compétition. Il est très difficile de faire mieux que le marché. Leur principal objectif est de réaliser de meilleurs résultats que les gestionnaires concurrents. Il est de bon ton de promettre à ses clients, en plus du rendement, d’investir exclusivement dans des secteurs jugés ” honorables “, de dialoguer avec les entreprises pour les inciter à s’améliorer, bref à induire une gestion responsable.

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