Rudi Vervoort: “Bruxelles ne sera pas une réserve naturelle, ni bétonnée à outrance”

© photos: debby termonia

Rudi Vervoort célèbre ses 10 ans à la tête de la Région bruxelloise. Si les débats autour du développement de la ville sont de plus en plus clivants, l’Everois ne désespère pas de trouver un juste équilibre entre production de logements, qualité de vie, espaces verts et immobilier abordable. Sacré défi.

Une décennie à tenter de laisser son empreinte sur la ville. Rudi Vervoort célèbrera le 8 mai ses 10 ans comme ministre- président de la Région bruxelloise. Si d’importantes avancées sont à relever en matière de logement et d’urbanisme, beaucoup de tensions et de critiques persistent. Tour d’horizon.

TRENDS-TENDANCES. Le logement et le développement territorial figuraient en tête de votre déclaration de politique générale en 2019. A un an de la fin de la législature, quel bilan tirez-vous de votre politique en la matière?

RUDI VERVOORT. Lors des négociations gouvernementales, il y avait une vraie volonté du PS de prendre ces deux compétences. Nous souhaitions booster la production de logements, qu’ils soient publics ou privés. Et aujourd’hui, quand on regarde les chiffres, nous pouvons être satisfaits du travail effectué.

Pour le logement public surtout…

En effet. Via les acquisitions clé sur porte au privé, nous avons pu augmenter significativement le parc de logements sociaux de qualité. Depuis 2019, on dénombre 3.900 logements sociaux construits ou en phase de construction, 2.215 nouveaux logements AIS (Agence immobilière sociale) ou encore 42.900 logements sociaux rénovés. Acheter des logements neufs clé sur porte a permis à la SLRB (Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale) de se concentrer sur l’enjeu de la rénovation du parc immobilier. Nous pouvons bien évidemment toujours faire mieux, mais c’est un bon bilan. Les deux crises que nous avons connues (covid et guerre en Ukraine) ont toutefois freiné nos ambitions. Ce contexte compliqué a également poussé les prix de l’immobilier vers le haut, diminué l’octroi de crédits hypothécaires et fait augmenter le nombre de locataires au-delà de 60% à Bruxelles. Ce n’est pas rien.

Si on interdit la location des logements F ou G, on va au-devant de sérieux problèmes…

Sur ce dernier point, votre volonté est justement de favoriser l’accès à la propriété ou de faire de Bruxelles une ville de locataires?

Favoriser l’accès à la propriété mais nous ne maîtrisons pas les hausses des prix. Il y a aujourd’hui un fossé qui est infranchissable pour bon nombre de ménages et qui les écarte de cet accès à la propriété. Même pour ceux qui disposent de deux revenus professionnels. Cette situation est notamment une conséquence de l’attractivité pour l’investissement immobilier. La réalité économique tend à favoriser la rentabilité des promoteurs, ce qui fait que nous arrivons très rapidement à un loyer de 1.000 euros, hors charges. C’est un problème car cela empêche les ménages d’épargner et de faire la bascule vers le logement acquisitif. Etre propriétaire n’est pas le graal mais force est de constater que nous sommes face à des ménages qui n’ont pas la capacité financière d’acheter malgré leur volonté de le devenir. Et c’est un problème.

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Le privé affirme qu’augmenter la construction de logements neufs permettra de diminuer les prix. D’où leur demande d’augmenter la cadence en matière de délivrance de permis. Vous partagez cette théorie?

Non. C’est un des paramètres mais ce n’est pas celui qui est le plus déterminant. La preuve, c’est que nous avons délivré beaucoup de permis lors de la précédente législature et je cherche toujours l’impact sur les prix… Pour les loyers, c’est la même chose, enrayer la hausse des prix est compliqué. Sauf pour le parc de logements qui est à la limite de l’insalubrité.

Justement, faut-il aller plus loin comme en Flandre ou en France, et actionner davantage le bâton en empêchant les propriétaires de louer leur bien s’ils ont un mauvais PEB?

Je pense qu’il faut plutôt développer des mesures incitatives, via notamment un mécanisme de tiers-investisseur. Il faut que le propriétaire s’y retrouve également financièrement. Le parc immobilier bruxellois est de piètre qualité. Si on interdit la location des logements F ou G, on va au-devant de sérieux problèmes…

Vu la hauteur du chantier, cette stratégie de rénovation vous paraît-elle réaliste?

Mais nous n’avons pas le choix. Le défi est gigantesque. Les mesures mises en œuvre portent déjà leurs fruits. Nous avons eu en 2022 une augmentation de 30% des demandes de primes. Nous devons également travailler sur la dimension sociale de cette accessibilité aux primes. Un public plus fragile ne doit pas se sentir exclu de la transition énergétique. De toute façon, cet enjeu va rejaillir sur bon nombre de nos politiques, que ce soit en matière de qualité de vie, de santé ou de mobilité. Ce sera un des grands défis de la prochaine législature. La décision autour du gel des loyers pour les logements qui possèdent un PEB F ou G va dans ce sens.

Une mesure qui était temporaire. Sera-t-elle prolongée?

J’y suis favorable. Mais cela dépendra d’un accord trouvé au gouvernement.

Quelles sont vos pistes de solution pour accélérer la production de logements neufs? Urban.brussels estime respecter les délais en matière de délivrance de permis. Le problème viendrait des recours en tous genres…

Nous pourrions en effet réfléchir à un mécanisme qui nous ramènerait à une vision plus ciblée de la concertation. C’est-à-dire de la concentrer sur les riverains qui sont véritablement concernés par le dossier. Aujourd’hui, si vous habitez Evere, vous pouvez faire une réclamation pour un projet situé à Uccle. Il serait intéressant de faire évoluer ce volet. Certains prennent du plaisir à introduire des recours un peu partout. Il faut surtout faire en sorte que le citoyen concerné soit informé, non pas jusqu’aux moindres détails, mais au moins sur les grands enjeux du projet tels que la densité ou la mobilité.

A Bruxelles, vous dites que ce sont les juristes qui font l’urbanisme. Comment reprendre la main alors?

Ce qui fragilise un permis, c’est quand il contient 10 dérogations et qu’il y a un défaut de motivation. Il faut tendre vers des règles qui définissent une vision, des grands principes de manière à être plus souple. Sur le RRU (règlement régional d’urbanisme) actuel, il est vrai qu’il faut encore effectuer certaines concertations pour éviter de mettre en œuvre un texte qui soit directement attaquable juridiquement. Il faut accepter que nous sommes entrés dans une société qui est devenue plus clivante par rapport à ces enjeux urbanistiques.

Les tensions n’ont semble-t-il jamais été aussi fortes sur les différentes visions que l’on peut avoir du développement de la ville. Le débat actuel oppose par exemple production de logements et maintien d’espaces verts. N’est-ce pas un échec d’en arriver là?

Jusqu’en 2019, le nœud de contestation principal était la mobilité. Cet argument était systématiquement mis en avant. Aujourd’hui, il a complètement disparu. Un des problèmes des promoteurs est d’ailleurs pour le moment de pouvoir vendre leurs places de parking… A Josaphat, les premières discussions portaient sur l’enjeu de la mobilité. On ne parlait pas du tout de biodiversité. Et aujourd’hui, cela a complètement switché. Avec en fait, le même résultat: s’opposer au projet. Car la volonté principale des opposants était surtout de ne rien voir se construire sur cette zone. Il faut tenir compte qu’il y a une fracture sur la manière de voir la ville. Dialoguer est donc essentiel. Mais mettre davantage d’espaces verts et dédensifier des quartiers de la première couronne sont des actions que nous mettons en œuvre et qui portent leurs fruits. On peut difficilement être contre.

Jusqu’en 2019, le nœud de contestation principal était la mobilité. Aujourd’hui, il a complètement disparu.

La dédensificaiton, on en parle beaucoup, mais est-ce bien concret?

Mais oui, nous avons déjà acheté des immeubles que nous rasons pour aménager des espaces verts à la place. Nous avons déjà créé, via les contrats de quartiers, 14 hectares. Et 50 hectares sont en projet. Ce n’est bien évidemment pas le Bois de la Cambre mais il s’agit vraiment de la requalification de zones urbaines.

A l’avenir, les projets de plus de 5.000 m2 auront comme charge d’urbanisme l’obligation de construire des logements sociaux. Pourquoi s’être contenté pendant longtemps d’une compensation financière alors que cette contrepartie semble la plus évidente dans un contexte de rendre le logement plus abordable?

Je défends cette mesure depuis longtemps mais, depuis 10 ans, je fais partie de gouvernements qui rassemblent ou ont rassemblé des partis différents. Il faut donc savoir faire des compromis. Et travailler par petits pas. Seul, j’aurais travaillé différemment.

Avec une majorité absolue, vous auriez vraiment avancé bien différemment?

Nous aurions davantage rééquilibrer les forces entre propriétaires et locataires. Je ne m’attaque pas ici aux bailleurs qui ont un ou deux appartements. Mais à ceux qui en ont 10 ou bien plus. Et ils sont très nombreux à Bruxelles. Leur contribution devrait être plus importante. Sur la grille des loyers, nous devrions également aller plus loin pour protéger les plus faibles.

On s’avance un peu, mais quels seront les grands enjeux de la prochaine législature en matière de développement territorial?

La priorité sera que l’entièreté du tissu bruxellois puisse effectuer une transition écologique et environnementale dans une majorité de domaines, que ce soit le logement, la mobilité ou la santé. Nous ne voulons pas faire de Bruxelles une réserve naturelle, ni la bétonner à outrance. Mais trouver le juste équilibre pour répondre aux défis urbains de demain. L’espace disponible va se raréfier, il va donc falloir reconstruire encore davantage la ville sur la ville. Et surtout reconstruire autrement. Il faut donc prévoir cela dans les réglementations. Les permis de bureau que nous octroyons aujourd’hui doivent intégrer des notions de réversibilité pour faciliter les reconversions. Ce qui n’a pas été fait auparavant, rendant dans la plupart des cas impossible techniquement la reconversion de bureau en logement. Et donc, trouver cet équilibre dans un contexte extrêmement clivant sur le développement de la ville, est une vraie priorité.

Et vous serez encore là lors de la prochaine législature pour relever ces défis?

On verra. Mais je suis toujours aussi enthousiaste.

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