Marché locatif: “Les propriétaires ont été gâtés”

Anneleen Desmyter, CEO de Yally: "Le marché résidentiel locatif fonctionne encore selon un paradigme très classique." © FRANKY VERDICKT

Le marché locatif privé belge a besoin d’une injection de qualité, affirme-t-on chez Yally. Présent actuellement en Flandre et sur Bruxelles, ce nouvel acteur du secteur veut durabiliser un patrimoine résidentiel vétuste et professionnaliser le marché de la location

Fin septembre, la société d’investissement cotée en Bourse Tinc et TDP, la joint-venture spécialisée dans les infrastructures créée par Belfius et Gimv, annonçaient le lancement de Yally. Dans le communiqué de presse, on pouvait lire que “Yally désire rendre les logements de qualité à faibles factures énergétiques plus abordables en achetant et rénovant de façon durable des habitations dans et autour des centres-villes”.

Le timing pouvait difficilement être meilleur: au même moment, l’explosion des prix de l’énergie monopolisait les premières pages des quotidiens. “L’idée initiale était d’associer le thème climatique à l’immobilier résidentiel, explique Anneleen Desmyter, CEO de Yally. Elle n’a pas changé, mais l’actualité nous a rattrapés. Aujourd’hui, les Belges s’inquiètent énormément du coût de leur logement, et plus spécifiquement de leur facture d’énergie.”

Les locataires sur le marché locatif privé sont particulièrement exposés, poursuit Anneleen Desmyter. Ils sont en effet très tributaires de leur propriétaire pour leurs dépenses énergétiques. “Et c’est souvent à ce niveau que le bât blesse, car de nombreux propriétaires n’ont pas les connaissances nécessaires pour entreprendre une rénovation énergétique”, poursuit Anneleen Desmyter. “Il faut dire que ce n’est pas une matière facile. Il y a également tout un groupe de propriétaires plus âgés qui n’ont tout simplement pas envie d’entreprendre une telle rénovation. Et pour un autre groupe de propriétaires encore, un investissement supplémentaire pèserait trop lourd pour le rendement visé.”

Yally est la contraction de “Your Ally'”, votre allié. La nouvelle société immobilière veut se positionner en alliée des propriétaires, des locataires et des pouvoirs publics. Notre pays se caractérise par un patrimoine résidentiel très âgé. Plus de 95% des logements ne satisfont pas aux exigences énergétiques contemporaines: “Il est irréaliste de remplacer tous ces logements par de nouvelles constructions, affirme Anneleen Desmyter. La conclusion est donc simple: il faut accélérer la rénovation du parc existant. Et c’est précisément notre objectif avec Yally, être un catalyseur pour la remise à niveau d’un patrimoine résidentiel trop âgé. Nous voulons administrer une injection de qualité dans trois domaines: l’énergie, la technologie et l’administration”.

ANNELEEN DESMYTER. Les petits propriétaires de maisons ou d’immeubles d’appartements à titre privé ou en société. L’important, pour nous, est qu’il soit possible d’acquérir le bien en pleine propriété, parce que cela facilite la rénovation et nous permet de lancer les travaux rapidement. Par conséquent, nous n’allons acquérir un immeuble d’appartements que s’il n’a qu’un seul propriétaire. De même, nous ne travaillerons que sur le marché locatif classique. Pas question donc de proposer des kots pour étudiants, des résidences-service… Nous remarquons également un intérêt de nombreux propriétaires-résidents. Ce sont souvent des personnes âgées qui appréhendent des travaux de rénovation, mais ne veulent pas déménager pour autant. Et nous pouvons en effet constituer un allié intéressant pour ces gens. Nous pouvons racheter l’habitation, entreprendre la rénovation énergétique et la relouer ensuite aux propriétaires initiaux. L’opération leur permet de rendre liquide le capital investi dans leur logement sans devoir quitter leur environnement. Sur le plan géographique, nous nous concentrons en premier lieu sur les centres-villes et plus spécifiquement l’axe Anvers-Gand-Bruxelles-Louvain.

Le marché immobilier wallon était moins intéressant?

L’objectif à terme est de déployer des activités en Wallonie, mais pour éviter de nous disperser, nous avons décidé de nous concentrer dans un premier temps sur la Flandre et sur Bruxelles. Et nous y avons déjà énormément de travail. Nous voulons ensuite faire tache d’huile dans le reste du pays.

Pensez-vous pouvoir exploiter suffisamment vos avantages d’échelle dans la rénovation d’immeubles individuels?

Nous sommes conscients que la tâche ne sera pas facile. Nous n’y parviendrons qu’en faisant preuve d’efficience et d’efficacité. C’est pourquoi nous misons au maximum sur la standardisation et l’automatisation. Le marché résidentiel locatif – et par extension l’ensemble du marché immobilier – fonctionne encore selon un paradigme très classique. Nous essayons de générer des avantages d’échelle dans ce produit particulier en reproduisant ce qui se passe dans d’autres secteurs et avec d’autres modèles. Mais nous n’avons pas non plus l’ambition de tout révolutionner. Pour nous, il est crucial de collaborer avec les producteurs et les installateurs.

L’immobilier existant est trop cher compte tenu de la faiblesse de ses performances énergétiques, affirment certains observateurs. Vous attendez-vous à une correction?

Le marché résidentiel belge est orienté à la hausse depuis un certain temps. Ce mouvement semble à présent se tarir, pour plusieurs raisons. Il y a la hausse des taux et l’augmentation des coûts de construction, auxquelles viennent encore s’ajouter diverses obligations destinées à améliorer les performances énergétiques des logements existants. Il est évident que cela se traduira par une baisse du prix d’achat des immeubles énergivores. Je m’attends donc à un plus grand sens des réalités dans la formation des prix. Il est également un fait que les propriétaires ont été gâtés ces dernières années.

Le marché locatif privé belge peut largement être considéré comme un marché résiduel. De nombreux locataires préféreraient acheter, mais ne disposent pas des moyens pour le faire. N’est-ce pas une configuration compliquée pour un grand bailleur qui veut générer des bénéfices?

Nous tablons sur une croissance du marché locatif en Belgique au cours des années à venir. Par rapport à des pays voisins comme les Pays-Bas et l’Allemagne, la part de locataires est limitée dans notre pays. Plusieurs tendances démographiques et sociales vont cependant alimenter le marché locatif. La composition des ménages est aujourd’hui beaucoup plus fluctuante. Les jeunes sont également moins casaniers, notamment en raison de l’évolution de leurs attentes en matière de carrière. L’époque où l’on travaillait 20 à 25 ans pour la même entreprise est révolue. Ce qui crée un plus grand besoin de flexibilité au niveau du logement et rend la location plus attrayante. Mais nous pensons que Yally peut également être une partie de la solution pour les locataires financièrement plus faibles. Car en améliorant la qualité énergétique des logements, nous pouvons garder le coût total du logement de nos locataires sous contrôle. L’accent sera donc placé sur les rénovations énergétiques, pas sur les rénovations totales. Installer une nouvelle cuisine pimpante n’est pas notre ambition.

Des acteurs comme Yally constituent-ils une menace pour le petit bailleur particulier?

Nous voulons racheter et rénover 300 à 400 logements en deux ans. Pour atteindre les objectifs climatiques, il faudrait en rénover environ 95.000 par an. Notre initiative va-t-elle impacter le bailleur particulier? A peine. Il restera un marché pour le petit propriétaire, j’en suis certaine. Notre stratégie consistant à conserver la propriété des immeubles rénovés et donc à ne pas les revendre rapidement montre également notre engagement à long terme. Dans un tel projet, on porte un regard différent sur les choix de matériaux, etc. Qualité, durée de vie et entretien pèsent plus lourd que le prix. Il subsiste également d’importantes marges de progression sur le plan administratif. Nous voulons créer du confort et de la facilité pour nos locataires, pas leur donner des maux de tête. Cette professionnalisation du marché locatif profitera aux locataires.

Disposez-vous des ressources suffisantes pour administrer cette injection de qualité?

Nous disposons d’environ 100 millions – sous la forme de capital et de financement bancaire – pour les deux premières années du programme d’investissement. Vu l’énorme intérêt que nous ressentons sur le marché pour notre initiative, je n’exclus pas que de nouveaux acteurs entrent dans Yally à terme. Mais aujourd’hui, nous nous concentrons avant tout sur les collaborations possibles avec des partenaires comme les producteurs, les installateurs ou les différentes instances publiques.

Et que se passera-t-il après ces deux ans? Une cotation en Bourse, éventuellement sous la forme d’une société immobilière réglementée, est-elle une ambition?

Ce n’est pas à l’ordre du jour aujourd’hui. Dans cette phase, nous ne voulons pas être freinés par des obligations de rendement à court terme. Nous voulons veiller à préserver nos possibilités et notre liberté d’expérimenter, de lancer de nouvelles initiatives. Avec une cotation en Bourse, c’est beaucoup plus compliqué.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENZ VERLEDENS / PHOTOS: FRANKY VERDICKT

Le marché résidentiel locatif – et par extension l’ensemble du marché immobilier – fonctionne encore selon un paradigme très classique.”

Nous voulons créer du confort et de la facilité pour nos locataires, pas leur donner des maux de tête.”

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