L’immobilier neuf pourra-t-il se relever de la crise ?

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Le manque d’appartements mis en vente combiné à une explosion des coûts de construction rend l’immobilier neuf de plus en plus inaccessible pour les acquéreurs et investisseurs. Si la raréfaction de l’offre permet aux promoteurs de maintenir des prix élevés, le retour de bâton n’est pas loin. Le sursaut n’est pas attendu avant 2024.

Le marché de l’immobilier neuf tourne clairement au ralenti ces derniers mois. Il n’y a d’ailleurs jamais eu si peu d’appartements mis en vente qu’actuellement à Bruxelles, à Namur et au Luxembourg, d’après les chiffres du bureau d’expertise immobilière de Crombrugghe & Partners. Dans la capitale, cette inexorable chute devient particulièrement inquiétante. Jugez plutôt: entre 2018 et 2022, l’offre est passée de 2.504 à 707 appartements en cours de commercialisation. Un effondrement de l’offre qui est au départ principalement lié à une question de délivrance de permis et de recours, à des problèmes de livraison de matériaux et de hausses des coûts de construction ensuite. Un contexte qui ne fait que plomber encore davantage les fragiles certitudes des promoteurs, eux qui naviguent clairement à vue pour le moment en matière de timing et de prix de vente. “La première étape a été de répercuter le manque à gagner sur le prix des logements, lance Kim Ruysen, directeur de l’agence immobilière Trevi. Les incertitudes autour des coûts de construction ont ensuite poussé les promoteurs à introduire des prix variables.

Mais cette situation n’est pas tenable. D’autant qu’elle n’est pas appréciée des acquéreurs et des banques. De plus en plus de projets sont donc reportés par les promoteurs. Auparavant, c’était les permis qui ne suivaient pas. Aujourd’hui, ce sont les promoteurs qui ne suivent plus. Une situation qui va perdurer jusqu’au premier trimestre 2023.” Et Philippe Mestach, responsable de l’immobilier neuf chez Latour & Petit, d’ajouter: “La situation est clairement problématique. Il y a une limite en termes de prix pour les acquéreurs et nous sommes en train de l’atteindre. Et le pire, c’est que les perspectives sont peu enthousiasmantes. Un retour à la normale en termes d’offre n’est pas attendu avant 2024. Et encore, rien n’est garanti.” Preuve supplémentaire de ce constat, les équipes des départements “neuf” des grandes agences immobilières se sont complètement vidées ces derniers mois par manque de travail, elles qui étaient déjà sur le fil du rasoir puisque de plus en plus de grands promoteurs internalisent la commercialisation de leurs appartements (BPI, AG Real Estate, Thomas & Piron, Immobel, etc.).

Un jeu d’équilibriste

Les promoteurs jouent en fait actuellement aux équilibristes. Ils doivent augmenter leurs prix de vente pour atténuer la hausse des coûts de construction tout en tentant de garder la frange de clients potentiels la plus large possible. Or, ils ne peuvent aller beaucoup plus haut, faute de quoi il n’y aura pratiquement plus d’acquéreurs. D’autant que ces hausses de prix s’accompagnent pour le moment d’une hausse des taux hypothécaires.

“Les acquéreurs occupants sont beaucoup plus touchés par ce double phénomène, d’où le fait qu’ils sont plus en retrait actuellement, explique Olivier Peeters, fondateur d’Oval et spécialiste de l’immobilier neuf. Sans parler du fait que chaque transaction prend beaucoup plus de temps. Pour les investisseurs, c’est un peu différent puisque le contexte inflationniste les pousse à placer leur argent et que l’immobilier est toujours la moins mauvaise solution.” Les investisseurs semblent en effet encore présents même si les calculs de rendement sont moins intéressants qu’il y a encore quelques mois. “Sans parler du fait que l’offre s’est clairement rétrécie, ajoute Philippe Mestach. C’en est terminé de comparer les projets. Au sud du Bruxelles, il n’y a, par exemple, pratiquement plus rien à vendre.” Et Eric Verlinden d’embrayer: “Le marché neuf ne sera clairement pas le moteur de la dynamique résidentielle dans les deux années à venir”. Ce qui est un problème car il est théoriquement chargé d’alimenter le marché en logements de qualité et d’également faire diminuer la pression sur les prix via une hausse de l’offre globale.

Report de projets pour sauver la mise

Si la promotion immobilière est un métier à risque, un palier supplémentaire a été franchi ces derniers mois. Les incertitudes qui planent sur les stratégies à mettre en place par les promoteurs pour assurer le développement de leurs projets résidentiels face à ce nouveau contexte restent grandes. “Ces stratégies sont, de plus, très variables d’un promoteur à l’autre, fait remarquer Pierre-Alain Franck, administrateur à l’Upsi. Certains augmentent leurs prix, d’autres reportent leur projet et d’autres encore se tournent davantage vers les partenariats public-privé pour écouler leur stock rapidement. Cela dépend souvent de la taille de l’entreprise et de ses besoins en fonds propres.”

Eaglestone et Thomas & Piron, par exemple, adoptent la même politique pour le moment, à savoir: poursuivre la commercialisation des projets positionnés sur des segments spécifiques. “Nous allons théoriquement recevoir deux permis dans les prochaines semaines pour des projets à Waterloo et Woluwe-Saint-Lambert, explique Sophie Lambrighs, CEO d’Eaglestone Belgique. Il s’agit de deux développements particuliers où l’offre en logements est faible et la demande des acquéreurs très élevée. Dès que nous recevrons nos permis, nous lancerons la commercialisation, en ayant quelque peu adapté nos prix de vente vers le haut. Je sais que certains confrères préfèrent reporter leur projet. Ce n’est pas la stratégie que je privilégie.” Un constat en tout cas partagé par Aubry Lefebvre, administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment: “Avec près de 3. 000 employés et ouvriers, nous ne pouvons pas nous permettre de reporter la commercialisation de tous les projets ou d’arrêter le développement de certains dossiers. Les projets urbains sont favorisés. Ils connaissent encore un certain intérêt. Nous tentons de compresser les coûts au maximum pour ne pas devoir trop augmenter les prix. Cette situation m’inquiète en tout cas car il y aura de moins en moins d’acquéreurs potentiels.”

L'immobilier neuf pourra-t-il se relever de la crise ?

Le besoin de logements durables

Les hausses des prix, même si elles éloignent donc certains acquéreurs du marché, sont actuellement compensées par la raréfaction de l’offre. Ce qui fait que l’on n’observe pas de ralentissement du rythme de vente. “Ce double phénomène permet en effet de maintenir un rythme de vente élevé, lance Serge Fautré, CEO d’AG Real Estate. Nous l’avons constaté pour Urban Court et Canal Wharf à Bruxelles ou pour le Parc de l’Alliance à Braine-l’Alleud, des projets où la commercialisation se termine. Pour le reste, nous n’avons pas pour le moment de projets en phase d’appel d’offres aux entrepreneurs. Nous ne devons donc pas arbitrer certains dossiers. Les incertitudes actuelles ne sont en fait qu’un risque supplémentaire auquel doivent faire face tous les promoteurs. Il faut l’accepter.”

Reste que les inquiétudes et incertitudes sont nombreuses. Si le besoin croissant de logements durables et de qualité peut rassurer les promoteurs, les difficultés des acquéreurs potentiels ne sont pas de nature à tendre à l’optimisme. “Mais le contexte actuel nous offre aussi des opportunités, positive Jacques Lefèvre, CEO de BPI Real Estate, qui vient de lancer deux projets à Auderghem et Etterbeek. Les acquéreurs souhaitent se tourner vers des immeubles zéro énergie et bien localisés, comme ceux que nous développons. Je préfère en tout cas lancer la commercialisation des projets plutôt que de les reporter. Les récents événements politiques ont en tout cas accentué le besoin d’immeubles durables permettant de réduire la consommation d’énergie et les émissions carbone. C’est une bonne chose.”

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