L’appétit wallon pour la logistique

CAINIAO, filiale logistique du chinois Alibaba présente à l'aéroport de Liège depuis 2021, contribue à compenser le recul des activités de Fedex. © BELGAIMAGE
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le déclin industriel a encouragé quasiment tous les partis wallons à soutenir le développement des aéroports malgré une opposition grandissante des riverains. Un lointain plafond d’activité a cette fois été mis en place.

Pour la première fois, l’aéroport de Liège va se voir imposer des limites de trafic. Le nouveau permis unique attribué par le gouvernement wallon plafonne son activité à 55.000 mouvements annuels (lire encadré). Cela lui laisse encore un potentiel de développement d’environ 40%. Pas de quoi ravir les opposants résolus à l’aéroport, mais cela pose une limite tout de même.

“C’est un compromis acceptable”, avance Christian Delcourt, porte- parole de Liege Airport. Le CEO de l’aéroport, Laurent Jossart, n’a pas souhaité faire de commentaire avant que le conseil d’administration ne se réunisse, vers la mi-février, pour examiner le détail du nouveau permis.

Ecolo: “Personne n’aurait pu obtenir plus”

Malgré une opposition de plus en plus vive et organisée au développement de l’aéroport de Liège, qui pourrait encore déboucher sur de nouveaux recours au Conseil d’Etat, la majorité wallonne a tenu bon. Elle n’a pas mis fin au soutien au développement des aéroports de la Région qui, depuis au moins 20 ans, a été renouvelé par toutes les majorités successives. Au nom de la création d’emplois.

Ecolo a toujours été réticent sans pourtant faire de blocage quand il participe à un gouvernement wallon comme c’est maintenant le cas. “Nous aurions préféré aller plus loin dans les limitations mais, vu le rapport de force, nous étions très isolés, continue Olivier Bierin, député Ecolo et vice-président du Parlement wallon. Personne n’aurait pu obtenir plus. Nous étions les seuls à demander des limitations aux décollages. Même l’opposition, les Engagés ou le PTB, y étaient défavorables.”

L’impact de l’aéroport de Liège sur l’emploi n’est pas contestable. Le Segefa, un département de l’ULiège, avait mesuré qu’il représentait près de 9.000 postes en 2018 (7.365 équivalents temps plein), directs et indirects. L’aéroport l’estime aujourd’hui à 10.000 emplois. Dans les exposés aux riverains préalables à l’instruction du nouveau permis d’environnement, le Segefa avait présenté ses perspectives d’ici 2040: 16.000 emplois en plus, près de 2,5 millions de tonnes, et 67.000 mouvements. “Avec la limite de 55.000 mouvements, la croissance de l’emploi pourrait être moindre, dit Christian Delcourt. La création d’emplois s’élève à 700 ou 800 postes par 100.000 tonnes supplémentaires.”

La progression de la logistique contribue à compenser les pertes d’emplois de la sidérurgie.” – BERNARD PIETTE (LOGISTICS WALLONIA

Compenser le déclin de la sidérurgie

La progression de la logistique contribue à compenser les pertes d’emplois de la sidérurgie, estime Bernard Piette, administrateur délégué de Logistics Wallonia, le pôle de compétitivité dédié à la logistique. La région liégeoise a particulièrement été touchée.

La Wallonie cherche à utiliser ses ressources, tels l’espace pour des parcs d’entreprises, dont la Flandre manque, et l’aéroport de Liège, bien relié à toutes les régions prospères du coeur de l’Europe occidentale. La logistique, qui inclut le transport et le stockage, a le vent en poupe et le développement de l’e-commerce lui donne des ailes et des roues. Selon le Forem, la logistique représente 52.966 emplois dans le sud du pays (4,9% de l’emploi salarié total) sur un total national de 231.726 postes pour le pays, dont 146.495 pour la Flandre (données 2020) qui bénéficie de ses ports, énormes sources d’emplois.

Après avoir misé sur le cargo et les colis express de TNT (repris par Fedex), l’aéroport accueille depuis la fin 2021 Cainiao, une base de la filiale logistique du chinois Alibaba. C’est la marque visible des effets du commerce électronique sur l’aéroport. Ce dernier contribue à compenser le recul des activités de Fedex, son premier client. Une restructuration a réduit de 65% les vols de ce champion du colis express, qui dispose d’un centre de tri. Il mise davantage sur le recours aux camions mais a réduit ses effectifs liégeois. Fedex a recentré ses activités de hub sur l’aéroport de Roissy (France) et utilise Liège comme hub secondaire.

Il est intéressant de noter que l’aéroport est un pôle d’attraction pour la logistique autour duquel se construisent des hangars et des installations qui ne sont pas forcément toujours liées à l’aérien. A côté de la zone aéroportuaire, où des sociétés de handling ont accès au tarmac pour charger et décharger les avions, et de Fedex et son centre de tri pour le colis express, il y a une zone de deuxième ligne. Tous les grands acteurs du fret sont présents, notamment Bolloré, Kuehne+Nagel, ou DB Schenker. A l’ouest de l’aéroport, le groupe Weerts a un projet d’entrepôts avec une surface de plus de 250.000 m2.

Il y a également un parc d’entreprises contigu à l’est, Liege Logistics, développé par l’agence de développement économique de la province de Liège, SPI+. Il est relié au réseau ferré et une plateforme multimodale y est active, permettant le transfert de conteneurs du rail vers la route (et inversement). Il accueille notamment des trains provenant de Chine. Toutes ces installations bénéficient de la proximité des autoroutes, surtout l’E42.

Ce soutien aux aéroports coûte environ 90 millions d’euros par an à la Wallonie. Les pouvoirs publics payent notamment les frais de sécurité et de pompiers des aéroports de Liège et Charleroi, subsides autorisés par la Commission européenne. Ce budget comprend le financement d’un programme pour limiter l’impact sonore des aéroports par le rachat de maisons ou par leur isolation, sur les périmètres où les nuisances sont les plus élevées (zones PEB). “Peu d’aéroports en Europe – je pense même aucun – ont été aussi généreux vis-à-vis de leurs riverains”, nous disait en mai 2022 Laurent Jossart, CEO de Liege Airport. La Région doit aussi parfois ajouter quelques dizaines de millions lorsque les tribunaux se prononcent sur des recours introduits par des riverains.

LE GROUPE WEERTS, déjà présent à Liège, a déposé une demande de permis pour la construction d'un mégaprojet logistique sur une surface de 250.000 m2.
LE GROUPE WEERTS, déjà présent à Liège, a déposé une demande de permis pour la construction d’un mégaprojet logistique sur une surface de 250.000 m2.© BELGAIMAGE

Un subside de 5.000 à 12.000 euros par emploi

Les emplois créés sont donc indirectement subsidiés. Chaque poste en équivalent temps plein représente presque 5.000 euros par an d’argent public (emplois directs, indirects, induits et catalytiques) ou 12.000 euros si l’on ne prend en considération que les emplois directs, indiquait un article paru dans le magazine en 2021 et qui se basait sur des études portant sur les créations d’emplois.

Les gouvernements wallons successifs ont-ils eu raison de miser sur la logistique, et de continuer à le faire? La progression de l’aéroport les encourage à ne pas changer leur fusil d’épaule. D’autres pays suivent la même voie. “Mondialisation, obsession du stock zéro, toutes ces tendances nourrissent le développement du secteur de la logistique et du transport qui est aujourd’hui l’un des secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois”, écrivent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, auteurs d’un livre fascinant sur les transformations de l’économie et de la population en France, La France sous nos yeux (Seuil).

L’aéroport est un pôle d’attraction pour la logistique, autour duquel se construisent des hangars et des installations qui ne sont pas forcément toujours liées à l’aérien.

Whirlpool ferme, Amazon ouvre

L’ouvrage mentionne un moment symbolique, lors des élections présidentielles de 2017, lorsque les candidats Emmanuel Macron et Marine Le Pen visitaient l’usine de Whirlpool à Amiens, qui allait fermer. Au même moment, “un entrepôt d’Amazon était en construction sur le même bassin d’emploi, à Boves”. Avec un fort soutien des autorités locales.

Reste la question de la qualité des emplois. L’industrie offre ou offrait un éventail de fonctions, d’opportunités de promotion pour des salariés qui pouvaient espérer progresser. “Sur une même chaîne se côtoient des opérateurs, des ouvriers qualifiés, mais aussi des moniteurs ou des ajusteurs. A chaque poste correspond un coefficient et un niveau de salaire adapté”, écrivent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, qui relèvent que le monde de la logistique propose surtout des carrières planes. “Ainsi, chez Amazon, les salariés ne sont classés qu’en deux catégories: ouvriers/employés ou agents de maîtrise”, ajoutent-ils. Ils concluent que la transition de l’usine à l’entrepôt reflète “un phénomène contemporain de la baisse en gamme du niveau des emplois populaires”.

Cette question n’est pas simple. La création d’emplois ne peut se limiter à des fonctions hautement spécialisées dans les biotechnologies et les start-up du numérique. Il faut aussi des postes pour des travailleurs peu ou pas qualifiés.

Revu et corrigé

Le gouvernement wallon a revu le permis unique attribué l’été dernier par l’administration régionale. En voici les principaux éléments:

– Un plafond de 55.000 mouvements (décollages ou atterrissages) pour les avions de plus de 34 tonnes et de plus de 19 passagers, qui représentent ensemble 85% du trafic.

– Un calendrier des quotas de bruits autorisé de 23h00 à 7h00. A partir de 2030, les avions dépassant le quota de 20 seront interdits (dont le Boeing 747 400).

La première version du permis plafonnait les mouvements à 50.000 et imposait un calendrier plus contraignant pour les plafonds d’émission de bruit des avions.

L'appétit wallon pour la logistique

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