Immobilier de luxe: “C’est le moment idéal pour vendre”

Le château de ter dael, à Pepingen (Brabant flamand), vendu par Sotheby's. © Sotheby's International Realty

La niche de l’immobilier de luxe ne semble pas affectée par la crise sanitaire. Au contraire, la demande de biens luxueux explose et les prix grimpent en flèche. Comment l’expliquer?

“Jamais les résultats n’ont été aussi bons qu’en 2020. Notre chiffre d’affaires a progressé de 40% par rapport à 2019.” David Chicard, directeur général de la branche belge de Sotheby’s International Realty, se dit même surpris par la vitalité du marché de l’immobilier de luxe: “Le premier confinement a suscité une foule d’interrogations et d’incertitudes. Nous n’aurions jamais cru que l’effet sur notre marché serait aussi positif”.

Stefaan Coucke, administrateur délégué de Dewaele Vastgoedgroep et responsable de Van der Build (la marque de luxe de Dewaele), parle même de “marché très dynamique, voire légèrement en surchauffe”.

La crise sanitaire, du pain bénit

L’immobilier de luxe n’est pas le seul marché à surperformer en Belgique. “On observe la même dynamique positive sur presque tous les marchés où nous sommes actifs, constate David Chicard. Notre réseau international a vendu pour 130 milliards de dollars d’immobilier de luxe en 2020, soit une augmentation de 15% comparé à 2019.”

Les chiffres de vente positifs illustrent une fois de plus que la crise sanitaire n’a pas provoqué de grave crise économique. Bien sûr, la croissance mondiale n’a pas été celle espérée mais grâce à toutes les mesures de soutien dans de nombreux pays, les revenus sont quasi identiques. Plus important encore pour l’immobilier de luxe: les fortunes familiales n’ont pour ainsi dire pas souffert. Dans son Global Wealth Report annuel, Credit Suisse montre que dans la plupart des pays, les pertes en capital subies de janvier à mars 2020 étaient récupérées dès le mois de juin.

Le contexte est favorable aux candidats vendeurs parce que l’offre est insuffisante. Nous conseillons donc aux propriétaires qui envisagent de vendre de passer à l’acte.

Stefaan Coucke (Van der Build)

La crise sanitaire est du pain bénit pour l’immobilier. Beaucoup ont tenu le raisonnement suivant: quitte à être enfermé dans sa bulle, faisons en sorte qu’elle soit la plus agréable et la plus confortable possible. D’où le rush sur les habitations à la campagne et les appartements aux terrasses spacieuses. “Il s’est produit comme une prise de conscience de l’importance de son habitation, observe David Chicard. Dans le segment du luxe également, cette prise de con-science a provoqué une explosion de la demande. Les budgets sont plus conséquents aussi: les candidats acheteurs n’hésitent pas à dépenser 5 à 10% de plus.”

Stefaan Coucke fait également état, à la côte surtout, d’un glissement de l’immobilier d’investissement vers les secondes résidences. “Plutôt que d’acheter un bien pour le mettre en location, beaucoup se sont mis en quête d’un logement dont ils peuvent jouir. Une tendance qui s’est vérifiée dans le segment intermédiaire à la côte et dans celui de luxe dans une moindre mesure.”

Tout n’est pas rose pour autant. L’interdiction des voyages en avion non essentiels a défavorisé les marchés très dépendants du public international (lire l’encadré “Marbella retient son souffle jusqu’à l’été”). Ce phénomène a également desservi le marché locatif bruxellois de l’immobilier de luxe. “La location aux diplomates, aux directeurs généraux et aux consultants a baissé quasiment de moitié”, constate David Chicard.

Marbella retient son souffle jusqu’à l’été

Marbella est un des principaux marchés de l’immobilier de luxe en Europe. La très mondaine station balnéaire de la Costa del Sol, dans le sud de l’Espagne, draine un public international. Les restrictions imposées aux voyageurs dans le cadre de la crise sanitaire sont évidemment défavorables au marché immobilier local. Ceci dit, les acheteurs internationaux ne se laissent pas si facilement découragés par la pandémie, assure Ralph Beuselinck, stagiaire belge actif sur le terrain pour l’agence immobilière Drumelia Real Estate. “L’impact est perceptible, reconnaît-il. L’interdiction de venir sur place pour visiter une maison a des conséquences indéniables. Mais l’intérêt pour les biens de prestige à Marbella n’a pas diminué pour autant, à voir le succès de nos visites virtuelles sur YouTube. C’est souvent le premier pas avant les video showings, une alternative populaire à la visite classique. L’agent fait le tour du propriétaire en ligne avec le client potentiel. C’est efficace mais, à quelques rares exceptions près, le candidat acheteur tient malgré tout à voir le bien de ses propres yeux avant de signer.”

Les candidats se bousculent pour prendre rendez-vous en été, à en croire Ralph Beuselinck. Tout le monde espère que les campagnes de vaccination permettront de voyager plus facilement. “Les ventes risquent d’être reportées mais pas annulées, poursuit Ralph Beuselinck. Nous constatons par ailleurs que les négociations prennent moins de temps qu’avant la pandémie. Acheteurs et vendeurs se mettent plus vite d’accord. Même si la rapidité est assez relative dans ce segment. Il faut facilement six mois, voire plus d’un an, pour boucler un dossier.”

Sierra Blanca, Marbella
Sierra Blanca, Marbella© Drumelia Real Estate

En dépit de la crise sanitaire, Drumelia Real Estate vient de clôturer deux ventes exceptionnelles. En février dernier, l’agence a vendu à Sierra Blanca une villa avec 13 salles de bains dans un domaine de 6.000 m2, estimée à 400 millions d’euros dans un article de Forbes en 2019. “Nous ne pouvons pas communiquer le prix de vente, précise Ralph Beuselinck. Mais le montant annoncé dans l’article de Forbes était légèrement surestimé.” A la mi-mars, Drumelia Real Estate a trouvé preneur pour la Villa Cullinan, dans le quartier très prestigieux de La Zagaleta. Le bien était proposé pour la bagatelle de 32 millions d’euros.

Offre en crise

Et si la demande de l’immobilier de luxe est certes toujours aussi forte en 2021, les courtiers s’inquiètent, de l’offre surtout. Les nouveaux biens ne sont pas légion. Dans sa lettre d’information, l’agent immobilier knokkois Alex Dewulf va jusqu’à parler de crise. “L’offre est nettement insuffisante, écrit-il. Sur la digue surtout, dans les quartiers résidentiels d’appartements et de villas, l’offre a atteint un plancher historique.” Alex Dewulf explique lui aussi ce phénomène par l’interdiction des voyages non essentiels. La demande est énorme car les Belges tiennent à leurs vacances, quitte à les passer dans leur pays. Quant aux candidats vendeurs, ils remettent leur projet de vente à plus tard pour les mêmes raisons.

Lathuy, en Brabant wallon.
Lathuy, en Brabant wallon.© Sotheby’s International Realty/ Gatien Baron

A en croire David Chicard, de nombreux propriétaires vendeurs potentiels attendent des temps meilleurs. “Il y a trois grandes raisons principalement pour mettre un bien luxueux sur le marché: décès, divorce et changement de la situation familiale, quand les enfants quittent le cocon familial par exemple. Dans ce dernier cas, les propriétaires se situent la plupart du temps dans la tranche d’âge de 55 à 75 ans, une population particulièrement exposée au risque de complications en cas de contamination. Ils sont manifestement dans l’expectative. Ils attendent leur vaccin.”

Même constat chez Stefaan Coucke. “C’est pourtant le moment idéal pour se défaire d’un bien, lance-t-il. Le contexte est favorable aux candidats vendeurs, précisément parce que l’offre est insuffisante. Nous conseillons donc aux propriétaires qui envisagent de vendre de passer à l’acte.”

Plus vite, plus cher

Le cocktail rareté de l’offre/forte demande met le marché sous pression. L’immobilier de luxe est un des segments les plus pondérés. Les acteurs prennent le temps de réfléchir avant de signer. Mais une certaine nervosité se manifeste depuis la fin du premier confinement qui a pour effet d’accélérer les ventes. “En temps normal, il faut compter six mois en moyenne pour trouver preneur”, témoigne Stefaan Coucke qui se base sur les données du site spécialisé Luxevastgoed.be. “Aujourd’hui, la plupart des biens se vendent dans un délai de quatre à six mois.”

Quand le vendeur est en position de force, il est normal que les prix s’envolent. “C’est le cas, confie David Chicard. Les prix demandés n’ont pas augmenté de façon significative mais la marge de négociation s’est fortement réduite. Dans l’immobilier de luxe, la marge qui s’élève habituellement à 10-20% est aujourd’hui limitée à 0-5%.”

La dynamique de l’immobilier n’est en tout cas pas près de s’essouffler, de l’avis de David Chicard. “Le marché devrait commencer à se normaliser et les prix se stabiliser en août, quand nous serons quasiment tous vaccinés. Mais une baisse des prix me semble peu probable.” Les collègues internationaux de David Chicard se montrent encore plus optimistes: 63% des agents Sotheby’s anticipent une hausse de prix des biens de prestige dans les trois prochaines années. Le spécialiste nuance l’impact d’un redressement économique sur le segment de luxe. “N’allez surtout pas croire que le virus a mis l’activité économique à l’arrêt. Les entrepreneurs sont toujours aussi actifs et l’argent circule toujours aussi bien.” Toujours selon le directeur belge de Sotheby’s International Realty, la menace d’une possible augmentation des taux d’intérêt laisse indifférent sur le marché de l’immobilier de luxe. Rares sont les acheteurs qui empruntent dans ce segment.

Appartement à uccle Les milléniaux s'inscrivent davantage dans le contexte urbain et renforcent la demande d'appartements luxueux.
Appartement à uccle Les milléniaux s’inscrivent davantage dans le contexte urbain et renforcent la demande d’appartements luxueux.© Sotheby’s International Realty

L’immobilier de luxe est devenu plus coûteux du fait du rétrécissement des marges, confirme Stefaan Coucke, qui n’est toutefois pas persuadé que la tendance à la hausse se maintiendra. “Nous vivons aujourd’hui dans une bulle, souligne-t-il. Le gouvernement fait l’impossible pour garder l’économie à flot mais dès le retour à la vie normale, il faudra bien payer l’addition. Avec l’impact psychologique que l’on devine. Il se fera sentir à tous les niveaux, y compris celui de l’immobilier de luxe, d’une manière ou d’une autre.”

Milléniaux en quête de luxe

Le marché de l’immobilier de luxe est aussi à la veille d’un important changement de génération. Les milléniaux – la génération née entre 1981 et 1996 – gravissent lentement mais sûrement les échelons du résidentiel et se rapprochent du segment du luxe. D’après le Luxury Outlook 2021 de Sotheby’s, plus d’un tiers des produits de ce segment ont été vendus à des milléniaux, un pourcentage qui devrait atteindre 45% d’ici à 2025. Cette évolution fera, tôt ou tard, tache d’huile sur le marché immobilier également. “Les milléniaux représentent aujourd’hui déjà la majorité des acheteurs et une clientèle en pleine expansion sur le marché de l’immobilier de luxe”, constate Don Kottick, CEO de Sotheby’s International Realty au Canada.

Les candidats acheteurs n’hésitent pas à dépenser 5 à 10% de plus.

David Chicard (Sotheby’s International Realty)

La différence de critères appréhendés dans le segment de luxe pourrait induire d’importants changements au niveau de la demande, selon le Luxury Outlook de Sotheby’s. Les jeunes acheteurs se montreraient plus regardants en termes de performances énergétiques et de critères écologiques en général dans l’acquisition d’un bien luxueux. David Chicard corrobore: “Les milléniaux sont plus pratiques et plus écologiques dans l’âme. Cela se traduit notamment par un intérêt plus marqué pour les biens relativement petits. Une propri- été d’une superficie de 1.000 m2 était plutôt la norme dans notre segment. Mais ce type de bien est plus difficile à vendre aux jeunes générations qui attachent davantage d’importance à la qualité qu’à la quantité.” Un constat qui s’applique à la superficie du jardin également, d’après Stefaan Coucke. “L’espace extérieur est toujours aussi important pour les jeunes acheteurs, poursuit-il. Mais s’ils ont le choix entre une villa en mauvais état avec un jardin de 4.000 m2 et une villa prête à emménager sur une parcelle de 1.000 m2 pour le même prix, ils opteront plus que probablement pour la deuxième.”

Les milléniaux attacheraient aussi beaucoup d’importance à la flexibilité, aux voyages, aux expériences et aux loisirs. Bref, leur mode de vie s’inscrit davantage dans le contexte urbain. Cette tendance renforcera-t-elle la demande d’appartements luxueux et de maisons de maître dans les villes? “C’est déjà le cas aujourd’hui, répond David Chicard. Même si la crise sanitaire a quelque peu freiné cette évolution. Le marché des villas dans la banlieue verte des grandes villes comme Bruxelles et Anvers a longtemps stagné mais l’intérêt pour ce type de biens, y compris de la part des jeunes, a littéralement explosé après le premier confinement.”

Le goût des jeunes entrepreneurs pour les vieux châteaux

Sotheby’s International Realty gère en Belgique un département entièrement dédié au marché des “grands domaines avec château ou manoir et centres équestres”. Une niche dans la niche mais un marché en pleine expansion, selon le spécialiste. En 2019 et 2020, celui-ci a vendu pas moins de 18 propriétés de cet acabit, réalisant ainsi un chiffre d’affaires supérieur à 67,5 millions d’euros.

A en croire Sotheby’s, ce segment est très prisé des jeunes entrepreneurs de 35 à 45 ans qui apprécient tout particulièrement le caractère unique et exceptionnel de ce type de bien immobilier, ainsi que sa valeur historique. L’agent précise bien qu’il s’agit de “propriétés habitables”. Certains châteaux méritent quelques travaux de rénovation mais ce sont tout sauf des ruines.

Le château D'olsene, en Flandre-Orientale.
Le château D’olsene, en Flandre-Orientale.© Sotheby’s International Realty

Ces propriétés arrivent généralement sur le marché suite à un changement de génération, constate Veerle Viérin, department manager de Sotheby’s. “Les propriétaires vendeurs sont dans la plupart des cas les enfants qui ont hérité du château. Nombre d’entre eux ont fait leur vie ailleurs, dans une autre région ou à l’étranger. Une division de l’héritage qui permettrait à un des enfants de reprendre le château est souvent impossible.” Toujours selon Veerle Viérin, ce type d’immobilier est une valeur sûre qui ne manque pas d’intérêt. “Les objets rares comme les châteaux sont très convoités, dit-elle. Pourvu qu’ils soient correctement rénovés et conservés, ils ne peuvent que prendre de la valeur.”

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