Comment la crise énergétique pousse au changement: “Nous sommes à un momentum pour transformer l’immobilier”

CÉDRIC MATTE (directeur du marché retail chez CBC), HÉLÈNE DE TROOSTEMBERGH (CEO de Build up), PAUL DE SAUVAGE (CEO du promoteur immobilier Actibel) et CÉDRIC PONCELET (architecte associé au sein du bureau de l'Arbre d'Or). © PHOTO: OLIVIER MATTHYS (ISOPIX)

Digitalisation, durabilité et accessibilité au logement. La banque CBC vient de dévoiler les trois principales tendances qui ressortent de l’édition 2022 de son Observatoire de l’immobilier. Quatre acteurs du secteur évoquent les dernières évolutions en la matière.

La banque CBC vient de publier une grande enquête sur le rapport des Belges à l’immobilier. On y observe que l’évolution des prix inquiète bon nombre de candidats acquéreurs et que, s’ils en ont les moyens, ils se tourneront dorénavant principalement vers des biens neufs ou conformes aux nouvelles normes de durabilité énergétique. Le tout dans un contexte où le volet digital les intéresse surtout pour réaliser des économies d’énergie. “Ces nouvelles tendances se reflètent clairement dans les crédits hypothécaires que nous avons octroyés ces derniers mois, fait remarquer Cédric Matte, directeur du marché retail chez CBC. L’activité ne fléchit pas, toujours dynamisée à 60% par les investisseurs. Les crédits verts explosent, les jeunes restent encore fort attachés au concept de propriété alors que le nombre de crédits pour les constructions est en croissance. La hausse des matériaux de construction n’impacte pas encore le marché. Les promotions immobilières se vendent bien. Par contre, les promoteurs qui ont des projets en cours s’interrogent clairement. Ils ne savent pas quelle sera leur marge dans trois ou quatre ans.”

L’immobilier belge semble en effet à un tournant. Sa stabilité a fait sa force ces dernières années, et le voilà qui vacille quelque peu sous les coups de boutoir de la hausse incontrôlée des prix, des taux hypothécaires et des matériaux de construction. Sans parler du volet énergétique qui devient de plus en plus prégnant et dont la rénovation annoncée du parc de logements ressemble à une véritable révolution. “Nous sommes clairement à un momentum dont il faut profiter, estime Hélène de Troostembergh, CEO de Build up, une start-up active dans la construction modulaire. La crise énergétique entraîne une prise de conscience environnementale que nous n’avons pas connue précédemment. Il y a la possibilité de créer des disruptions en matière de construction et de logement.” D’ici là, il faudra tout d’abord digérer toutes ces hausses de prix. “Elles sont clairement inquiétantes pour le client final, indique Paul de Sauvage, CEO du promoteur immobilier Actibel. Une augmentation de 1,2% des taux d’intérêt crée une baisse de 10% de la capacité d’emprunt. La remontée des taux va donc poser un vrai problème. La hausse des coûts de construction, d’environ 15% pour le moment, amène également une contrainte supplémentaire. Cela va créer une pression sur les biens.”

Ce contexte indécis perturbe en tout cas le secteur immobilier. Il pousse certains promoteurs à ne plus activer leurs permis et fait hésiter les entreprises générales de construction quand elles doivent remettre des offres. D’autant que chaque fournisseur tente de ne pas être celui qui cédera le plus de marge bénéficiaire. “Nous ressentons deux tendances, fait remarquer Cédric Poncelet, architecte associé au sein du bureau de l’Arbre d’Or. Un, les acteurs de l’immobilier qui ne connaissent pas bien un territoire ne désirent plus s’y aventurer, vu la baisse des marges. Ils se retirent de certains projets, ce qui renforce les acteurs qui connaissent bien ce territoire. Deux, on nous challenge de plus en plus dans la répartition spatiale des logements, en nous demandant de proposer davantage de produits qui vont séduire les investisseurs. Ils seront donc de plus petite taille et pourront attirer des locataires à plus faibles revenus. Il y a donc clairement une tendance à une réduction de la taille des logements.”

Diminuer la taille des logements est l’un des leviers qui peut en effet être actionné pour réduire leur coût. Reste que cette piste n’est pas partagée par tous, car elle entraverait quelque peu la qualité de vie des résidents. “Heureusement, il y a toujours une obligation urbanistique de concevoir des logements d’une certaine taille pour éviter les cages à poule, relève Hélène de Troostembergh. Par contre, nous tendons de plus en plus vers des logements évolutifs, où certaines cloisons peuvent tomber en fonction des choix de vie.”

“En Wallonie, 70% du bâti existant a plus de 30 ans, explique Paul de Sauvage. Démolir les bâtiments et les reconstruire est une piste. Dans d’autres cas, rénover l’existant est incontournable. Le problème, c’est que cette démarche est beaucoup plus coûteuse que de partir d’un terrain vierge et de proposer une construction plus industrialisée. Il faut donc trouver des solutions.”

L’évolution des techniques de construction devrait notamment permettre de passer dans une autre dimension. “En 2050, pas moins de 95% des bâtiments ne seront plus aux normes, explique Hélène de Troostembergh. Il est plus facile de les démolir et de les reconstruire. Mais ce n’est pas une bonne option en termes d’empreinte carbone. Du moins si on se lance dans une rénovation énergétique drastique et non dans une rénovation ‘sparadrap’. Si nous acceptons de rénover des quartiers entiers, nous pourrions être pionniers en la matière. Il est nécessaire de massifier ces rénovations via un scan des bâtiments, tout en gardant un volet architectural de qualité. Construire avec un impact carbone négatif n’est pas plus contraignant ou coûte plus cher que de construire de manière traditionnelle.” Et Paul de Sauvage d’ajouter: “Au-delà de la rénovation énergétique, il y a la rénovation classique à effectuer. Rien que dans le centre de Namur, un bâtiment sur trois est en mauvais état. Il faudrait 10 milliards d’euros pour les rénover”.

Un changement de paradigme semble donc bien obligatoire. “Les rénovations actuelles sont le plus souvent réalisées en fonction des primes qui sont octroyées, lance Cédric Poncelet. Soit un châssis par ici, un toit par là. Or, une rénovation complète est bien plus efficace. Les solutions existent mais il faudrait un acte politique fort qui encourage les constructions innovantes pour ne pas se retrouver avec le même problème dans 30 ans.”

La durabilité devient enfin un enjeu central. Tant en Wallonie qu’à Bruxelles ou en Flandre, des politiques sont mises en place pour accélérer la transition énergétique du bâti. “Les gens doivent arrêter de penser qu’ils vont léguer leur maison à leurs enfants car une maison aura dorénavant une durée de vie de 30 ans, vu l’évolution des performances énergétiques, fait remarquer Cédric Matte. C’est un vrai changement. Or, comme on le voit dans l’étude, peu de personnes ont déjà conscience de l’importance des performances énergétiques d’un bâtiment. Calculer le coût global d’un immeuble sera essentiel à l’avenir.”

Si remplacer une chaudière, installer des panneaux photovoltaïques ou isoler des murs permettra de faire un premier pas, c’est néanmoins un grand saut en avant qui est attendu. “Car il s’agit pour le moment d’une vision court-termiste, explique Hélène de Troostembergh. Pour parler de construction durable, il faut surtout analyser l’impact carbone de la construction. La nouvelle génération aura en tout cas davantage cette sensibilité vis-à-vis des matériaux durables, de la qualité de l’air et de l’habitat participatif.”

Depuis une dizaine d’années, des mesures sont en tout cas prises par les différents gouvernements pour faire évoluer les mentalités. Chaque Région avançant à son rythme. “La législation est déjà très poussée sur le plan énergétique pour le marché neuf, note Cédric Poncelet. Les marchés publics doivent donner une nouvelle impulsion. Ils devraient être exemplaires en matière d’impact carbone négatif.”

La digitalisation de l’immobilier reste encore faible. Les perspectives sont pourtant énormes. Et ce dans chaque segment de la chaîne de construction. “Nous observons dans notre étude que les gens ne sont pas encore prêts à souscrire un crédit en ligne, précise Cédric Matte. Le contact avec leur courtier ou leur banquier reste toujours essentiel. Et ce alors que les banques ont beaucoup investi sur ce parcours digital.”

En matière d’architecture, la digitalisation est pourtant déjà bien lancée. “Le BIM ( pour “Building Information Modeling”, Ndlr) est la plus grande avancée en la matière, explique Cédric Poncelet. Il permet de concentrer tous les acteurs sur une même chaîne de valeur. C’est un gain de temps énorme.”

Pour les promoteurs, si ce BIM permet de proposer à leurs clients une meilleure visualisation de leur projet, quelques réticences existent toujours. “Je ne crois pas à la maison entièrement connectée, lance Paul de Sauvage. Les acquéreurs non plus. Il ne faut pas tomber dans les excès. Toutefois, utiliser des outils liés à la performance énergétique ou à un contrôle de sa consommation sont des éléments clés. Par contre, je crois beaucoup à l’apport du digital dans les services aux personnes âgées. Pour un promoteur, le digital permet aussi de présenter un projet aux autorités le plus précisément possible.”

Pour Hélène de Troostembergh, à la tête de Build Up, le digital est par contre au centre de toutes les attentions. “La construction hors site digitalisée va nous aider à réduire les temps de construction de 50% et les coûts de construction de 30% via la robotisation. La maintenance du bâtiment sera également améliorée. La prochaine étape dans le BIM aura trait à la paramétrisation des maquettes. Ce sera une vraie révolution. Pour le moment, la construction modulaire reste embryonnaire. Mais les perspectives sont énormes. Ce sera la norme dans 10 ans, même si je ne suis peut-être pas objective ( sourire). La construction est le secteur qui a le moins évolué ces 60 dernières années. La productivité a très peu progressé. Il y a encore de nombreuses innovations à effectuer dans ce secteur.”

95%

des bâtiments ne seront plus aux normes en 2050.

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