Trends Impact Awards : “Pour tendre vers le bonheur, le travail doit être envisagé comme une nécessité”

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Le travail occupe une grande partie de nos journées. Il façonne largement notre identité et détermine notre place dans la société. Les auteurs de la BD Philocomix “Métro, boulot, cogito” se sont emparés de ce concept pour enclencher de nouvelles réflexions sur le bonheur au travail, en convoquant 10 grands philosophes. Entretien avec Jérôme Vermer, l’un des scénaristes de la BD, dans le cadre des Trends Impact Awards qui mettent à l’honneur des sociétés engagées dans le bien-être au travail.

Jérôme Vermer : Je ne me concentrerais pas sur un seul philosophe pour apporter LA réponse à cette question. Aucun philosophe ne prétend, en effet, répondre absolument à ce genre de questions, mais lance plutôt des pistes de réflexion. Je prendrais comme point de départ la philosophe Simone Weil. Son point de vue est intemporel. Il est le plus proche de la façon dont nous pouvons vivre et envisager le travail aujourd’hui.

Simone Weil nous dit que pour être plus heureux, pour tendre vers le bonheur, le travail doit être envisagé comme une nécessité. Il est un moyen de nous enraciner, de nous connecter au monde, et plus précisément au collectif, sous différents prismes, qu’il soit culturel, politique, religieux, amical,…

Il n’est pas possible, selon Weil, de s’épanouir sans aucun contact avec la société qui nous entoure. Le travail est nécessaire pour nous élever, nous déployer. Si nous ne travaillons pas, ou que nous n’avons jamais travaillé, nous sommes coupés de ce lien très riche avec l’autre. Travailler permet aussi de nous assurer une certaine indépendance. Évidemment, certains jobs permettent de davantage nous épanouir et développer nos compétences par rapport à des jobs plus répétitifs et aliénants.

Le travail est nécessaire pour nous élever, nous déployer.

Simone Weil se positionne aussi en porte à faux de la pensée marxiste qui prône de récompenser le travailleur à sa juste valeur. Pour elle, il ne suffit pas de donner plus de sens au travail en améliorant les conditions financières du travailleur et en lui offrant davantage de loisirs. C’est une fausse piste.

Pour Hegel, le travail permet de libérer l’individu, expliquez-nous…

Selon Hegel, le travail permet de nous émanciper, de devenir indépendant et d’accéder à une forme de liberté en acquérant des compétences. Pour trouver du sens dans son travail, l’individu a aussi besoin de palper le fruit de son labeur, alors que certaines fonctions ne donnent pas d’objectifs clairs, ont une finalité qui leur échappe dans une chaine logistique sans fin.

Dans ce contexte, comment peut-on (re)trouver du sens dans son travail ?

Pour retrouver du sens, la notion d’autorité est importante. Et quand je parle d’autorité ce n’est pas une autorité incarnée par un individu charismatique, mais plutôt l’autorité d’une idée, d’une société engagée. Certains individus trouvent davantage du sens à leur travail si leur entreprise, même si c’est une multinationale, promeut une politique engagée, par exemple, dans la préservation de l’environnement.

Pour retrouver du sens, la notion d’autorité est importante.

En suivant les préceptes du philosophe écossais Adam Smith, de nombreuses personnes pourraient éviter de faire de mauvais choix d’orientation professionnelle, ce qui diminuerait le chômage, mais aussi les burn-out

Pour le philosophe Adam Smith, l’humain a toujours fonctionné en se divisant les tâches. L’individu se répartit le travail en fonction de ses qualités individuelles qui lui sont propres. Il faudrait que la société ait l’intelligence de nous mettre chacun sur la bonne voie qui nous correspond dès le plus jeune âge pour éviter que nous nous retrouvions dans un “bullshit job”. De nombreux métiers sont en pénurie, car notre modèle éducatif ne les valorise pas suffisamment. Je pense notamment aux métiers manuels. De nombreux travailleurs, après avoir suivi de hautes études, s’engagent dans des fonctions qui ne leur sont pas adaptées. Il y a un réel problème d’orientation. Résultat : le taux de chômage, de burnout et de démissions explose.

Est-ce que le Covid et le télétravail ont changé notre façon d’aborder le bonheur au travail ?

Si nous sommes isolés par le télétravail et les nouvelles technologies, nous n’arrivons plus à nous enraciner. Nous ressentons alors moins ce sentiment d’appartenance qui est indispensable pour entrer en connexion avec le collectif et trouver notre propre identité. Les contacts, même superficiels, avec nos collègues lors d’une pause, avant ou après une réunion sont importants. Le télétravail nuit à cette collégialité, à ces petits moments de partage et de légèreté, en mettant la performance en priorité.

Si nous sommes isolés par le télétravail et les nouvelles technologies, nous n’arrivons plus à nous enraciner.

Les fonctions de “chief happiness manager” sont en vogue. Ces “managers du bonheur” ne forcent-ils pas les travailleurs à être heureux et de ce fait, répandent une politique de bien-être contreproductive en entreprises ?

Tout dépend de la manière dont la politique de bien-être est menée dans une société. Si cette dernière veut rendre ses employés heureux, ce n’est pas en leur offrant plus de salaire ni plus de temps libre que cela va aider. Il faudra donner aux travailleurs autre chose pour qu’ils trouvent du sens à leur fonction. Il faut que les individus travaillent ensemble pour une finalité qui résonne pour eux. Sinon, cela ne sert à rien.

Le philosophe britannique Bertrand Russell prône, de son côté, l’oisiveté. En quoi cette notion est-elle aussi importante pour être heureux au travail ?

Pour Russell, le travail procure du bien. Il est important de s’engager dans un travail source de satisfaction, de sens. Mais, à un carriériste, Russell dira qu’il ne trouvera pas le bonheur uniquement via son travail et qu’il doit aussi envisager d’autres activités variées. Il est important de s’accomplir à travers d’autres tâches du quotidien. Russell prône l’oisiveté, un temps que nous nous accordons pour nous épanouir autrement, pour nous éveiller en dehors du travail. Pétrarque disait déjà qu’il est nécessaire de se mettre en “off” et de prendre du recul, à travers la contemplation. Cela passe par la lecture, une activité artistique, méditative,…

Philocomix Tome 3 – Métro, boulot, cogito. Scénario : Jean-Philippe Thivet, Jérôme Vermer. Dessins : Mathieu La Mine

Trends Impact Awards :
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Faire face à la prochaine calamité

Mercredi 30 novembre, lors d’une soirée au Brussels Expo, Trends Tendances remet les premiers Trends Impact Awards à une dizaine d’entreprises particulièrement actives dans la concrétisation des Objectifs pour le développement durable des Nations unies. Economie circulaire, écologie, bien-être, résilience, digitalisation et diversité : ce sont des enjeux majeurs pour le monde économique.

Voici les lauréats éligibles au sein de la catégorie bien-être:

Sundo: un marketing rayonnant de santé

Mindlab, la plateforme pour le bien-être mental

Castaar, quand le merchandising soutient la société

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