Télétravail: la “slack rage” ou la puissance d’un émoji

© Getty

Beaucoup de collègues se sont moins vus depuis le début de la pandémie de covid. Le télétravail s’est depuis globalement ancré dans les habitudes. On communique donc beaucoup plus en ligne. La digitalisation des bisbrouilles au travail entraîne avec soi tout un lot de complications.

Avant, quand un collègue faisait naître une pointe d’exaspération, on pouvait soit lever les yeux au ciel, soit aller se calmer à la machine à café. Aujourd’hui, tout se passe de façon beaucoup plus feutrée et souvent par écrit. Si la rage est moins bruyante, elle n’en est pas moins violente. La communication en ligne aurait même tout d’une pétroleuse.

Réagir à vif, mais avec les preuves qui restent

Ainsi, on a parfois trop vite tendance à réagir dans l’instant sur, par exemple, slack, un programme de chat utilisé par beaucoup d’entreprises. On peut aussi se tromper de destinataire ou se défouler sur une conversation qui peut être vue par chacun. Autant de situations potentiellement riches en tension. L’agressivité aurait aussi augmenté d’un cran, car il est bien plus facile d’envoyer un message incendiaire à quelqu’un que d’avoir une “bonne conversation” de face. Surtout, et ça arrive de plus en plus souvent, lorsqu’on n’a encore jamais rencontré le collègue en question et que son avatar est un personnage de Marvel, par exemple.

Car, et c’est un autre aspect du télétravail, on rencontre moins nos collègues et cela a affaibli nos relations de travail. Cette tiédeur dans la relation fait baisser l’empathie, mais augmente aussi la méfiance, pour ne pas dire la paranoïa. Surtout en temps de crise où chacun veille jalousement sur son os. Ce genre d’ambiance peut vite dégénérer en tensions bien réelles pour le coup. D’autant plus que “les gens obtiennent un boost de dopamine en disant des choses négatives”, explique Tessa West, auteur et psychologue à l’université de New York dans le New York Times. “La récompense est plus intéressante que les conséquences.” De quoi largement encourager les mesquineries.

Télétravail: la
© Getty

Bien caché derrière leur ordi, beaucoup se sentent également plus à l’aise pour aller au clash, voire à se lancer des débats qui n’ont rien à voir avec le boulot. Comme Slack imite les médias sociaux, nous y transposons les mêmes comportements, y compris les esprits qui s’échauffent rapidement. “Slack est très différent de la plupart des outils utilisés sur le lieu de travail”, précise Dash, un cadre supérieur de la plateforme de collaboration Glitch dans The New York Times. “Il est intentionnellement très horizontal”, précise-t-il, “ce qui signifie que n’importe qui peut facilement envoyer des messages à n’importe qui d’autre et exprimer ses opinions”. Le seul avantage, c’est que cela efface quelque peu les lignes hiérarchiques. Les employés se sentent dès lors plus à l’aise pour exprimer une critique. Mais ça peut aussi très vite déraper.

Attention aux émojis et à leur double lecture

Pour rappel les émojis sont censés expliciter un sentiment que ce soit de la sympathie, de l’empathie ou encore de l’ironie. Il remplacerait donc le langage non verbal dans le monde digital. L’emoji peut donc être fortement sujet à interprétation, d’autant plus que les règles autour des émojis ne sont pas très stables. Tout le monde n’est en effet pas d’accord sur l’interprétation de tel ou tel émoji, dans tel ou tel contexte, ce qui peut parfois provoquer des quiproquos. Un risque encore accru par le fait qu’on n’envoie pas simplement une image, mais une série de code numérique. Ce qui fait qu’une émoticône peut ne pas apparaître de la même façon chez le destinataire et selon l’appareil utilisé. Ainsi, un internaute ne voit pas tout à fait le même émoji s’il utilise un Samsung ou s’il lit le message sur Twitter ou sur WhatsApp. Pour donner un ordre d’idée, selon de chercheurs de l’Université du Minnesota, il y aurait quotidiennement en 2020, 14 millions de tweets qui auraient été modifiés ou effacés si les auteurs avaient compris qu’il existe des divergences entre les plateformes.

Télétravail: la

Voyant la multiplication des malentendus, les développeurs ont commencé à uniformiser le design des émojis. Pour y remédier, Apple et Google ont demandé il y a quelques années au consortium Unicode de “traduire” 600 émojis existants dans un code standardisé. Mais si le travail de standardisation a permis d’uniformiser les émojis, on est encore loin d’une compréhension universelle.

L’émoji peut aussi être nébuleux, car, au-delà d’une mauvaise interprétation déjà citée, “contrairement à une langue, il est impossible de parler avec des émojis et ceux-ci ne sont pas régis par des règles grammaticales, explique à Radio Canada M. Danesi, professeur de sémiotique au Département d’anthropologie de l’Université de Toronto et auteur d’un livre sur les émojis. “Sans adverbes, sans pronoms, sans ponctuation, ça devient compliqué de communiquer avec de petites images”, ajoute-t-il.

Une seule règle : être aussi explicite que possible dans sa communication digitale

Aujourd’hui, les émojis sont de plus en plus souvent utilisés dans la sphère professionnelle.

Ils peuvent adoucir le ton puisque, par écrit, le message semble vite plus tranchant ou demandant une réponse instantanée. Ainsi, un simple “bonjour, pourrais-tu me dire si” peut déjà susciter de l’anxiété, mais passerait mieux s’il était accompagné d’un émoji.

A contrario, les émojis peuvent aussi être des merveilles de message passif-agressif. Ainsi, si vous voulez que vos collègues vous aiment encore un peu, éviter d’utiliser certains émojis, toujours selon The New York Times.

Par exemple le pouce levé. Celui-ci peut être interprété différemment selon les gens, précise encore Slate. Pour certains c’est juste un “bien” alors que pour d’autres ça peut passer pour de l’ironie et/ou un irrespect total. Pour la génération Z le pouce en l’air serait même l’émoji qui se prête le mieux à la condescendance et à l’irrespect selon Slate, alors qu’il est simplement perçu comme un signe d’approbation chez les plus âgés. Utiliser un émoji au tout premier degré ne serait plus que l’apanage des “boomers”. On comme le précise Slate, “leur absence ou leur présence dit quelque chose de notre rapport à la conversation numérique écrite.”

Un autre exemple est les yeux qui roulent. Il peut signifier “je regarde ça tout de suite” ou au contraire “c’est gênant ce que tu viens d’écrire”. Un troisième exemple est le smiley qui sourit avec des dents. Il peut signifier soit “c’est très drôle”, soit signifier un certain malaise.

Avant d’inonder votre flux professionnel de petites images ludiques, gardez en tête que le message envoyé puisse souffrir d’une certaine incompréhension ou être mal interprété. Veillez donc à être aussi explicite que possible. Enfin, le vrai conseil, en cas d’escalade sur slack ou par mail, est simple : quittez le mode digital et décrochez votre téléphone.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content