“Si le conseil d’un pharmacien devient un jour payant, il ne faudra pas s’en plaindre”

Marc Gryseels, directeur général de la Belgian Association of the Consumer Healthcare Industry (Bachi), revient pour Trends Tendances sur la proposition d’ouvrir le marché des médicaments sans ordonnance afin de les rendre moins chers.

Les produits de santé et les médicaments vendus librement (tels que le paracétamol) sont au moins cinq fois plus chers en Belgique qu’aux Pays-Bas, où ils sont autorisés à la vente dans les drogueries et les supermarchés. Une situation inacceptable pour quatre Belges sur cinq, selon une enquête menée par IPSOS auprès de 1.000 d’entre eux.

Une solution pour faire baisser leurs prix serait d’ouvrir le marché en Belgique, en autorisant la vente de ces produits et médicaments dans d’autres endroits que les pharmacies agréées. Un avis que ne partage pas du tout Marc Gryseels, Directeur général de Bachi, l’association qui défend les intérêts de l’industrie pharmaceutique dans le domaine des médicaments et produits de santé en vente libre.

Des situations différentes de pays à pays

Pour lui, la situation aux Pays-Bas est très différente et n’est pas comparable à celle de la Belgique. Chez nos voisins néerlandais, on compte 2200 pharmacies, soit moins de la moitié du nombre de pharmacies actives en Belgique (4850) alors qu’il y a plus de 16 millions d’habitants. Le directeur général de l’association pharmaceutique nous explique le contexte : « Aux Pays-Bas, il était devenu compliqué de trouver une pharmacie pour certains patients isolés. Le segment a de ce fait été élargi pour offrir une meilleure accessibilité aux produits. Il a été ouvert aux drogueries et progressivement aux supermarchés. On peut même acheter des médicaments dans une pompe à essence. »

Marc Gryseels défend la position de la Belgique qui n’autorise la vente de produits de santé et de médicaments sans ordonnance qu’exclusivement en pharmacie. « C’est un réel gage de qualité », estime-t-il. « Je suis contre la manière dont la vente de ces produits est encadrée hors pharmacie. L’approche commerciale est celle d’un supermarché. Le personnel n’est pas du tout comparable à celui d’une pharmacie », justifie-t-il.

Le pharmacien, un gage de qualité

Selon lui, dans la pratique, il n’est pas réaliste que le personnel des drogueries et supermarchés donne des conseils avisés aux clients. « Honnêtement, ce n’est pas réalisable de galvauder le métier de pharmacien. Ils ont un niveau de qualification de formation et d’information pour le consommateur très différent de celui du personnel des grandes surfaces. »

Le pharmacien a la responsabilité de tenir compte du profil du patient pour valider son traitement le mieux possible. Je vois mal comme cela pourrait être possible à la caisse d’un supermarché.

Il ajoute une autre donnée cruciale qui relève de la responsabilité de ces professionnels de la santé : « Il  y a des échanges d’informations importants entre le médecin et le pharmacien via le dossier médical du patient. Le pharmacien valide les interactions médicamenteuses et non médicamenteuses. Des surdosages peuvent en effet se produire, car les patients pourraient cumuler sans le savoir des produits aux mêmes substances actives. Ce professionnel a la responsabilité de tenir compte du profil du patient pour valider son traitement le mieux possible. Je vois mal comme cela pourrait être possible à la caisse d’un supermarché.»

Pourquoi ces grandes différences de prix entre pays ?

Comment dès lors expliquer ces différences de prix parfois très grandes entre les médicaments d’un pays à l’autre en Europe ? « Le prix moyen des produits de santé en Belgique est comparable à celui de l’Europe. Bien entendu, des exceptions existent en fonction des produits », assure Marc Gryseels. La TVA n’est pas non plus la même de pays en pays, ni les obligations de pharmacovigilance.

Il explique le marketing à l’œuvre qui justifie ces différences de prix : « Les supermarchés appliquent logiquement des techniques de vente adaptées. C’est le prix moyen d’un panier qui est calculé, et non le produit individuel. Ils font des bénéfices sur le volume acheté en créant un appel pour attirer le client. Certains produits – dont les produits de santé – sont alors vendus à bas prix pour attirer le consommateur qui remplira ensuite son panier avec d’autres produits. »

Il poursuit : « Les pharmaciens ont, eux, la responsabilité d’avoir une grande représentativité de produits à disposition, de proposer une large gamme aux consommateurs alors que les grandes surfaces placent souvent en tête de gondole les deux seules références qui ont le plus de volume. Ce n’est pas du tout comparable. La marge du pharmacien est aussi calculée très différemment que celle d’un supermarché.»

Redonner de la valeur aux professionnels du secteur

« 50% des produits de santé vendus en pharmacie sont des produits de santé en vente libre. Si ceux-ci disparaissent – même partiellement – de la pharmacie, le pharmacien devra gagner sa vie en augmentant ses prix sur les autres produits ou… il devra fermer son officine. »

Un pharmacien vend un avis, un conseil, une sécurité, un répertoire des coordonnées… il est le garant de la médication du patient.

L’association Bachi veut que le pharmacien belge puisse exercer dans une concurrence normale. « Il faut redonner de la valeur aux professionnels du secteur. Il est regrettable de comparer le prix d’un produit en ne prenant pas compte de cette valeur ajoutée. Un pharmacien vend un avis, un conseil, une sécurité, un répertoire des coordonnées… il est le garant de la médication du patient. On a encore bien pu se rendre compte de leur utilité pendant la pandémie“, vante son directeur.

Bientôt un conseil payant?

Ce dernier émet une autre menace bien réelle. Dans le futur, les pharmacies risquent de disparaitre comme les magasins de vêtements ou de chaussures menacés par des mastodontes en ligne comme Zalando. « On va chercher un conseil en pharmacie et ensuite, on commande le produit sur internet, comme on fait déjà avec des chaussures que l’on repère en magasin physique et que l’on achète ensuite moins cher en ligne, avec tout l’impact écologique que cela représente. » Et d’alerter : « Si le conseil d’un pharmacien devient un jour payant, il ne faudra pas s’en plaindre. »

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