Rapport de la BNB: « Nous ne sommes pas en récession, mais… »

Pierre Wunsch
Pierre Wunsch
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Tel pourrait être le message du gouverneur Pierre Wunsch, en présentant le rapport 2022 de la Banque nationale. L’économie belge a mieux résisté que prévu aux pics d’inflation, mais elle risque de se heurter à la dégradation de la compétitivité des entreprises.

L’année 2022 restera celle de la flambée d’inflation, avec des pics frôlant les 13% l’été dernier et des coûts énergétiques démentiels pour les ménages et les entreprises belges. Malgré cela, l’économie belge –comme d’ailleurs celle de la zone euro- n’est pas tombée en récession, comme le craignait le gouverneur de la Banque Nationale Pierre Wunsch, il y a quelques mois. L’année 2022 s’est en effet soldée avec une croissance de 3,1% (supérieure à la moyenne européenne) et la création de 101.000, ce qui serait l’un des sommets historiques. Cela n’a rien à voir avec ce qui c’était produit lors du précédent choc d’inflation, dans les années 70. Il avait alors entraîné un chômage de masse que notre pays a traîné sur plusieurs décennies. « Ici, le chômage a continué à baisser, malgré le choc énergétique, constate Pierre Wunsch, en présentant le rapport annuel de la BNB. La croissance a certes perdu en dynamisme –les 3,1% sont surtout dus au premier semestre- mais nous ne prévoyons pas de gros renversement. » L’économie belge serait donc structurellement bien plus solide qu’on ne la présente souvent.

Les impacts de la poussée inflationniste de 2022 ne se sont toutefois pas encore tous matérialisés. D’une part, l’inflation sous-jacente se maintient à des niveaux élevés. « La hausse des prix énergétiques s’est répercutée sur les biens et services en cours d’année, avec une ampleur supérieure à ce que nous envisagions », concède Pierre Wunsch. D’autre part, il y a bien entendu la répercussion sur les salaires via le mécanisme de l’indexation automatique. Cela soutient la consommation des ménages, qui fut l’un des principaux vecteurs de croissance l’an dernier. Mais cela dégrade la position concurrentielle des entreprises belges. Le handicap salarial vis-à-vis des pays voisins, qui avait été résorbé ces dernières années, pourrait à nouveau se creuser jusqu’à 5,7% en 2024. « La baisse des prix énergétiques rend heureusement le risque d’une spirale prix-salaires moins prégnant aujourd’hui, estime le gouverneur de la BNB. Mais ce risque n’a pas complètement disparu, notamment au vu du niveau de notre inflation sous-jacente. » Il ajoute que les revendications syndicales formulées de manière de plus en plus vive chez nos voisins pourrait réduire notre handicap salarial.

Pression sur les marges des entreprises

Beaucoup dépendra de la faculté des entreprises à répercuter la hausse des coûts dans leurs prix. « Historiquement, le taux de marge macroéconomique des entreprises belges diminue lorsque les coûts salariaux augmentent rapidement, lit-on dans le rapport de la BNB. Le degré de répercussion est défini par une multitude de facteurs tels que le pouvoir de marché, la rentabilité, l’évolution des coûts marginaux ou la réaction attendue de la demande. Sur la base des données du passé, il apparaît que les entreprises parviennent à récupérer assez rapidement environ 60% de l’accroissement des coûts en relevant leurs prix de vente. » La Banque nationale ajoute qu’il existe « des différences flagrantes » quant à la capacité des entreprises à répercuter la hausse des coûts sur leurs prix de vente. La plupart des secteurs industriels et de services ont vu leurs marges baisser l’an dernier. Les reculs les plus sensibles sont constatés dans la viande, la chimie de base et le commerce. « Nous partons d’un niveau historiquement très élevé (45%), une dégradation n’est donc pas trop inquiétante », rassure Pierre Wunsch.

Cette situation a conduit les entreprises à une grande prudence en matière d’investissement. Ceux-ci sont en recul de 2,1%, en raison des coûts mais aussi de la détérioration de la demande dans la plupart des secteurs et de l’incertitude élevée. Cela atteste d’un manque de confiance des entreprises et, si cela devait perdurer, ce serait un vrai motif d’inquiétude, tant l’économie belge a besoin d’investissements, notamment technologiques et en R&D, pour compenser le coût élevé de sa main d’œuvre.

Triple défi pour l’économie belge

En présentant le rapport 2022 de la BNB, le gouverneur était donc plutôt rassurant, insistant sur le fait que la situation économique s’avérait finalement meilleure que ce que l’on pouvait craindre il y a quelques mois. Pierre Wunsch a toutefois pointé une série de défis que le pays devait surmonter pour asseoir durablement une bonne santé économique.

Les finances publiques évidemment

Le déficit a certes été ramené de 9% du PIB en 2020 à 3,9% en 2022 mais les perspectives laissent augurer un glissement vers les 5%. Pour le gouverneur, un tel dérapage ne serait « structurellement pas tenable ». La soutenabilité de la dette belge (110% du PIB) ne semble pas en danger à court terme (c’est l’un des effets bénéfiques de l’inflation) mais, en revanche, le risque se concrétise à moyen et long termes. A politique inchangée, on dépasserait les 120% du PIB à l’horizon 2030. Pour la banque, il faut impérativement ramener le déficit sous les 3% « aussi rapidement que possible » afin d’enrayer la spirale et de revenir à une dette inférieure au PIB. Toutes les entités devraient y contribuer. La BNB propose une norme d’endettement, en fonction des recettes propres de chaque entité. La Flandre est la seule à afficher une dette inférieure à cette norme. La Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles sont, elles, largement au-delà, et Bruxelles risque de l’être de plus en plus. Ces entités devraient donc fournir les plus gros efforts d’ajustement.

Les pénuries de main d’œuvre

Les créations d’emploi étaient l’une des bonnes nouvelles de l’année 2022 et ont soutenu la consommation intérieure. Mais, ce ne sera plus forcément le cas dans les années à venir en raison des tensions sur le marché du travail. On recense 210.000 emplois vacants et, selon une enquête de la BNB, 57% des chefs d’entreprise considèrent que la difficulté à trouver les compétences requises est « un obstacle majeur » aux investissements et au développement de l’activité. Difficile dans ces conditions d’espérer dénicher les 532.000 travailleurs supplémentaires qui permettraient d’atteindre l’objectif d’un taux d’emploi de 80%.

La solution passera par l’activation, avec un effort particulier sur les groupes avec un taux d’inactivité excessif, à savoir les personnes peu qualifiées, les personnes plus âgées en âge de travailler et les citoyens d’origine extra-européenne. La BNB plaide aussi pour une plus grande participation des femmes au marché du travail et pour des réformes destinées à rendre le travail financièrement plus attrayant. « On n’a pas vu grand-chose en termes de réforme du marché de l’emploi ces derniers temps », regrette Pierre Wunsch. Selon la BNB, « il vaut mieux prendre des réformes profondes du marché du travail lorsque le marché du travail est tendu, c’est à dire lorsque, comme actuellement, il s’y trouve suffisamment d’emplois disponibles ».

La transition climatique

« Nous avançons dans la bonne direction mais beaucoup trop lentement », résume le gouverneur à propos de l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. En étant attentifs à leur consommation (en raison du niveau des prix énergétiques), les Belges ont pu réduire l’an dernier leur consommation de gaz de 15 à 20%, ce qui a eu, poursuit Pierre Wunsch, « un effet palpable sur les prix » et a évidemment réduit notre dépendance au gaz russe. « Nous avons gagné la guerre du gaz, dit-il. Mais les modifications de comportement ne suffiront pas pour atteindre la neutralité carbone. Nous devons rendre les énergies fossiles progressivement non-compétitives pour encourager les progrès technologiques dans les solutions alternatives. » La BNB recommande à cette fin « le relèvement graduel et prudent du prix du carbone ». Elle nuance cependant avec la prise en compte de la position concurrentielle des entreprises. « Il faut prévoir des instruments compensatoires si des entreprises d’autres régions du monde peuvent produire à moindre coût en raison d’un prix implicite du carbone plus avantageux, lit-on dans le rapport de la BNB. De plus, les mesures climatiques ont tendance à avoir des effets redistributifs entre les ménages. Des mesures d’accompagnement seront donc nécessaires pour compenser une redistribution indésirable. »

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