Quand des chômeurs deviennent entrepreneurs

Papy's Burger. "La meilleure pub pour moi, c'est le bouche à oreille, déclare Michel Thirifays. J'exerce cette activité depuis juillet 2018 et la clientèle ne fait qu'augmenter." © BELGAIMAGE

L’esprit d’entreprise, ce n’est pas seulement la start-up qui lève un million d’euros. Ce sont aussi des demandeurs d’emploi qui ont envie de créer leur propre entreprise. Depuis 20 ans, Azimut les accompagne dans ce parcours.

Mine de rien, cela commence à ressembler à un résultat significatif. Près de 1.000 personnes, essentiellement des demandeurs d’emploi, ont créé leur entreprise après avoir bénéficié de l’accompagnement de la coopérative d’activités Azimut. Et ces entreprises perdurent puisque le taux de pérennité à cinq ans est de 75%, soit 13 points au-dessus de la moyenne wallonne reprise dans l’atlas des starters de Graydon et de l’Union des classes moyennes.

La recette d’Azimut, c’est de parler des projets et de celles et ceux qui les portent, bien avant de parler de plan financier. ” Quand la personne et le projet sont bien alignés, on évite déjà bien des problèmes, estime Gérald Mairesse, codirecteur d’Azimut. On peut ensuite réfléchir au plan financier. On ne se concentre pas sur la niche, sur le fait de savoir si elle est porteuse ou pas, mais sur la méthodologie. Ce n’est que progressivement qu’on découvre si nous sommes à la genèse d’un projet économique ou pas. ” ” Ce sont avant tout des aventures humaines, abonde Clotilde Jarlet, codirectrice. Dans tous les projets que nous avons accompagnés, je retrouve cette satisfaction humaine d’avoir pu oser. ”

L’expérience de ces 20 ans d’Azimut montre que ce sont parfois les projets les plus improbables qui se révèlent les plus pertinents, grâce à l’enthousiasme de leur promoteur. L’exemple de Nasoha (lire par ailleurs) est très probant à cet égard. ” C’est vraiment la force de l’accompagnement : nous mettons les gens en action par rapport à une idée, à un projet, reprend Gérald Mairesse. Nous les amenons à confronter leurs idées aux réalités très concrètes. ” De toute façon, vu l’éventail très large des projets entrepreneuriaux couvés par Azimut, il serait illusoire de vouloir y coller des recettes toutes faites. On n’avance pas de la même façon dans les soins aux personnes que dans le commerce ou l’informatique. Notons, à cet égard, le bel équilibre sectoriel dans les projets soutenus : 12% pour le marketing et la communication ; 11% pour les soins aux personnes ; 10% pour la consultance (finance et administration) ; 10% pour la distribution et la vente…

De l’allocation à la rémunération

Le travail est tantôt individuel avec le coach, tantôt en ateliers avec d’autres stagiaires d’Azimut. Il consiste à affiner le projet, en identifiant les clients potentiels et leurs besoins. Si les démarches sont concluantes, le stagiaire peut passer en phase de test et lancer son activité sous le numéro d’entreprise d’Azimut. Au départ, le néo-entrepreneur se rémunèrera peut-être un ou deux jours par mois (il conserve ses droits aux allocations de chômage pour le reste) et basculera de l’allocation à la rémunération à mesure de l’évolution de son chiffre d’affaires. Cette phase test peut s’étaler sur 20 mois, et permet donc un démarrage en douceur en minimisant le risque social. Précision importante : Azimut n’est pas un centre de formation. Si le stagiaire doit approfondir ses connaissances techniques ou scientifiques avant de se lancer, il devra se tourner vers d’autres instances (centres de compétences, Forem, IFAPME).

La recette d’Azimut , c’est de parler des projets avec ceux qui les portent.

Le modèle d’Azimut s’inspire des coopératives d’activités françaises. Il a commencé chez nous sous forme d’une expérience pilote couverte par le ministère des Affaires sociales (dirigé à l’époque par Laurette Onkelinx) et a ensuite été coulé dans une loi. Aujourd’hui, une vingtaine de coopératives d’activités sont actives en Belgique. Elles sont regroupées sous la coupole Coopac. ” En 20 ans, nous avons vu évoluer l’esprit d’entreprise, analyse Clotilde Jarlet. L’envie d’entreprendre est devenue beaucoup plus naturelle. Il y a une sorte de démystification du statut d’entrepreneur, nous voyons de plus en plus de gens, de tous âges, qui ont envie de porter un projet d’entreprise. ” Revers de la médaille : hier, les candidats-créateurs d’entreprise se tournaient vers Azimut assez tard dans leur processus de réflexion. Aujourd’hui, la maturité des projets des stagiaires n’est plus la même. ” Nous n’accompagnons plus du projet au business mais de l’idée au business, dit Gérald Mairesse. C’est formidable d’avoir tant de personnes qui arrivent avec une idée. Et c’est tout l’enjeu de notre méthodologie de les aider à structurer cela. ”

Réussir… même si l’on échoue !

Une fois sur trois, l’accompagnement ne débouche pas sur la création d’une activité. Même dans ce cas, le parcours est généralement salutaire sur le plan professionnel : plus de 60% des stagiaires d’Azimut retrouvent un emploi, qu’ils le créent eux-mêmes ou pas. ” En travaillant sur leur projet, ils ont retrouvé de la confiance et se vendent dès lors beaucoup mieux auprès des employeurs, explique Clotilde Jarlet. “Leurs démarches pour concrétiser leur projet d’entreprise les mettent au contact d’employeurs intéressés par leurs profils, renchérit Gérald Mairesse. Ce sont des entrepreneurs en puissance, ces compétences ont de la valeur en tant que salarié. ”

Cet impact sur l’employabilité des personnes justifie le soutien public d’Azimut. La coopérative d’activités reçoit des financements européens et wallons mais 15% de son budget provient de recettes propres. Elle perçoit une commission sur le chiffre d’affaires des entreprises pendant la période test et sollicite par ailleurs une contribution des demandeurs d’emploi pour certaines étapes du parcours. Une manière aussi de s’assurer de la motivation de chacun. ” Notre public, ce sont des futurs entrepreneurs, conclut Gérald Mairesse. Si vous n’êtes pas motivés, vous n’allez pas vous y retrouver car c’est une aventure très prenante. ”

La nouvelle vie du Papy’s Burger

Ancien de Caterpillar, Michel a investi sa prime de licenciement dans un food truck. Et ça marche !

” Je gagne l’équivalent d’un salaire d’ouvrier mais je fais ce qui me plaît. ” Michel Thirifays est enchanté de sa nouvelle vie d’indépendant. Avec son food truck, il sillonne les places de village dans les alentours de Mettet et, de plus en plus, les fêtes d’anniversaire.

Ce food truck, c’est une magnifique aventure entrepreneuriale qui commence avec…. la fermeture de Caterpillar à Gosselies. Michel Thirifays, qui avait rejoint la multinationale 11 ans plus tôt comme soudeur, a pris ce drame comme une opportunité de réaliser ce vieux rêve qui lui trottait dans la tête. Il a investi sa prime de licenciement dans l’aménagement d’un food truck, qui lui aura quand même coûté 25.000 euros. ” Des anciens collègues se sont payé une voiture ou de belles vacances, moi, j’ai dépensé utile, résume-t-il en souriant. Je fais ce que j’aime, je rencontre plein de gens, des clients deviennent même parfois des amis. ”

Azimut l’a accompagné dans la concrétisation de son projet. Un encadrement, des conseils mais peut-être pas vraiment du coaching tant Michel Thirifays savait où il voulait aller. Quand on lui suggérait, par exemple, d’étendre son offre et de songer à des fricadelles ou autres produits typiques des friteries, on se heurtait à un mur. ” Moi, ce sont des frites et des hamburgers, avec du bon pain et de la bonne viande d’un boucher du coin, rien d’autre “, martèle-t-il. Unique dérogation au classicisme : le hamburger du mois, qui sera tantôt au fromage à raclette, tantôt au brie, etc. ” La meilleure pub pour moi, c’est le bouche à oreille, conclut Michel Thirifays. J’exerce cette activité depuis juillet 2018 et la clientèle ne fait qu’augmenter. Je dois même refuser des fêtes privées maintenant. ”

Chloé Sarasola, la chasseuse de pierres

Nashoa Chloé Sarasola parcourt le monde à la recherche de pierres d'exception.
Nashoa Chloé Sarasola parcourt le monde à la recherche de pierres d’exception.© CHRISTIAN HAGEN/ PG

” Je veux m’installer comme chasseuse de pierres. ” Allez donc démarcher auprès des banques avec un tel objectif ! Chloé Sarasola a trouvé une oreille attentive chez Azimut. ” Mon projet était très aérien, se souvient cette diplômée en gemmologie, formée à l’université de Nantes. Mes coachs d’Azimut ont capté ma passion et m’ont aidé à structurer, à cadrer tout cela. ” Cela a donné Nasoha, qui est peut-être l’unique marque de pierres au monde. La société a été lancée en 2012 et propose de la joaillerie ainsi qu’une gamme d’outils de bien-être, de décoration réalisés à partir du monde minéral. Et ça marche puisque quatre personnes travaillent dans cette société qui dispose d’une boutique en ligne et d’un magasin à Jezus-Eik.

Chloé et son compagnon parcourent le monde à la recherche de pierres d’exception. Ils vont directement à la rencontre des peuples qui vivent près de ces mines. Ils préfèrent y dormir chez l’habitant et partager des moments de complicité cristalline plutôt que se rendre chez des négociants spécialisés. ” Mon plaisir, c’est quand j’ai les pieds dans une mine, que je touche la terre et que je cherche des pierres, confie Chloé. Ma société atteint maintenant plus d’un demi-million de chiffres d’affaires, mais je ne suis pas sûre de vouloir la faire encore grandir et d’acheter alors mes pierres à la tonne. Chaque fois que je me questionne sur mon projet d’entreprise, les voix de mes coaches d’Azimut, Florence et Eric, résonnent dans ma tête. Leurs conseils sont toujours d’application. ” Cette passion pour les pierres peut conférer un côté ésotérique au projet. Chloé Sarasola met cependant en avant sa formation scientifique qui, dit-elle, rend sa démarche ” cohérente “. ” Quand je conseille la tourmaline pour se protéger des ondes wifi, ce n’est pas de la magie : c’est parce que dans la structure même de ce cristal, dans sa manière de se développer, sa polarité, il attire les ondes et les fait retourner dans le sol, expliquait-elle au Soir. Je ne crois pas qu’une pierre guérisse du cancer ou même de la dépression, mais je pense que chacun y projette une certaine attente. Pouvoir identifier, puis verbaliser ses besoins intimes et les projeter dans une pierre est déjà, en soi, une démarche qui attire l’énergie vers soi, pour trouver en nous des solutions. ”

Cobré, la première société “azimutienne”

Les coopérateurs de Cobré De gauche à droite : Mathieu Lecouturier, Etienne Wéry et Isabelle Legrand.
Les coopérateurs de Cobré De gauche à droite : Mathieu Lecouturier, Etienne Wéry et Isabelle Legrand.© PG

” Je n’avais aucune notion commerciale ou comptable, Azimut m’a donné les cartes pour être autonome et pouvoir développer mon activité. ” Etienne Wery est le premier néo-entrepreneur à avoir bénéficié d’un accompagnement d’Azimut au tout début du siècle. Professeur de peinture, il rêvait d’utiliser ses compétences dans le graphisme, de la conception d’un logo jusqu’à la décoration d’intérieur ou l’élaboration de sites internet. ” Il y a 20 ans, enseigner et entreprendre, cela semblait très conflictuel, raconte-t-il. C’est la première raison pour laquelle j’ai dû être aidé dans mon projet. Quand on découvre le monde de l’entreprise, on patauge, rien ne paraît naturel. ”

L’accompagnement s’est étalé sur trois ans et a permis à Etienne et ses associés (dont l’un est aussi passé par Azimut) de lancer la coopérative Cobré en 2005 à Grez-Doiceau. Leur travail sur l’image a séduit de nombreuses PME ou magasins, à tel point que la société a fini par faire vivre quatre à cinq personnes, selon les périodes. Cobré fonctionne un peu au ralenti pour l’instant car Etienne Wery est entre-temps devenu directeur d’école. Une évolution de carrière qui n’est peut-être pas sans lien avec l’esprit d’entreprise qu’il a cultivé toutes ces années. ” Entreprendre et développer mon entreprise m’a vraiment apporté beaucoup, explique-t-il. Avoir ce lien direct avec la société qui nous entoure, y compris sur le plan commercial, c’est vraiment très enrichissant. ”

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