Pourquoi Didier Bellens est indéboulonnable

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Les propos du CEO de Belgacom ont provoqué des réactions offusquées sur le banc politique. Mais le patron de l’entreprise publique ne risque pas grand-chose.

Les voeux à la presse organisés en début d’année par Belgacom permettent aux journalistes de rencontrer le top management de l’entreprise publique dans une ambiance décontractée. Ce mardi, entre le carpaccio de boeuf et les pâtes aux truffes, le CEO Didier Bellens s’est justement laissé aller, en toute décontraction, lors d’un petit discours de bienvenue dont les grandes lignes étaient couchées sur papier.

Ses propos ont rapidement fait le tour des médias. La loi télécoms ? Le patron de Belgacom se demande pourquoi la Belgique a décidé de mettre sur pied la législation “la plus restrictive en Europe”. Lorsqu’il est en déplacement à l’étranger, il a du mal à expliquer pourquoi “la Belgique veut tuer ses entreprises”. Les normes d’émission en Région bruxelloise ? Trop drastiques, elles risquent de faire de Bruxelles “la seule capitale d’Europe sans réseau 4G.” La région bruxelloise dit “Fuck you” aux diplomates qui ont besoin de la 4G, poursuit Didier Bellens.

Défendre son business
Malgré un langage inhabituellement fleuri dans la bouche d’un dirigeant de ce calibre, ces propos ne contiennent rien de neuf. On connaît la position du plus grand opérateur télécoms en Belgique sur des dispositions légales jugées trop contraignantes. Comme d’autres chefs d’entreprise, le CEO ne fait que défendre son business face à un Etat et une région qui lui mettent des bâtons dans les roues, l’un pour permettre au consommateur de changer plus facilement d’opérateur, l’autre pour des raisons de santé publique.

Sauf que… Belgacom n’est pas une entreprise comme une autre. C’est une entreprise publique, certes autonome, mais dont l’actionnariat reste détenu à 53,5 % par l’Etat belge. Les représentants politiques gardent une emprise non négligeable sur Belgacom, notamment via le conseil d’administration, majoritairement composé de représentants de partis. Pour un patron, critiquer son principal actionnaire, c’est une stratégie assez audacieuse.

Un patron sous surveillance ? Depuis “l’affaire” des départs en série au sommet de Belgacom en 2011, sur fond de plaintes pour harcèlement entre top managers, les faits et gestes de Didier Bellens sont étroitement surveillés. A l’époque, le conseil d’administration (CA) avait dû se pencher sur le “cas” Bellens. Une commission parlementaire avait même auditionné le grand patron. C’est peu dire que les parlementaires n’avaient pas été convaincus par sa prestation, mais la commission ne pouvait prendre aucune mesure au sujet de la gestion de l’entreprise. Quant au CA de Belgacom, il réitérait sa confiance au CEO.

Malgré les cris d’orfraie habituels de certains politiques, nul doute que Didier Bellens traversera sans encombres cette nouvelle mini-tempête déclenchée par ses déclarations. La parlementaire cdH Catherine Fonck a beau demander des “excuses”, le nouveau ministre des Entreprises publiques Jean-Pascal Labille (PS) a beau inviter Didier Bellens à une explication “virile”, la ministre bruxelloise de l’Environnement Evelyne Huytebroeck (Ecolo) a beau se déclarer “choquée”, la sortie du patron restera un épiphénomène sans conséquences.

Assurance tous risques
S’il irrite plus d’un représentant politique, Didier Bellens est tout simplement indéboulonnable. Réélu en 2009 pour un mandat de six ans à la tête de l’opérateur, le patron ne sera pas remplacé avant 2015, sauf circonstances exceptionnelles. Son licenciement obligerait l’Etat fédéral à sortir un fameux chèque, puisque l’indemnité de départ est fixée à un an de salaire. Et en 2011, Didier Bellens a touché 2,23 millions d’euros.

Ensuite, son remplacement serait un véritable casse-tête pour le monde politique, qui ne parvient déjà pas à trouver un nouveau président pour le CA de l’entreprise publique. Les discussions seraient interminables entre partenaires de la majorité, sans oublier la puissante NV-A, qui pointe désormais le bon de son nez dans les marchandages pour l’obtention de postes “publics” à responsabilité. Par ailleurs, le poste de patron de Belgacom est l’un des derniers sièges stratégiques occupé par un francophone. Les clivages Nord-Sud risquent de resurgir si ce poste-clé devait être remis en jeu.

Enfin, ce qui protège plus que tout Didier Bellens et le met à l’abri de toute mesure à son encontre, ce sont les résultats de Belgacom. Dans un secteur concurrentiel, le patron est parvenu à conserver de bonnes performances, tout en maintenant un climat social relativement paisible. Et il continue d’arroser chaque année les comptes de l’Etat fédéral. En 2012, l’Etat actionnaire a encore touché près de 400 millions d’euros de dividendes. Une bonne assurance tous risques.

Gilles Quoistiaux

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