Pénurie de soignants et de technologues: un véritable casse-tête pour les hôpitaux

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Laurent Zanella Journaliste

De nombreux hôpitaux sont actuellement à la recherche d’infirmiers, de technologues, de médecins… Un véritable casse-tête pour les chefs de service qui doivent organiser les plannings. Le journal du Médecin a questionné plusieurs institutions pour savoir comment elles font face à la pénurie de personnel qualifié.

“Depuis deux ans, il nous manque près de 90 ETP au niveau du nursing, soit 10 à 12% des effectifs”, explique Caroline Franckx, directrice générale du CHU Brugmann. “Après la crise sanitaire, nous n’avons pas pu rouvrir une de nos six unités de gériatrie par manque de personnel. Durant l’été, nous n’avons pas dû fermer de lits. Au niveau, de la médecine critique on s’en sort.”

La directrice générale est particulièrement préoccupée par le sort des cadres infirmiers qui passent une grande partie de leurs temps à trouver des solutions pour parvenir à trouver des travailleurs, entre autres via les sociétés d’intérim qui sont sollicitées par tous les hôpitaux. “Ces cadres n’ont plus l’occasion de lancer de nouveaux projets de soins. C’est très frustrant. Ils sont souvent épuisés”, commente Caroline Franckx qui estime qu’il faut essayer de relancer les vocations auprès des jeunes lors des études.

Comme dans de nombreux hôpitaux, le CHU Brugmann a trop peu de gériatres et d’urgentistes. Sur les 300 ETP médecins, il en manque actuellement une vingtaine. “Nous avons encore de la chance. Nous avons de nombreux gériatres parce que la gériatrie est un pôle d’excellence de notre institution, mais le recrutement reste difficile.”

Caroline Franckx avance une solution pour attirer les médecins: leur proposer, sur base volontaire, un statut d’indépendant travaillant en pool d’honoraires.

Contraints de recruter à l’étranger

Au Chirec, il manque +/- 5% des effectifs infirmiers et quelques médecins dans des spécialités en pénurie. “Durant l’été, nous n’avons pas dû fermer un plus grand nombre d’unités que les années précédentes. C’est d’ailleurs normal de réduire notre offre en juillet et août parce qu’il y a moins d’activités médicales. Quelques lits de soins intensifs ont été fermés”, déclare Philippe El Haddad. Le directeur général médical souligne néanmoins que son groupe hospitalier fait des efforts importants pour trouver des soignants en Belgique et à l’étranger. “Nous sommes en situation de pénurie, mais nous parvenons à travailler. C’est tout de même paradoxal que nous soyons obligés d’aller chercher des médecins à l’étranger pour exercer dans nos hôpitaux, alors que la qualité de la formation en médecine est très bonne en Belgique, meilleure que dans de nombreux pays. Il est temps de changer le système de contingentement de l’offre médicale en Belgique”, préconise le directeur médical général du groupe hospitalier privé.

Il souligne que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le Chirec ne dispose pas de moyens particuliers pour jouer la surenchère au niveau du recrutement des infirmiers et des techniciens. “Nous travaillons à l’élaboration d’un plan bien-être pour notre personnel, mais nous n’offrons pas de primes à nos futurs travailleurs”, précise le dirigeant hospitalier.

Une plus grande rotation

“Les congés octroyés combinés avec la situation dans certains secteurs où l’on manque de personnel nous ont obligés à fermer certains secteurs. Mais pas dans l’urgence et sans négliger les besoins des patients. L’été est une période où il y a moins de patients. Ce ne sont pas les mêmes pratiques ni les mêmes demandes”, commente Valérie Maréchal, directrice RH de l’Hôpital de la Citadelle. “De plus, nous nous sommes dotés, il y a un an et demi, d’un centre de coordination qui permet de monitorer, d’attribuer les lits et de prévoir l’activité au mieux.”

La directrice RH précise que la pénurie n’est ni majeure, ni globale. “Mais il nous reste certaines fonctions spécifiques à pourvoir d’urgence. C’est le cas dans le service de néonatalogie. Pour les autres secteurs, on a fait un gros travail, tous départements confondus, pour staffer correctement. Au niveau du secteur technique, ce sont des métiers moins connus. Il nous manque des collaborateurs biomédicaux et un ingénieur.”

Valérie Maréchal estime-t-elle qu’il est plus difficile de compter des effectifs complets que par le passé? “Ces dernières années ont été compliquées. Malgré tout, nous n’avons pas rencontré des difficultés dramatiques avec des crises de personnel. Il faut également dire que nous avons mis en place des politiques de recrutement attractives et d’amélioration des conditions de travail.”

Le Dr Jean-Louis Pépin, directeur médical de l’Hôpital de la Citadelle constate qu’il y a plus de rotations au niveau du personnel qu’avant. “Il y a beaucoup plus de départs et d’arrivées qu’auparavant, tant du côté infirmier que du côté médical. Cela crée parfois des tensions au sein des services, car il y a davantage de nouveaux à former, alors que les anciens partent avec leur expérience. La génération actuelle diffère de la génération précédente: auparavant, les gens se formaient à une fonction qu’ils exerçaient préférablement au sein de la même institution toute leur carrière durant. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.”

Le directeur médical de l’Hôpital de la Citadelle soutient que les médecins recherchent aujourd’hui davantage la qualité et qu’ils ont moins d’attachement à une institution ou à un établissement.

Pour trouver des recrues non-médicales, l’hôpital a créé des jobdays plus modernes, plus attractifs et centrés sur la population et sur les écoles. “Concernant l’art infirmier, nous avons également augmenté l’attractivité de certaines spécialisations en proposant de payer la dernière année de spécialisation ou la dernière année de formation, tout en garantissant une place au sein de notre institution. De quoi commencer, pour les jeunes, leur carrière de manière un peu plus sereine. On a également travaillé sur les premières journées de travail des nouveaux collaborateurs. De grands efforts ont été consentis sur l’accompagnement et sur la politique globale de bien-être de nos collaborateurs. Cela se fait via des événements spéciaux tout au long de l’année, la facilitation des échanges, etc.”, explique Valérie Maréchal.

“Au niveau médical, on développe une politique de rétention vis-à-vis des médecins spécialistes en formation au sein de notre institution”, souligne le Dr Pépin. “Nous sommes en train de mettre en place un processus d’accueil des médecins spécialistes en formation, d’accompagnement et de coaching pour qu’à la fin de leur formation, ils aient une image positive de l’institution, et, si un engagement est possible, qu’ils restent au sein de l’institution.”

Des métiers de l’ombre

“Depuis la crise sanitaire, nous avons une pénurie importante d’infirmières”, signale également le Dr Bérangère Papegay, directrice médicale adjointe du CHU de Charleroi. “Nous manquons aussi de médecins dans certaines disciplines en raison du numerus et du nombre limité de nouveaux diplômés dans certaines disciplines, comme l’endocrinologie, la rhumatologie, la gériatrie… Cette pénurie a des répercussions sur l’organisation au quotidien de ces secteurs. Nous manquons aussi de techniciens en radiologie malgré les campagnes de communication que nous avons organisées pour augmenter le recrutement. Ce sont des métiers de l’ombre qui sont peu connus du grand public.”

Le CHU de Charleroi ne ménage cependant pas ses efforts pour recruter du personnel et améliorer la vision que le grand public à de l’hôpital: communication via les réseaux sociaux, contacts et recrutement via les écoles supérieures, organisation de séances d’information pour les étudiants, identification et, si possible, engagement des bons stagiaires.

Forte de son expérience, le Dr Papegay remarque qu’il est très difficile de garder à l’hôpital quelqu’un qui a décidé de quitter ce secteur, mais qu’il est possible d’aménager les conditions de travail de ceux qui sont désireux de les améliorer. “Nous n’avons pas beaucoup de leviers face aux décisions personnelles de carrière. Nous sommes ouverts au mouvement interne du personnel et à l’adaptation des horaires. De nombreuses personnes démissionnent parce qu’elles sont épuisées, n’en peuvent plus du système… Si une personne a décidé de changer de vie, c’est très compliqué de faire marche arrière.”

Un secteur pas assez attractif

La directrice générale du CHU Brugmann souligne que les hôpitaux peinent aussi à recruter des informaticiens et des opérateurs pour les call-center. “Les informaticiens ont des conditions financières beaucoup plus intéressantes dans d’autres secteurs. Pour les prestataires des call-center, la difficulté est plus de pouvoir les faire tourner sur d’autres activités parce ce que ce travail est très exigeant et répétitif. Or, le call-center, est souvent la porte d’entrée de l’hôpital. Il doit être efficient.”

“Revoir la rémunération ne suffit pas”

Le directeur médical du CHR de la Citadelle, le Dr Pépin, estime qu’il faut revaloriser l’image du secteur hospitalier dans son ensemble et ne pas uniquement augmenter les salaires qui ont récemment été améliorés via des mesures fédérales (Ific, Fonds Blouses Blanches…). “Bien sûr il faut être attentif à la rémunération et à la mise en avant des compétences du personnel. Mais les soignants ont été particulièrement touchés par la pandémie. Si on les a applaudis à un certain moment, cette valorisation n’a pas duré. Au contraire. Les soignants se sont senti un peu comme les méchants de l’histoire. C’est à ce niveau qu’il y a un travail à faire.”

Un avis partagé par la directrice médicale adjointe du CHU de Charleroi. Elle estime que les récentes mesures fédérales ne suffiront pas à renforcer l’attractivité du secteur hospitalier. “On a laissé aller le système de santé trop loin. Les normes, l’encadrement, la charge administrative… doivent être changés. Les soignants ne sont plus au chevet du patient. C’est pour cette raison que certains travailleurs veulent quitter le secteur. Ils veulent prendre soins des patients. Il y a une perte de sens.” D’autant plus que la mobilité du personnel est fortement accentuée pour compenser les pénuries et que les gestionnaires ne communiquent pas assez sur les raisons de cette mobilité “forcée”. “Il faut une revalorisation salariale”, ajoute le Dr Papegay, “mais il faut aussi un nombre d’infirmières suffisant auprès des patients et qu’elles aient le temps de faire convenablement leur métier. On a perdu l’humanité dans les soins. Il faut absolument la retrouver.”

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