Les supermarchés vont-ils entamer la guerre des prix?

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Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Alors que l’inflation alimentaire a atteint des records ces derniers mois, les enseignes de la grande distribution multiplient les campagnes de réduction de prix. Un effet de communication ou le début d’une guerre commerciale?

Aujourd’hui, lorsque le consommateur va faire ses courses, c’est son portefeuille qui tremble. Produits laitiers, pâtes ou papier hygiénique…: absolument toutes les catégories ont été touchées de près ou de loin par l’inflation. En tout, le caddie moyen d’un ménage de deux personnes atteint désormais 488 euros par mois, soit 75 euros de plus qu’il y a un an.

Si l’inflation qui touche les produits alimentaires reste élevée par rapport à l’inflation générale, c’est parce que les hausses de prix de l’énergie et des matières premières n’ont pas été répercutées directement sur les produits dans la grande distribution. “Il y a un certain décalage entre le marché et ces augmentations parce que les fournisseurs essaient de récupérer les coûts qu’ils n’ont pu répercuter plus tôt”, souligne Christophe Sancy, rédacteur en chef de la plateforme spécialisée Gondola.

“La défense du pouvoir d’achat reste un mot magique pour les distributeurs.”

A l’époque, en pleine crise énergétique, les distributeurs avaient freiné la valse des étiquettes de manière à se positionner comme un “rempart à l’inflation”, ce qui explique que les négociations annuelles avec les fournisseurs industriels ont été plus longues que d’habitude. Les négociations pour 2023, achevées le 1er mars, ont abouti à une hausse moyenne d’environ 10%. Pourtant, cela n’empêche pas les enseignes de communiquer largement sur une diminution de leurs prix.

Principale préoccupation

“La défense du pouvoir d’achat reste un mot magique pour les distributeurs”, confirme Christophe Sancy. Ces derniers multiplient les campagnes de communication pour se positionner comme la meilleure alternative pour les consommateurs. Il faut dire qu’avec l’épisode de Delhaize, il y avait une opportunité à saisir et des clients à séduire. Depuis quelques mois donc, le prix est plus que jamais la préoccupation principale. Aldi, par exemple, clame avoir réduit le prix de plus de 500 produits depuis le début de l’année. Lidl a imité son concurrent et promis des baisses de 3 à 34% sur 250 produits. Sans oublier Colruyt et Albert Heijn dont le business model est basé sur cet argument.

Carrefour n’a pas échappé à la règle et s’est inspiré de ce qui se passait en France pour proposer successivement des baisses de prix ou des produits à moins de 1 euro. Après avoir réduit le coût de 1.500 références, l’entreprise a d’ailleurs indiqué que “de nouvelles baisses étaient déjà prévues pour les aliments secs, les aliments frais et les produits non alimentaires dans les semaines à venir”.

Comment donc les distributeurs parviennent-ils à diminuer leurs prix alors que l’inflation alimentaire reste élevée? “Dans un contexte de baisse des prix des matières premières, Carrefour s’est assis avec ses fournisseurs pour renégocier les prix à la baisse”, assure Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour. A l’instar de l’énergie, certaines matières premières agricoles, en particulier les céréales, les huiles végétales et les produits laitiers, qui ont connu une forte hausse en 2022, sont aujourd’hui à la baisse. Une tendance confirmée par l’indice des prix des matières premières de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), qui est en recul de 19,7% en comparaison avec l’année dernière.

“On n’assistera pas à une baisse drastique. Certains coûts doivent être absorbés.”

Fait relativement nouveau, les négociations entre fournisseurs et distributeurs ne semblent plus être limitées à une seule période mais deviennent de plus en plus permanentes. “Après les accords annuels précédents, il y a eu de nombreuses majorations tarifaires intermédiaires et donc des négociations”, explique Nathalie Roisin, porte-parole de Colruyt.

Négociations exceptionnelles

Carrefour confirme également le caractère exceptionnel des négociations. “Le rythme annuel des négociations n’est plus respecté par les fournisseurs depuis le début de la crise économique et géopolitique, donc on ne peut plus attendre la réunion annuelle pour renégocier les prix à la baisse”, confirme Siryn Stambouli.

Christophe Sancy (Gondola) © pg

Tant les distributeurs que les fournisseurs industriels ont donc un intérêt à renégocier même si leur objectif diffère. “Chacun veut réajuster ses prix, poursuit Christophe Sancy qui estime qu’on n’assistera pas à une baisse drastique. Certains coûts comme l’indexation salariale vont rester et doivent être absorbés.”

Si les enseignes communiquent sur la baisse des prix, elles évitent de mentionner leurs augmentations. C’est de bonne guerre. Selon une analyse de Daltix, un fournisseur de données détenu majoritairement par Colruyt Group, les supermarchés ont augmenté le prix de davantage de produits qu’ils n’en ont réduit au cours des dernières semaines. Daltix a ainsi constaté que Carrefour avait baissé le prix de 2.033 produits mais qu’il aurait augmenté le montant de 5.519 articles.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un record, selon Daltix. “Carrefour est le distributeur qui propose l’assortiment de références le plus large. Ce paramètre a pu influencer à la hausse les chiffres constatés”, précise la porte-parole qui rappelle que d’autres baisses de prix sont intervenues depuis la publication de l’étude. Sur cette même période, Delhaize a diminué le prix de 1.672 produits et en a augmenté 4.325, tandis qu’Albert Heijn s’est contenté de 767 réductions pour 2.812 augmentations.

De son côté, Colruyt a baissé le prix de 1.646 articles et augmenté celui de 4.579 produits. Selon Daltix, les hard discounters n’échappent pas à cette tendance, Aldi et Lidl ayant augmenté davantage de prix qu’ils n’en ont réduit entre début mars et début mai. “Nous ne nions pas devoir encore augmenter le tarif de certains produits en raison de l’inflation alimentaire qui reste élevée, assure Dieter Snoeck, porte-parole d’Aldi. Nous augmentons les prix uniquement quand c’est nécessaire.”

Un panier ciblé

Les produits qui font l’objet d’une réduction de prix sont ciblés. Les marques de distributeurs sont principalement concernées, là où les distributeurs ont une plus grande marge pour agir. “Ce sont aussi des produits classiques dont tout le monde a besoin comme le sucre, la farine ou les pâtes”, analyse le rédacteur de Gondola. Pas question donc de commencer à baisser les prix sur les best- sellers. “D’une part, ça implique que les marges vont fondre et personne ne peut se le permettre. D’autre part, la marque ne va pas apprécier que l’on dévalorise son produit”, ajoute-t-il.

L’objectif de ces diverses promotions sous forme de réduction de prix? Fidéliser les clients et continuer à générer du chiffre d’affaires. “Difficile de dire si les enseignes sont dans la rétention ou dans la conquête du consommateur”, ajoute Christophe Sancy qui pointe la concurrence féroce sur le marché et l’attractivité redoutable des retailers français. “Stratégiquement, il est intéressant de se placer sur la défense du pouvoir d’achat et de se positionner comme alternative.”

Effet d’imitation

Le caractère exceptionnel de cette période d’inflation élevée démontre qu’une guerre des prix n’est plus seulement réservée à ceux qui ont fait du prix bas leur business model, tels Colruyt et Albert Heijn. Par effet d’imitation, tout le monde est concerné. Chacun s’aligne sur la concurrence afin de ne pas avoir une différence trop importante sur le panier classique. Se dirige-t-on dès lors vers une guerre commerciale? “Je parlerais plutôt d’agressivité”, analyse Christophe Sancy qui rappelle que les marges sont trop basses pour se lancer dans une véritable guerre des prix qui fragiliserait les enseignes.

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