L’entrepreneuriat dans les veines

Ils viennent de vendre l’une des start-up belges les plus en vue du mobile. Leur application de liste de courses et d’e-coupons vient de trouver preneur. Ce qui fait de myShopi leur troisième vente à succès dans l’univers du digital. Qui sont ces discrets entrepreneurs qui font du “shift” digital leur ADN ?

Dans les petits bureaux d’Agilys, à Braine-l’Alleud, la motivation est palpable. L’équipe de 10 personnes continue le développement de l’application de liste de courses et de coupons de réduction myShopi, sous la direction des deux heureux fondateurs, Philippe Van Ophem et Renaud Gryspeerdt. Mais ceux-ci planchent tout particulièrement sur la stratégie future de leur start-up : leur but est de combiner leur application pour smartphones et tablettes à des offres sur papier. Une combinaison à laquelle ils ont toujours cru mais qui, aujourd’hui, prend tout son sens. En effet, ils viennent de céder leur entreprise au groupe Belgique Diffusion (BD), spécialiste de la communication promotionnelle dans les toutes-boîtes (130 millions d’euros de chiffre d’affaires). Mais ils ne quittent pas le navire : les deux entrepreneurs se sont engagés à assurer, pendant trois ans, la croissance et la stratégie de la start-up qui compte parmi les plus belles réussites mobiles belges.

Fondée en 2010, la firme Agilys dispose d’un profil très atypique : elle est l’une des rares start-up construites sur le mobile qui ne vit que d’un seul produit (myShopi), qui cartonne : 3,2 millions de téléchargements dans le monde, dont 390.000 rien qu’en Belgique. MyShopi a d’ailleurs été primée App of The Year en 2012 et Agilys a obtenu le prix Enterprize de 2013. Son concept est pourtant assez simple : proposer gratuitement aux possesseurs de téléphones intelligents de créer leur liste de courses. Et, de manière naturelle, proposer une série de promotions pour des marques diverses (Coca-Cola, Maggi, Durex, Tropicana, etc.). C’est sur cette activité que la PME se rémunère. Et cela commence à fonctionner : avec 120.000 utilisateurs réguliers (au moins une fois par mois), myShopi a déjà réalisé par moins de 250.000 remboursements de bons de réduction. Pas étonnant que le groupe Belgique Diffusion (BD) ait vu dans l’application le bon moyen pour démarrer son virage numérique, lui qui touche chaque semaine 4,4 millions de ménages belges avec ses packs de dépliants dans les boîtes aux lettres.

Triple récidive Offrir à BD son virage numérique. Voilà un défi qui colle bien aux deux entrepreneurs. Car Philippe Van Ophem et Renaud Gryspeerdt n’en sont pas à leur coup d’essai en matière de shift numérique. C’est même le fil rouge de leur carrière commune. Car le duo qui s’est rencontré sur les bancs de l’école au Collège Saint-Michel ne s’est que très rarement séparé professionnellement. Après des études à l’UCL, Philippe Van Ophem démarre sa carrière chez Euroclear pendant que Renaud Gryspeerdt cofonde, en 1996, avec Manoël Ancion, un autre ami commun, la société Neosys. Internet était naissant et leur idée de départ était d’appliquer au Web une initiative à succès sur le Minitel : une bourse de fret. Il mettent en place Eurotrans qui sera utilisé par “plusieurs milliers de clients en Europe, se souvient Renaud Gryspeerdt. Le concept était intéressant puisqu’il permettait aux transporteurs de mieux remplir leurs camions.” La société grandit et Philippe Van Ophem rejoint les deux fondateurs initiaux. Rapidement, Neosys revend sa bourse de fret à Téléroute (le spécialiste sur le Minitel qui les a inspirés et qui veut investir le Web) mais développe une activité dans l’e-commerce. “Notre premier gros site était celui du Vlan mais nous avons également réalisé des missions pour des sociétés comme Jouets Broze, Vlan, G.E., etc.”, se souvient l’entrepreneur. En 2000, Neosys, qui compte 20 personnes, est revendue à Keyware. Après six mois au sein du groupe, le trio quitte l’acquéreur et prend un peu de bon temps. Renaud Gryspeerd, le “geek” de la bande, toujours passionné de technologies et premier parmi les early adopters, part vivre au Canada pour pratiquer l’anglais. Il y découvre (et ramène) le premier iPaq, cet ancêtre du smartphone développé au début des années 2000. Bluffé par les possibilités de gestion qu’il offre, Renaud en parle à ses fidèles partenaires. Il n’en faut pas plus pour que les trois amis montent la société Euremis en 2002. Euremis vendue 4,1 millions à Belgacom Leur idée ? Développer des applications sur mesure pour PDA. Grâce à des contacts dans l’univers médical et dans le secteur du fast-moving consumer goods (FMCG), Euremis identifie un créneau intéressant : la mise en place d’un outil CRM — consumer relationship management — pour vendeurs. “Cela permettait aux grandes entreprises des FMCG d’envoyer leurs employés avec des PDA dans les grands magasins pour faire des relevés, résume Philippe Van Ophem. Cela fonctionnait tellement bien qu’en 2006, le bureau d’études Gartner avait désigné notre solution comme l’une des cinq meilleures solutions CRM mobiles au monde.” Parmi les clients de la firme, des groupes comme Duvel Moortgat ou Ferrero ont permis à Euremis de travailler à l’international : Pays-Bas, France, USA, etc.

Après quatre ans, la PME compte 35 personnes et a réussi à se faire un nom sur le marché. Belgacom remarque la pépite et décide de s’en emparer ; en 2006, l’opérateur rachète Euremis pour 4,1 millions d’euros. Sa stratégie est claire : il veut se structurer dans la connectivité pour les entreprises et doper le chiffre d’affaires du GPRS. Les trois entrepreneurs comprennent toutefois que leur start-up n’est pas une priorité pour Belgacom et ils décident, en 2008, de quitter leur acquéreur. Tous les trois prennent alors une année sabbatique.

Foisonnement d’idées Mais, en 2010, l’entrepreneuriat les démange à nouveau. Avec plusieurs autres entrepreneurs, les amis louent des bureaux et décident de partir à la recherche d’une nouvelle idée business. Différentes idées retiennent leur attention. Mais celle qui les occupe le plus est Save For Life. Le concept ? Une carte de fidélité à finalité sociale, calquée sur le concept américain Upromise. L’idée est de financer de grands projets de vie, grâce à un programme de fidélité. Bien que le projet paraisse viable, le timing est mauvais : en pleine crise, les sociétés bloquent leur budget marketing. Après huit mois d’investigations, le plan est abandonné.

Philippe Van Ophem et Renaud Gryspeerdt décident alors tous les deux d’avancer sur un autre projet : le développement d’applications pour smartphones. S’ils sentent une opportunité, ils ignorent toutefois encore le modèle précis de leur projet. “Définir le business model de myShopi était la grande interrogation”, se souvient Renaud Gryspeerdt. Pendant un an et demi, le projet se finance sur fonds propres et avec l’aide d’un prêt de 800.000 euros sur trois ans de la Région wallonne, destiné à soutenir la R&D.

Aujourd’hui, myShopi est devenue une marque à part entière qui a séduit Belgique Diffusion, un groupe de 620 personnes qui entend s’appuyer sur la start-up pour proposer une plateforme de communication multicanal. Par ailleurs, myShopi pourrait bien devenir la marque B to C de Belgique Diffusion.

CHRISTOPHE CHARLOT

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