La télé, nouveau champ de bataille des géants du Web

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Désormais les amateurs de séries, de films et de contenus vidéo ont l’embarras du choix. Les opérateurs télécoms et les chaînes multiplient les offres, notamment sur le Web. Ils se préparent à devoir affronter des acteurs comme Amazon, Google et Apple qui veulent, eux aussi, s’emparer de votre télé.

Le smartphone prend de plus en plus de place dans notre quotidien. D’ailleurs, on passerait aujourd’hui plus de temps sur son téléphone que devant son petit écran dans le salon. C’est en tout cas ce que dévoilait une étude menée en mars par Millward Brown sur un échantillon de 12.000 personnes dans une trentaine de pays. En moyenne, le consommateur passerait 2 h 27 par jour sur son téléphone, contre 1 h 53 devant la télévision. Et si certains peuvent remettre en cause la précision de ces chiffres, la tendance est là : la concurrence des écrans est féroce et la télévision qui bénéficie toujours d’une place de choix est chamboulée par l’Internet.

Pourtant, d’après Pascal Cagni, qui a été patron d’Apple France jusqu’en 2012, “la télévision, et plus particulièrement le contenu qu’elle diffuse, est devenue la nouvelle quête du graal”. C’est ce qu’il déclarait en septembre dernier au quotidien Les Echos. Et à voir les récentes annonces de grandes entreprises actives dans le domaine du Web, on le croit volontiers. Amazon a annoncé le lancement aux Etats-Unis de Fire TV, un petit boîtier qui permet de regarder, sur son écran de télé, des contenus provenant du Web et de son magasin en ligne. Une sorte d’équivalent à Chromecast, produit commercialisé par Google, qui permet à peu près le même genre de services. Microsoft et Yahoo !, de leur côté, sont en train de produire eux-mêmes des séries télé. Depuis quelques années, Apple a aussi mis le pied sur le marché de l’écran avec son boîtier Apple TV. Quant à Netflix, un ancien acteur de la location de DVD aux Etats-Unis, il est devenu le plus gros acteur mondial de streaming vidéo : en échange d’un abonnement mensuel modeste, l’internaute a accès à des séries et des films du catalogue (donc pas tout récents). Pas de doute, Google, Apple, Amazon, Microsoft et Yahoo ! ont la petite lucarne en ligne de mire.

Un marché poids lourd “La télévision et le cinéma représentent un poids énorme par rapport à la musique et aux jeux vidéo, avec des revenus estimés à 500 milliards de dollars”, écrit Pascal Cagni. Et les technologies font considérablement évoluer ce secteur. La télévision connectée est de plus en plus une réalité, poussée par les opérateurs et les spécialistes de la technologie. Même si l’usage de leur connectivité reste relativement timide, les Smart TV proposées par des acteurs comme Samsung deviennent courantes dans les foyers belges. Et l’amélioration des technologies du Web et de la diffusion ont permis à la vidéo de prendre un essor tout particulier sur Internet. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir la popularité d’un service comme YouTube (Google) : tous les mois, 6 milliards d’heures de vidéos sont regardées par 1 milliard d’inscrits sur la plateforme.

Pas de doute, la télé du futur, celle qui sera totalement connectée, est bien au coeur de la stratégie des géants du Net. “Ils veulent tous éviter une fuite de l’innovation et mettent en place des initiatives qui leur permettent d’être présents partout, et notamment sur le créneau de la télévision qui bouge pas mal, analyse Jean-Michel Noé, M&A senior manager chez Deloitte. D’autant que dans le cadre du modèle Internet, le premier entrant dispose souvent d’un avantage sur les autres. Or, l’idée est évidemment de devenir la référence dans la télé en ligne et les contenus vidéo.”

Stratégies différentes Chacun des acteurs du Net attaque toutefois ce méga-marché avec une stratégie différente. Ainsi, Google déploie “la même approche que sur le Net, observe Simon Castex, directeur product management chez Voo-Be TV. L’idée est de s’emparer d’une partie du gâteau publicitaire.” Pour l’instant, le géant de la recherche en ligne n’est pas parvenu à des résultats mirobolants. Aux Etats-Unis, Google s’était associé à un opérateur pour adresser de la pub ciblée aux téléspectateurs en remplacement de la pub nationale. Mais la firme n’a pas encore réussi à déployer de réel modèle mass market. Après diverses tentatives au succès mitigé, la firme de Mountain View a développé Chromecast, petite clé USB permettant aux utilisateurs de regarder sur leur télé des contenus du Web. Elle prépare aussi une plateforme Android TV pour diffuser des contenus.

Apple et Amazon parient plus sur la vente de contenus vidéo. La firme à la pomme avait déjà révolutionné l’univers de la musique en lançant son couple iPod/iTunes, popularisant au passage le téléchargement légal de musique. Cette fois, l’entreprise californienne espère rééditer l’exploit dans l’univers de la vidéo et de la télé. Car en plus des séries et des films disponibles à l’achat à l’unité, le boîtier Apple TV permet également d’accéder à des contenus en provenance de différentes sources, notamment du service Hulu (sorte de service de VOD cofondé par NBC, Fox et Disney). Pour sa part, Amazon veut se positionner sur le marché de la vidéo pour devenir incontournable dans la vente de biens culturels (livres, musique, films, etc.). Le spécialise de l’e-commerce a lancé Fire TV, un autre boîtier reliant la télévision au Web, pour accélérer la consommation de son offre de contenus. Elle avait déjà lancé son offre télévisée, Prime Instant Video. Pour tenter de convaincre les internautes, Amazon, comme ses concurrentes, multiplie les partenariats avec des fournisseurs de contenus. La firme vient de boucler un accord avec la chaîne HBO, qui produit de nombreuses séries à succès telles que The Sopranos et The Wire, visant à intégrer son contenu à Prime Instant Video.

Quant à Yahoo! et Microsoft, ils ont chacun des projets. L’ancienne gloire des portails web travaille sur quatre coûteux projets de séries (jusqu’à 1 million de dollars par épisode !). Et le créateur de Windows a six séries sur le feu pour sa plateforme Xbox.

Le contenu est roi C’est qu’aujourd’hui, le contenu est roi. C’est l’enjeu principal qui détermine l’intérêt du consommateur pour les (nombreuses) offres disponibles. Et tous les acteurs se battent sur ce terrain : gros acteurs du Web, chaînes de télé, opérateurs télécoms… Ce n’est pas pour rien, par exemple, que les droits du foot se négocient âprement, que Telenet a lancé une offre de vidéo à la demande baptisée Rio et que Belgacom a annoncé un Movies & Series Pass… Le besoin de contenus attractifs explique que les géants du Net se lancent eux-mêmes dans la production de contenus propres. Netflix a déjà diffusé plusieurs séries à succès (comme House of Cards avec Kevin Spacey).

Nos chaînes doivent-elles craindre l’arrivée des géants sur leurs platebandes ? “La télévision reste aujourd’hui encore le meilleur moyen de toucher les masses, observe Jean-Michel Noé. Par contre, les chaînes ont à l’oeil les évolutions d’Internet car elles provoquent progressivement une dématérialisation de la télévision telle qu’on la connaît avec son écran, son câble et sa télécommande.” D’ailleurs, la linéarité traditionnelle des programmes est de plus en plus remise en cause et pousse les chaînes à se réinventer et à lancer de nouveaux services. RTL-TVI l’a plutôt bien compris avec RTL à l’infini. Ce service permet au téléspectateur, moyennant un abonnement (5 euros/mois), de voir ou revoir les programmes et les séries télé. Une manière d’éviter de voir trop de téléspectateurs consommer ce type de contenus sur le Web, de manière légale ou sur des sites beaucoup moins respectueux des droits d’auteurs.

CHRISTOPHE CHARLOT

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