Rudy Aernoudt

La relocalisation, une tendance durable?

Nombreux sont les Belges qui se rendent à l’étranger pendant les vacances pour jouir de paysages bucoliques et d’un climat plus clément. Il en va de même pour les entreprises en quête de facteurs économiques plus intéressants. Elles étaient très nombreuses à faire leurs valises à la fin de la décennie précédente.

On estime à 40% le nombre d’entreprises européennes de plus de 50 employés à avoir délocalisé entièrement ou partiellement leur production à l’étranger entre 2006 et 2009. Les pays offrant des salaires jusque 10 fois moins élevés que dans les pays européens figuraient parmi les destinations les plus prisées. Avec l’impact négatif que l’on devine sur la croissance et l’emploi en Europe.

Heureusement, la tendance à l’expatriation s’est calmée. L’hémorragie a pris fin entre 2010 et 2016 du fait de l’érosion des facteurs économiques. Mieux encore : bon nombre d’entreprises délocalisées envisagent désormais de relocaliser leur production.

Le salaire annuel moyen d’un ouvrier chinois s’élevait à 75.000 yuans en 2018 contre 15.000 yuans en 2004, soit cinq fois plus. Qui plus est, la valeur réelle de la devise chinoise a doublé pendant cette période. Autrement dit, les coûts salariaux ont décuplé pour les entreprises européennes.

Ce n’est pas tout. Les coûts logistiques ont, eux aussi, augmenté. La conscientisation écologique est en marche. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à se demander s’il est normal de délocaliser la production en Chine pour la seule et unique raison de bas coût du travail et, en fin de parcours, de tout réacheminer en Europe, le principal débouché. Conscients de l’ineptie du système, ils privilégient de plus en plus les produits locaux.

Le coût salarial ne peut plus être le seul facteur à prendre en compte. D’autant que la numérisation et la robotisation ont pour effet d’alléger le poids des salaires dans les coûts globaux. Tous les paramètres peuvent être ramenés à un seul, le TCO ( total cost of operation). Compte tenu du TCO de la délocalisation 10 ans plus tard, la conclusion est sans appel : la relocalisation est devenue la meilleure solution.

Si la comparaison prend en compte les coûts salariaux uniquement, 15% des entreprises américaines délocalisées auraient aujourd’hui intérêt à rentrer au bercail. Si la comparaison est étendue au TCO, ce pourcentage passerait à 56%. Le potentiel est tellement énorme que le gouvernement a lancé l’American Reshoring Initiative qui vise à identifier les entreprises délocalisées et à lister les arguments susceptibles de les convaincre de rapatrier leur production. Le résultat est incontestable : 90% des nouveaux emplois créés dans l’industrie américaine en 2017 sont le fruit d’une relocalisation. L’impact potentiel de celle-ci est évalué à six millions d’emplois, dont 750.000 déjà concrétisés.

Et l’Europe dans tout cela ? Même si le phénomène de délocalisation des entreprises européennes était plus limité, le potentiel de retour n’en est pas moins important. Le Royaume-Uni a suivi les Etats-Unis avec l’UK Reshoring, une initiative commune de l’ensemble des organisations patronales. Fin 2018, 16 entreprises britanniques délocalisées, tous secteurs confondus, ont ainsi fait le choix de relocaliser leur production au pays, comme Burberry (textile), Beehealth (pharmacie), Gtech (électronique) et Symington’s Ltd (alimentation). Ces quatre entreprises représentent à elles seules 500 nouveaux emplois.

Il n’existe pas de chiffres comparables pour l’Union européenne et encore moins de politique européenne proactive en la matière. Il existe, par contre, un Reshoring Monitor qui a pour but de cartographier le phénomène. Une politique européenne proactive qui dirait haut et fort que l’industrie est la bienvenue en Europe pourrait, à mon sens, rebooster la prospérité économique sur le Vieux Continent. Il faut cesser de voir l’industrie à l’antipode de l’écologie. La relocalisation a pour effet de rapprocher producteurs et consommateurs et constitue donc un choix écologiquement responsable. Notre tout nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, a du pain sur la planche : faire inscrire en priorité ce genre d’initiative à l’agenda politique européen.

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