La durabilité s’installe dans les conseils d’administration

Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

En Belgique, comme dans toute l’Europe, les sociétés cotées essaient d’amener des personnes avec une expertise en développement durable, révèle le Board Monitor d’Heidrick & Struggles. Et plus jeunes…

L’an dernier, les entreprises du Bel20 ont désigné 20 nouveaux administrateurs, ce qui représente un renouvellement de près de 10% de l’ensemble des conseils d’administration. Le bureau de conseil et de recrutement Heidrick & Struggles a analysé le profil de ces nouveaux administrateurs et en tire une série de conclusions très éclairantes quant à l’état d’esprit des entreprises concernées.

Premier élément frappant de la septième édition de ce Board Monitor: la moitié de ces nouveaux administrateurs sont des personnes qui n’avaient jamais siégé auparavant dans un CA. En 2020, seuls 33% des nominations concernaient des nouveaux arrivants. Ces chiffres attestent d’une véritable volonté de renouvellement, largement au-delà de la moyenne européenne (39% de “primo administrateurs”), même s’ils restent très éloignés des… 80% du Portugal. En sortant ainsi du vivier des valeurs sûres, les entreprises belges affichent une certaine foi en l’avenir et une envie d’explorer des voies peut-être différentes.

Age moyen: 52 ans

C’est d’autant plus vrai que ces administrateurs sont aussi plus jeunes: 52,8 ans, contre plus de 55 ans les trois dernières années. Seule la Pologne fait mieux avec un âge moyen de 50,2 ans. Le plus jeune administrateur nouvellement nommé en Belgique est remarquablement jeune puisqu’il n’a que 37 ans. “Bien que la situation soit encore délicate dans certains secteurs, nous constatons un regain de confiance, commente Marie-Hélène De Coster, partner in charge d’Heidrick & Struggles Belux. Les entreprises du Bel20 ont saisi cette opportunité pour nommer des profils plus jeunes et qui n’ont jamais été administrateurs auparavant.”

“C’est la combinaison des profils qui est très intéressante. Les différences d’âge, de genres, de parcours professionnels…”

Elles ont aussi nommé plus de femmes. Avec 60% d’administratrices parmi les 20 nominations de 2022, la Belgique double quasiment son ratio de 2021 (31%) et rejoint le Danemark et l’Espagne dans le peloton de tête européen. “C’est la combinaison des profils qui est très intéressante, poursuit Marie-Hélène De Coster. Les différences d’âge, de genres, de parcours professionnels, de profils… apportent des regards différents qui, ensemble, font la force d’un CA.”

Marie-Hélène De Coster (Heidrick & Struggles Belux). © PG

Ce souci de sortir du cadre habituel est renforcé par une autre nouveauté de ce Board Monitor: la désignation d’administrateurs ayant des compétences reconnues en matière de durabilité. Cela ne représente “que” 10% du total des nominations (soit deux individus) mais c’est une première et elle se manifeste dans l’ensemble des CA des sociétés européennes.

“Le mouvement est amorcé et reflète bien, à mon sens, les considérations sociétales actuelles, analyse la responsable de Heidrick & Struggles Belux. Cela traduit évidemment une conscientisation. Aujourd’hui, on ne peut plus regarder à côté. Le conseil d’administration joue un rôle crucial en guidant correctement le comité exécutif sur l es questions de durabilité et en convainquant les actionnaires d’investir durablement.”

Elle constate par ailleurs une demande croissante des sociétés pour former leurs administrateurs aux enjeux du développement durable, afin qu’ils puissent prendre les décisions les plus pertinentes sur le long terme.

Cette évolution résulte peut-être d’une conscientisation vis-à-vis des limites planétaires mais aussi, plus prosaïquement, d’un souci pour continuer à attirer des talents. “Les jeunes générations recherchent vraiment cette dimension de durabilité dans les sociétés, assure Marie-Hélène De Coster. Et ces jeunes ne se contentent pas de mots. Ils veulent une vraie cohérence avec les actes. Ils placent la cohérence et les valeurs d’une entreprise au centre de leur décision lorsqu’ils choisissent un futur employeur.”

Voilà en tout cas un élément intéressant à retenir dans le cadre du débat actuel sur la nécessité ou non d’une pause dans le renforcement des règles environnementales dans l’industrie européenne.

Directeurs financiers

Un bémol peut-être à ce petit vent d’audace qui souffle sur la composition des conseils d’administration: l’arrivée en force des directeurs financiers (26% des nominations de 2022 dans les entreprises belges), chargés de rassurer sur les finances de l’entreprise. La Belgique se classe ainsi en deuxième position européenne, juste derrière la Suède (28%).

“Dans l’environnement économique encore incertain dont, je pense, nous commençons à sortir, les entreprises ont envie de sécuriser leur santé financière, décrypte Marie-Hélène De Coster. Elles tendent donc à renforcer l’expertise financière de leur CA. En outre, les directeurs financiers prennent souvent en charge les comité d’audit, qui garantissent la bonne gouvernance au sein de l’entreprise.”

Elle regrette cependant que les conseils restent l’apanage des CEO, CFO et directeurs des opérations, alors qu’une expérience dans d’autres fonctions dirigeantes pourrait aussi s’avérer précieuse pour les CA. Elle songe en particulier aux directeurs des ressources humaines. “La gestion des talents est devenue prioritaire pour la plupart des sociétés, explique notre interlocutrice. Constituer les bonnes équipes n’est évidemment pas le rôle du CA – cela relève de l’opérationnel – mais ce dernier doit anticiper les besoins futurs, en fonction de la stratégie de l’entreprise. Avoir au conseil des personnes avec une vision sur le type de management dont l’entreprise aura besoin dans les années à venir sera très utile.”

Plans de succession

La directrice de H&S Belux confie à ce propos que de plus en plus de grandes entreprises élaborent des “stratégies de succession” et essaient de recenser les candidats potentiels pour les fonctions exécutives, et même parfois pour le conseil, dans l’immédiat ou dans les trois-quatre ans à venir. “C’est de la bonne gestion de risque, dit-elle. Le Covid-19 a rappelé à tout le monde que les accidents de la vie existaient. Or, la pérennité d’une entreprise peut dépendre de certaines fonctions clés. Par ailleurs, la guerre des talents pousse à la mobilité des individus. Il est donc sain d’élaborer un bon plan de succession. Nous aidons les entreprises dans ce cadre. C’est un job très intéressant pour un bureau comme le nôtre. Nous sommes alors très proches du client et de sa stratégie. C’est beaucoup moins réactif que le recrutement classique.”

“Globalement, le mélange d’actifs et de non-actifs est une excellente pratique.”

L’an dernier, le Board Monitor avait révélé la présence de plus en plus affirmée de personnes encore en activité parmi les administrateurs. C’est moins le cas cette année, puisque 55% des nouveaux administrateurs des sociétés belges sont retraités (31% l’an dernier). En moyenne, 63% des administrateurs occupent un poste opérationnel dans une autre entreprise. La Belgique est ici avant- dernière avec seulement 45% d’administrateurs actifs.

“Leur présence est importante car ils amènent une expérience actuelle de management, de leadership, de définition des stratégies, conclut Marie-Hélène De Coster. Il faut évidemment éviter les conflits d’intérêt et combiner avec d’autres administrateurs qui ont une expérience plus de long terme, mais globalement, le mélange d’actifs et de non-actifs est une excellente pratique dans un conseil d’administration.”

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