« La désirabilité de Lacoste va encore grandir »

Chaque seconde, deux produits Lacoste sont vendus dans le monde. Polos, parfums, chaussures, lunettes, montres, linge de maison, etc. L’entreprise se porte bien et son patron Thierry Guibert n’est pas peu fier de son dernier coup marketing : le recrutement du champion Novak Djokovic comme nouvel ambassadeur de la marque mythique. Interview exclusive.
Depuis quelques jours, Novak Djokovic porte une nouvelle tenue bariolée sur les courts de Roland Garros. Le numéro 2 mondial du tennis arbore désormais un reptile sur le coeur, emblème de son nouveau partenariat fraîchement signé avec Lacoste. A 30 ans, le Serbe est ainsi devenu le new crocodile de l’ATP et Thierry Guibert, le PDG de la marque française passée sous giron suisse en 2012, se réjouit de cette belle prise dans ses filets… de tennis. Rencontre avec un patron comblé qui fait le point sur la bonne santé de sa société.
TRENDS-TENDANCES. En 2016, Lacoste a franchi la barre des 2 milliards de chiffre d’affaires contre 1,6 milliard » seulement » cinq ans plus tôt. Quelle est la marge bénéficiaire de votre entreprise, qui est en pleine croissance ?
THIERRY GUIBERT. Lacoste est une société qui n’est pas cotée en Bourse. Elle est détenue par une famille qui ne souhaite pas communiquer à ce sujet. Je ne peux donc pas vous donner de chiffres. Cela dit, je peux vous donner des tendances et vous dire que c’est une boîte qui dégage du profit. On a une croissance qui est assez régulière depuis trois ou quatre ans. On a effectivement passé la barre des 2 milliards de chiffre d’affaires en 2016, mais l’idée n’est pas de faire la course au volume, ni de faire la course à la croissance pour la croissance, parce que l’on a quand même opéré des repositionnements assez sévères sur certains marchés, je pense notamment au marché américain.
Profil
• 1970 : naissance à Saint-Maur-des-Fossés, dans la région parisienne.
• 1996 : diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims. Il débute sa carrière au cabinet d’audit KPMG.
• 1999 : contrôleur financier dans le groupe de luxe Pinault-Printemps-Redoute (devenu ensuite PPR, puis Kering).
• 2006 : directeur financier de la Fnac avant d’en devenir, un an plus tard, le directeur général.
• 2008 : PDG de la chaîne de meubles Conforama.
• 2015 : PDG de Lacoste qui appartient, depuis 2012, au groupe suisse Maus Frères Holding.
Pourquoi ces repositionnements ?
Quand je suis arrivé chez Lacoste il y a presque trois ans, je me suis rendu compte que la marque avait été un peu galvaudée sur certains marchés. On avait fait ce qu’on appelle chez nous du sell in, c’est-à-dire qu’on avait poussé les volumes sans vraiment regarder où Lacoste se vendait. Et donc, quand je suis arrivé, j’ai souhaité reprendre le contrôle du réseau, fermer les points de vente qui n’étaient pas qualitatifs et repositionner la marque. Avant, nous étions trop dans le promotionnel. Or, quand vous voulez vendre une marque premium qui incarne des valeurs, il faut à un moment donné que la marque ne soit pas en promotion tous les quatre jours. Donc, j’ai un peu resserré la distribution et malgré cela, nous avons quand même connu une croissance quasiment à deux chiffres l’année dernière. Cette année, nous sommes sur la même tendance avec un très bon premier quadrimestre. Donc, oui, la marque va bien, principalement en Europe où elle est très dynamique.
Après des années fastes, Lacoste a pourtant connu un passage à vide dans les années 1990 quand les rappeurs des banlieues se sont, contre toute attente, approprié la marque. Quelles sont aujourd’hui les recettes du succès retrouvé ?
C’est de savoir où l’on va. Chaque fois que la marque a vacillé, c’est parce que nous n’avions pas de direction claire. Alors c’est vrai, à un moment donné, on a un peu subi le côté » sport récupéré par les rappeurs « . Et nous, avec notre polo, nous n’arrivions plus à proposer autre chose. Or, Lacoste a été bâti sur un ADN assez simple : le » sport élégance » et la francité. Ce sont les deux piliers. C’est comme ça que le fondateur René Lacoste a imaginé la marque : le côté savoir-faire français et le sport en mouvement avec une certaine élégance. Il ne faut pas oublier que René Lacoste a fabriqué son polo pour pouvoir jouer au tennis de manière confortable avec quelque chose qui pouvait être » design » à l’époque. Avec mes équipes, j’ai donc refocalisé la marque sur ces deux piliers. Lacoste est une marque sport. C’est une marque française. Et je pense que nous sommes en train de devenir une marque lifestyle. Le concentré de tout ça, c’est la vraie recette du succès.
Pourtant Lacoste a été rachetée en 2012 par le groupe suisse Maus Frères Holding qui est actif dans la distribution, le bricolage, l’électronique, le sport, la mode, etc. Lacoste est-elle encore une marque française ?
Vous savez, Gucci appartient depuis une quinzaine d’années au groupe PPR devenu Kering et elle reste pourtant une marque italienne. Alors oui, l’actionnaire de Lacoste est suisse, mais Lacoste reste une marque française. Moi, je n’identifie pas du tout la marque à l’actionnariat. Ce serait une erreur de le faire. Personnellement, je cultive l’aspect français parce que la marque, justement, a ces racines-là. Attention, il ne faut pas faire non plus du fake marketing, mais on ne peut pas nier l’histoire et c’est vrai que cet héritage français plaît beaucoup, surtout en Asie et même aux Etats-Unis. La qualité et les valeurs de la marque attirent beaucoup.
Ce savoir-français, vous avez aussi décidé de le remettre à l’honneur avec l’inauguration récente d’une Lacoste Manufacturing Academy à Troyes. Vous avez décidé de réinvestir en France…
Oui, nous avons ouvert une école de formation en France il y a trois mois. Dans la production des polos, il y a trois phases : du tricotage, de la teinture et de la confection. Et pour cela, il faut un savoir-faire spécifique. La formation de bonnetier, par exemple, dure un an…
Mais cet ancrage local, est-ce aussi un argument marketing pour dire aux clients : » Regardez, nous sommes une marque historiquement française et nous continuons à produire en France » ?
Bien sûr que c’est aussi un argument marketing, mais ça ne peut pas être que ça. Parce que le client ne se trompe pas. Nous n’avons jamais caché que nous ne produisons pas tous nos produits en France. Nous avons des points de vente dans le monde entier et il est normal que nous fabriquions aussi à l’étranger. Nous ne nous revendiquons pas comme marque 100 % made in France. Mais nous avons aussi un savoir-faire, nous voulons l’entretenir et pour ce faire, j’ai fait appel aux collectivités territoriales et régionales en France. Or, il n’y a plus d’école dans ce secteur. Alors, nous avons décidé de réinvestir nous-mêmes dans la formation.
C’est une mission sociale ?
Nous n’avions pas le choix. La pyramide des âges est plutôt vieillissante en France. Si nous ne réinvestissions pas nous-mêmes dans la formation, nous perdions le savoir-faire et devions fermer les usines ! Aujourd’hui, avec ce nouveau centre de formation à Troyes, on attire à nouveau les jeunes.
Quel est votre plus grand défi en tant que PDG de Lacoste aujourd’hui ?
Le plus grand défi, c’est probablement de reprendre une place prépondérante sur le marché américain.
En positionnant la marque comment ? Pourrait-on dire que Lacoste, c’est du » luxe sobre « , un luxe qui n’est pas arrogant ?
C’est exactement ça. Ce qui me gêne, dans le luxe, c’est le côté » ce n’est pas abordable pour tout le monde « . Or moi, je souhaite que Lacoste le soit. Attention, ça ne veut pas dire que les prix ne sont pas élevés, mais ça veut dire que j’ai encore envie qu’un gamin ou un senior, même s’il a des moyens limités, puisse mettre un peu d’argent de côté pour aller s’acheter quand même un polo Lacoste. Aujourd’hui, quelqu’un qui n’a pas les moyens ne va pas épargner pour acheter, excusez-moi, un vêtement Dolce & Gabbana. Ça ne l’intéresse pas. Par contre, il va faire l’effort pour s’offrir un polo Lacoste. Moi, je veux rester à ce niveau-là. Donc, oui, c’est premium, mais un premium abordable. Et pour faire cela, il faut être respectueux et ne pas avoir un côté arrogant.
11.800points de vente Lacoste dans 125 pays dont 1200 boutiques en nom propre
D’où le choix du champion de tennis Novak Djokovic comme nouvel ambassadeur de la marque ?
Exactement ! Lacoste est une marque authentique, mondialement connue et qui aura bientôt 85 ans. Quand on achète un polo Lacoste, on achète des valeurs et elles sont très importantes à mes yeux. Il s’agit de la ténacité, du fair-play, de l’engagement et de l’humilité. Je me souviens du tout premier jour où j’ai rejoint Lacoste. C’était le 18 janvier 2015. Un membre de ma nouvelle équipe m’a demandé : » Qui voudriez-vous avoir comme ambassadeur pour Lacoste ? « . J’ai immédiatement répondu : » Novak Djokovic « , parce qu’il incarne, à mes yeux, toutes les valeurs de la marque. J’en ai rêvé et je suis très heureux aujourd’hui que ce partenariat ait pu se concrétiser. Novak est un des plus grands champions de notre époque, mais il est resté humble, simple et toujours accessible. Avec ce partenariat, je pense que la désirabilité de la marque va encore grandir.
Un scoop pour Trends-Tendances : le montant du contrat de Djokovic pour Lacoste ?
(Rires) Vous êtes très drôle !
Bon, un mot sur vous et sur votre parcours, alors. Vous avez travaillé chez PPR et, avant Lacoste, vous étiez PDG de Conforama. Quelle est la plus grande difficulté quand on passe d’une chaîne de meubles à une marque textile de prestige ?
Je suis effectivement passé par le luxe, le retail, etc. La famille suisse qui est venue me chercher connaissait mon parcours. Quand vous êtes patron de Conforama, vous êtes dans le mass retail et les marges sont très courtes. Et donc, on sait compter. Un sou est un sou et on est très sensible à tout ce qui touche à l’élasticité du prix vis-à-vis du consommateur. Donc, quand vous avez cette éducation-là et que vous arrivez dans une marque qui est un peu plus premium, finalement il y a davantage de place pour l’approximatif parce que les marges sont beaucoup plus confortables. En fait, je pense que c’est plus facile, parce que j’ai acquis une certaine rigueur. Bon, l’erreur à ne pas faire, c’est évidemment d’essayer d’appliquer les mêmes recettes. Ici, on change de monde. On n’est plus dans un label mais dans une marque.
La digitalisation n’épargne pas la mode. Quelle est votre stratégie face à des acteurs comme Amazon et autres Zalando ?
Nous avons un poids qui est assez conséquent dans ce domaine : entre 7 et 10 % de notre chiffre va se faire sur le Web à la fin de cette année. Mais c’est un indicateur un peu faussé parce que, aujourd’hui, nous sommes dans l’omnicanalité et il est parfois difficile de dire ce qui est vraiment commandé sur le Web et ce qui est vraiment commandé en magasin. Mais pour répondre précisément à votre question, nous avons une stratégie assez claire qui est de dire : nous avons nos flagships digitaux qui sont ouverts quasiment partout dans le monde et où vous retrouvez la collection in extenso telle que vous la trouvez en magasin. Et puis, ce qui est plus compliqué, c’est de gérer les Zalando, Amazon, etc. Nous avons une politique qui est assez stricte : on impose notre rythme en termes de branding – on ne présente pas Lacoste n’importe comment – en termes de whitelisting – s’il y a des faux, on enlève automatiquement tous nos produits du site – et en termes d’actes promotionnels – nous n’avons pas envie qu’il y ait systématiquement moins 10 % sur nos produits. A partir du moment où il y a ce respect global de la marque, il n’y a pas la volonté chez nous de ne pas aller dans ce créneau-là. Un acteur comme Amazon est en train de le comprendre. Cela fait très longtemps qu’il veut percer dans le domaine de la mode et s’il veut réussir, il doit respecter les marques. Donc aller contre Amazon serait une erreur, mais en revanche il faut l’encadrer et faire en sorte que le client y retrouve les codes qu’il trouve en magasin. Ça, c’est essentiel.
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