François Le Hodey (IPM): “Notre priorité, c’est de fédérer”

© ALEXIS HAULOT

Propriétaire des journaux “La Libre” et “La DH”, le groupe de presse IPM a fait main basse sur “L’Avenir” en juillet dernier. Son CEO François Le Hodey revient sur les coulisses de ce rachat stratégique et dissèque les défis de son industrie en ces temps chahutés.

La saga de L’Avenir au sein du groupe Tecteo devenu Nethys est enfin terminée. Dans quelques semaines, l’Autorité belge de la Concurrence (ABC) devrait logiquement donner son feu vert au groupe IPM pour le rachat de ce fleuron des Editions de l’Avenir, ainsi que des hebdomadaires Moustique et Télé Pocket.

Cet été, le propriétaire des journaux La Libre et La DH – qui s’est diversifié dans les paris en ligne avec BetFIRST mais aussi dans les voyages avec Continents Insolites – s’est en effet offert le quotidien régional, marquant ainsi une étape importante dans la consolidation du paysage de la presse belge.

Trends-Tendances. Combien avez-vous racheté L’Avenir ?

François Le Hodey. (Rires) J’aimerais bien vous le dire, mais je ne peux pas !

Pourquoi est-ce tabou ?

Quand une société est cotée en Bourse, on a toutes les informations. Mais ici, ce n’est pas le cas. Et puis, j’ai signé une convention dont le contenu est confidentiel. Mais ça ne restera pas secret très longtemps, je pense ( sourire). En tout cas, je trouve que Nethys a très bien géré le processus de vente!

A défaut d’avoir bien géré les Editions de l’Avenir pendant sept ans ?

C’est sûr qu’il y a eu une destruction de valeur au cours des années de gestion par Tecteo devenu Nethys…

Ici, pour le processus de vente, c’est un autre management !

Oui, on a eu en face de nous des interlocuteurs super-professionnels, d’excellents négociateurs et le processus de vente s’est fait de manière très rigoureuse.

La vraie question, c’est : avez-vous fait une bonne affaire ?

Pour ce qu’on appelle l’entreprise value, on a payé un prix qui est un vrai prix.

Des sources bien informées évoquent une somme inférieure à 6 millions d’euros…

Je ne vais vous dire ni oui ni non. N’oubliez pas qu’il y a une importante dette et que les immeubles ne sont pas dans la cession.

Tecteo avait racheté en 2013 les Editions de l’Avenir au groupe flamand Corelio pour une somme évaluée entre 15 et 20 millions d’euros. Ils ont donc fait une très mauvaise affaire…

Je pense qu’ils n’étaient clairement pas un bon actionnaire pour ce genre de business.

L’ironie, c’est que Tecteo et votre groupe IPM devaient racheter ensemble, à l’époque, les Editions de l’Avenir…

L’été 2013, c’était quasi signé. Il était prévu que Tecteo prenne 24% d’IPM, qu’on achète ensemble L’Avenir et qu’on développe une synergie ” contenant-contenus “.

Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ?

Parce que Tecteo a finalement décidé d’y aller seul !

Il y a eu trahison ?

Oh, je ne sais pas ! Je ne connais pas la véritable histoire…

Mais il a quand même été question, par la suite, de nouer un partenariat entre Tecteo et vous. Là, non plus, ça ne s’est pas fait…

Non, parce que le monde politique a décidé à ce moment-là que ce n’était pas nécessairement une bonne chose qu’un acteur comme Tecteo devienne actionnaire minoritaire d’un groupe de presse qui aurait compté La Libre, La DH et L’Avenir. Cela faisait beaucoup. En fait, personne ne s’attendait, politiquement, à ce que Tecteo fasse un mouvement dans la presse et quand ça s’est su, cela a été perçu comme quelque chose de… ( hésitation)

Pourquoi changerait-on la ligne éditoriale de L’Avenir ? On aime cette ligne, on aime cette marque et on veut lui donner les moyens de se développer.

… potentiellement dangereux ?

(nouvelle hésitation) Potentiellement dangereux, oui, alors que l’opération initiale était pourtant bien pensée. Dans notre accord, Tecteo n’avait pas de droit de gestion. Il était actionnaire passif. En fait, on avait d’un côté un vrai éditeur et de l’autre, un vrai opérateur télécom qui avait un accès privilégié aux contenus. Ensemble, on aurait développé des stratégies communes mais ce projet ne s’est pas réalisé parce qu’il y a eu probablement trop d’appétit du telco de devenir éditeur.

Tecteo a fait une erreur ?

On ne se transforme pas si facilement dans un autre métier. La presse, c’est un métier qui a une attraction très forte, qui est un peu le miroir aux alouettes. Mais c’est surtout une vraie industrie. Il faut l’aborder avec rigueur pour produire, vendre, faire du marketing, avoir les bonnes équipes rédactionnelles, etc.

Tecteo n’aurait-il vu que l’aspect ” pouvoir ” dans ce rachat d’un titre de presse ?

Un bon éditeur s’intéresse à ce que les lecteurs attendent, il doit avoir des idées sur les stratégies d’offre éditoriale. Ceux qui abordent la presse comme un enjeu de pouvoir se trompent.

Aujourd’hui, vous savourez votre revanche ?

L’esprit de revanche ne m’habite absolument pas. Il faut rappeler que déjà en 1995, nous avions proposé aux familles de Thysebaert et Desclée et à l’évêché de Namur, qui détenaient alors 100% de L’Avenir, de faire un 50%-50%. C’était la vraie belle opération à réaliser. Je ne vais pas entrer dans les détails mais ils ont refusé et l’évêché de Namur a vendu en 1999 le titre à la VUM devenue Corelio. Ce que je veux surtout dire, c’est que ce rapprochement entre L’Avenir et le groupe IPM était inscrit dans les astres. La seule chose qui m’étonne, c’est qu’il aura fallu 25 ans pour que cela se concrétise.

Ce rapprochement était donc inéluctable ?

Le marché doit se consolider. Et il n’y a pas 36 consolidations possibles. Cela doit être un acteur dans la presse quotidienne et de préférence un acteur local. Il n’y a que deux acteurs locaux : si c’est Rossel, il détient alors plus de 70% de parts de marché, ce qui n’est pas top sur le plan de la concurrence et du pluralisme ; si c’est IPM, on a alors deux acteurs de taille équilibrée, ce qui est infiniment mieux à tout point de vue. Je ne sais pas quel journaliste de L’Avenir a titré, le jour de l’annonce de l’opération, IPM s’offre un Avenir, mais il a tout compris ! C’est exactement: c’est aussi important pour nous que pour L’Avenir. Nous étions trop petits…

François Le Hodey (IPM):
© ALEXIS HAULOT

C’est donc un mariage de raison ?

Pas que de raison ! J’espère que c’est aussi un mariage d’amour (rires). C’est en tout cas une évidence structurelle. La Belgique francophone est un tout petit marché et, en termes de consolidation, nous sommes très en retard par rapport au marché flamand. On a perdu beaucoup de temps et, aujourd’hui, mon sentiment est plutôt de dire : enfin ! Après les premiers contacts avec L’Avenir, nous sommes super- enthousiastes de voir les potentialités qui s’ouvrent et nous sommes confiants à l’idée de faire ensemble rapidement du bon boulot.

Notre conviction, c’est que nous ne sommes qu’au début de la révolution numérique.

Dès que l’Autorité belge de la Concurrence aura donné son feu vert, quelle sera votre priorité pour L’Avenir ?

Notre première priorité, c’est de fédérer parce que ces dernières années passées chez Nethys, l’entreprise L’Avenir a vécu un traumatisme. Le fait de ne pas avoir un actionnaire qui exerce son leadership et rassemble les équipes, cela crée pas mal de divisions en interne. Il y a beaucoup de gens à ressembler. A L’Avenir, il y a de nombreux talents mais ils ne sont pas à la bonne vitesse et n’ont pas été habitués à travailler ensemble.

Vous allez procéder rapidement à une augmentation de capital ?

Concrètement, on ne va pas racheter la société EDA – les Editions de l’Avenir – mais bien sa branche d’activités presse. La société EDA avec les immeubles reste chez Nethys. On va donc créer une nouvelle société dans laquelle vont entrer nos partenaires privés Juan de Hemptinne, Pierre Rion et Bernard Delvaux, et où sera invitée la société coopérative Notre Avenir.

Y aura-t-il un rapprochement éditorial entre les titres ?

Beaucoup de gens se font un cinéma. Pourquoi changerait-on la ligne éditoriale de L’Avenir ? Elle fonctionne et nous ne sommes pas là pour la changer. On aime cette ligne, on aime cette marque et on veut lui donner les moyens de se développer. J’invite donc tout le monde à quitter la culture de la méfiance pour entrer pleinement dans celle de la confiance. La première chose à faire, c’est donc d’avoir une équipe soudée qui partage les mêmes valeurs professionnelles et qui amène L’Avenir à être rentable dès 2021. Cela veut dire qu’il faut être nécessairement plus efficace, sur tous les terrains, y compris le digital qui est un très gros chantier.

Le lectorat de L’Avenir est assez âgé. Pour le renouveler, il faut forcément séduire la jeune génération avec le numérique…

Le plus grand enjeu de L’Avenir, c’est comment connecter – j’aime bien ce mot au sens humain du terme – cette marque avec la jeune génération. Notre conviction, c’est que nous ne sommes qu’au début de la révolution numérique. Toutes les technologies que nous utilisons aujourd’hui vont évoluer de manière exponentielle. Il y aura plus de puissance disponible, plus de rapidité, plus de mobilité. Le vocal, la vidéo et l’écrit vont fusionner de plus en plus. Donc, il faut s’inscrire dans cette transformation complète du paysage médiatique. Une fois que l’on a accepté cela et qu’on le voit plus comme une opportunité que comme une menace, alors se débloquent, dans les neurones, tous les mécanismes de créativité.

François Le Hodey (IPM):
© ALEXIS HAULOT

Ce rachat s’opère dans un contexte particulier, sur fond de Covid-19 et de crise de la publicité. La chute des revenus est tout de même spectaculaire…

La baisse des revenus publicitaires est importante mais elle n’est pas spectaculaire. Elle est de l’ordre de -15% sur l’année. C’est beaucoup, mais ce n’est pas -40% ou plus comme c’est le cas malheureusement pour certains secteurs. Cette crise, on la traverse relativement bien, mais on doit prendre de grosses mesures de réductions de coûts!

Cela veut-il dire, concrètement, que vous allez créer davantage de synergies entre vos titres ? Les employés de L’Avenir doivent-ils s’attendre à des licenciements ?

Il n’y a pas de plan d’emploi prévu. Ce n’est pas dans la tradition d’IPM. Il faut tout faire pour éviter cela mais, par contre, il faut gérer les ressources humaines en permanence. Notre philosophie est d’être rigoureux et de remettre constamment en question nos processus et notre productivité. L’enjeu, c’est quoi ? C’est d’avoir des offres éditoriales sur le numérique qui soient plus riches. Parce que c’est ça qui va nous permettre de faire plus d’abonnés. On doit donc redéployer intelligemment les ressources et les optimaliser pour arriver à avoir des offres en contenus qui soient super-compétitives.

Que répondez-vous aux syndicats des Editions de l’Avenir qui, dès le jour de l’annonce du rachat, ont exprimé leurs craintes quant à la santé financière d’IPM ?

Les actionnaires d’IPM sont actifs dans plusieurs business, ils sont solides et ils ont une vision à long terme, c’est plutôt bien. Moi, j’ai investi dans cette entreprise en 1985, ma famille m’a rejoint en 1986. Cela fait quand même un petit temps, non ? En 35 ans, alors que la presse est un secteur en maturité, si pas régressif, la boîte a quadruplé de taille et est devenue une entreprise hautement technologique.

Votre entreprise est-elle saine et rentable ?

Elle est saine et rentable, bien sûr. Et elle investit énormément. Tout ce qu’on a pu grappiller, on l’a mis dans l’investissement. Vous savez, on a développé des choses fantastiques avec des moyens qui ne sont quand même pas très grands. On n’a pas arrêté d’investir, on n’a pas arrêté de grandir et aujourd’hui, on est entre 120 et 130 millions de chiffre d’affaires. Avec L’Avenir, on va approcher les 180 millions et, dans deux ans, on sera certainement à 200 millions.

Y aura-t-il, selon vous, d’autres consolidations dans ce paysage belge des médias ?

Il n’y a plus de consolidations à faire ici. Il faut grandir à l’étranger. Notre stratégie est technologique. Demain, les éditeurs auront des portefeuilles d’abonnés numériques qui se compteront en centaines de milliers. En volumétrie, on ne peut pas les atteindre sur le marché francophone belge. Il faut donc regarder ailleurs. Nous étions, par exemple, candidat au rachat de Paris-Normandie. On aurait bien aimé. C’est quasi la Wallonie en termes de marché. Bon, c’est Rossel qui l’a eu, mais il y aura d’autres opportunités. Il faut grandir et c’est aussi pour cette raison que nous sommes partis sur d’autres métiers. Le commun dénominateur à tous ces métiers, c’est la technologie. Ce sont tous des métiers où l’expertise d’Internet et l’expertise du marketing digital sont critiques…

La manière dont le CSA a géré le plan de fréquences des radios à l’été 2019 n’est pas conforme à un Etat de droit.

Cela veut dire concrètement que l’expertise acquise avec votre site de paris en ligne betFIRST rejaillit sur votre activité de presse au niveau stratégique ?

Oui, bien sûr. On apprend un métier où là, pour le coup, tout est digital. Les voyages, c’est aussi un projet technologique et de consolidation. On a acquis Continents Insolites il y a deux ans parce qu’on a vu une très belle marque, un métier qui est encore en voie de consolidation sur le plan inter- national et qui se transforme digitalement. Et donc, nous pouvons l’aider à faire sa propre révolution digitale. Pour nos équipes, c’est un challenge fort intéressant. Cela permet de faire croître la base technologique du groupe.

Dans ce paysage diversifié, vous avez aussi DH Radio…

Oui. Nos rédactions produisent historiquement des contenus écrits mais, aujourd’hui, c’est la convergence entre l’écrit, l’audio et la vidéo qui prime. Il faut trouver le modèle économique. C’est ce que nous réalisons avec la radio : La Libre et La DH produisent des informations sous forme audio qui sont sur nos sites en podcast et intégrées dans les journaux parlés de DH Radio. C’est ce qu’on appelle le cross-fertilization. Grâce aux rédactions de presse, DH Radio est la deuxième radio privée en contenus d’information après Bel RTL, et grâce aux expertises de la radio, les rédactions de presse réalisent des podcasts de haute qualité. La radio est un projet qui a pris du temps et cela représente un investissement conséquent puisque l’on a investi 10 millions en 10 ans. Pour un groupe tel que le nôtre, ce n’est pas rien ! C’est plus que ce que l’on mettra dans L’Avenir. Comme ça, vous avez une référence ( sourire). Donc, pour nous, la radio est un must de la convergence et on se battra jusqu’au sang pour lui conserver sa licence de diffusion.

C’est un clin d’oeil à LN24 avec qui vous êtes en conflit ouvert concernant le nouveau plan de fréquences ? (DH Radio n’a pas été retenue, au bénéfice du projet radio de LN24, Ndlr)

Le message est très clair. La manière dont le CSA a géré le plan de fréquences des radios en 2019 n’est pas conforme à un Etat de droit. Heureusement qu’il existe le Conseil d’Etat pour remettre le droit au centre : il a annulé sévèrement deux fois les décisions du CSA.

Que voulez-vous dire ? Le CSA est hyper-politisé, c’est ça ?

Complètement ! Vous pouvez l’écrire. Le CSA est sous l’influence de certains partis politiques.

Que faut-il faire, alors ?

Le CSA doit apprendre à respecter les règles, c’est tout.

On s’y perd un peu dans ces décisions relatives au nouveau plan de fréquences. Où en est-on aujourd’hui ?

Quand la décision de ne pas renouveler notre licence est tombée le 11 juillet 2019, il faut se rendre compte que cela représente 10 années de travail, 10 millions d’investissements, une équipe professionnelle… Tout cela jeté à la poubelle pour des raisons politiques, c’est scandaleux ! Nous avons demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette décision dans l’extrême urgence. Par deux fois, le Conseil d’Etat nous a donné raison. Les décisions du CSA concernant le refus de licence pour DH Radio et l’octroi de licences à LN24, Fun Radio et NRJ ont été annulées. DH Radio, Fun Radio et NRJ continuent donc à émettre sur base d’une tolérance administrative, dans l’attente de la décision définitive du Conseil d’Etat qui devrait tomber dans quelques mois.

Quand les responsables de LN24 disent qu’ils ne se laisseront pas faire, cela vous inspire quoi ?

Il faudrait d’abord qu’ils soient viables en télé. Il faut arrêter de rigoler! J’ai beaucoup de respect pour l’initiative mais pour la viabilité de leur modèle économique en télévision, ils doivent avoir au moins 3% à 4% de parts de marché. On en est loin… Et un nouveau projet radio ne fera qu’empirer leur situation économique, cela leur coûtera au minimum 5 à 8 millions sans certitude d’être rentable un jour.

Bref, vous tenez à votre radio !

Mais évidemment ! Tout qui s’intéresse aux enjeux de la convergence, de la presse et de l’innovation dans le secteur de la radio comprend en quoi ce qu’IPM réalise est remarquable.

Profil

  • Né le 13 février 1957
  • Bachelier en philosophie et master en droit à l’UCL en 1981
  • Avocat en droit des affaires de 1981 à 1983
  • Chef de cabinet du ministre-président Melchior Wathelet de 1983 à 1987
  • Consultant pour McKinsey New York et Bruxelles de 1990 à 1992
  • Vice-président du groupe IPM de 1993 à 1995
  • CEO du groupe IPM depuis 1996

Par Alexis Haulot.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content