Delhaize: quelles sont les conséquences pour les clients en cas de grève qui s’éternise ?

Le conflit social se durcit chez Delhaizz.

Après l’échec d’une nouvelle réunion entre syndicats et direction, la grève chez Delhaize ne semble guère sur le point de faiblir. Quelles en sont les conséquences pour le client?  Le point avec Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola, une plateforme spécialisée dans la distribution.

Les syndicats et la direction de Delhaize se sont réunis mardi matin à l’occasion d’un conseil d’entreprise extraordinaire, deux semaines après l’annonce de la volonté du groupe de franchiser ses 128 magasins encore en gestion propre. La réunion n’a pas laissé entrevoir le début d’une éclaircie. Les syndicats dénoncent l’absence de dialogue social dans le chef de la direction. Ils exigent le maintien des magasins intégrés, l’engagement sous contrat des faux indépendants et des recrutements supplémentaires afin de diminuer la charge de travail. Si un troisième et dernier conseil d’entreprise extraordinaire est prévu mardi prochain, la marge de négociations semble étroite.

Pour Myriam Djegham, secrétaire permanente du syndicat CNE, le blocage est même ” total, donc la mobilisation se poursuit. La lutte sera longue face à ce géant de la distribution.”

Que signifie cette longue lutte concrètement pour les clients ?  Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola, décode.

Quelles conséquences cette grève a-t-elle sur le court terme pour le client ?

Sur le court terme, cette grève n’a et n’aura que peu d’impact sur le client. Vu la densité de supermarché qu’il y a en Belgique, les clients peuvent en effet simplement changer d’enseignes s’il manque certains produits ou si le magasin est fermé. Plusieurs concurrents, comme Carrefour ou Colruyt, ont d’ailleurs déjà constaté une hausse de leurs ventes. Et si quelques magasins ont certains problèmes dans l’approvisionnement de certains produits frais, c’est loin d’être généralisé. La grève peut donc s’étaler sur plusieurs mois avant que cela pose de vrais problèmes. D’autant plus qu’on est dans une période creuse. Même si Pâques approche, on n’est pas dans l’une des périodes clés comme les fêtes de fin d’année ou l’approche de l’été. Là la situation n’aurait peut-être pas été la même.

Quant à savoir combien de temps la grève va durer, tout va dépendre d’où aura lieu la grève, dans quelle intensité ou encore comment. Par exemple, si la grève se cristallise sur les centres d’approvisionnement la donne risque d’être sensiblement différente. Si un de ces centres est bloqué une semaine, c’est déjà la catastrophe. Et surtout cela met à mal la continuité de l’entreprise. Mais dans le cas de Delhaize on n’en est pas encore là.

La grève touche-t-elle le pays de la même façon ?

On constate une énorme différence entre la Flandre et la partie francophone du pays. On est presque dans deux dimensions différentes. Au nord presque personne ne fait grève et on s’organise pour mieux s’armer sur ce qui est considéré comme un combat d’avenir, on essaye de voir comment s’adapter. Au Sud du pays, on est plus dans un combat social pour préserver les acquis du passé. Ils ont aussi été choqués par la décision radicale d’Ahold Delhaize. On n’est pas habitué à ça en Belgique. Cela a soulevé beaucoup d’émotions et cela ne permet pas d’avoir un débat serein.

La grève risque-t-elle d’avoir un impact sur les prix ?

La grève ne risque pas non plus d’avoir un impact sur les prix. Ou du moins pas sur le court terme. Par contre il sera intéressant de voir si les fournisseurs de Delhaize vont se montrer aussi sévères que l’a été Ahold Delhaize durant la pandémie avec ses fournisseurs. Le groupe avait en effet imposé des amendes à ceux qui n’avaient pas été capables de fournir les produits.

On l’oublie souvent, mais la chaîne logistique qui permet qu’un produit arrive dans un supermarché est une machine qui peut se gripper au moindre grain de sable. Cette chaîne est constamment sous tension et le cas Delhaize montre que personne n’est infaillible. Un distributeur peut aussi finir en mauvaise posture, voire en position de défaut.

Cette crise illustre aussi le besoin urgent d’une plus grande empathie dans la chaîne agroalimentaire. Et je ne parle pas seulement d’empathie sociale. Il faut aussi plus d’empathie économique. Chaque maillon de cette chaîne aurait beaucoup à gagner à mieux comprendre la manière dont chacun fonctionne. Le moins cher et le plus vite possible induisent beaucoup de pression. Or aujourd’hui tout le monde s’envoie la patate chaude et du coup personne n’est responsable.

Un autre point à tenir à l’œil est que cette crise ne déborde pas sur les autres supermarchés. Que le manque d’uniformité dans les commissions paritaires éclabousse tout le secteur. On a tous intérêt à ce qu’il y ait un alignement, sous peine d’avoir des abus dans tous les sens. Que pour un même boulot, on se retrouve avec toutes sortes de commissions paritaires différentes. 

Quel est le plus gros danger pour le client si tous les magasins sont franchisés en Belgique ?

Si une solution est trouvée à cette crise, la bonne nouvelle c’est que l’on aura mis fin au système de la distribution à papa hérité des années 1980. La mauvaise nouvelle c’est qu’on va se retrouver avec des indépendants qui auront surtout à cœur d’être rentables et de faire tourner leurs magasins. Or dans ce contexte, il est très difficile de s’engager dans des combats d’avenir. Cela dépasse le simple pouvoir d’achat puisqu’ils sont de ceux qui portent sur le long terme comme le réchauffement climatique ou la transition écologique. Or la chaîne alimentaire représente 30% de l’équation et notre chaîne alimentaire en Belgique, pour être durable, doit en faire 4 fois plus que ce qu’elle fait actuellement.

Et il ne faut pas se leurrer, si on passe au tout franchisé, cette fragmentation des responsabilités ne va pas pousser à un changement radical. D’autant plus que cela demande des investissements sur le long terme et des plans stratégiques sur 27 ans pour être neutre d’un point de vue Co2 d’ici 2050. En n’étant plus que le fournisseur de ces franchisés, Delhaize, par exemple, n’a plus le pouvoir d’imposer, mais, au mieux, d’inviter à ceci ou cela. On risque donc d’être confronté à un engagement mou des supermarchés dans cette transition économique et écologique nécessaire.

Si on ne peut nier que le tout franchisé est une bonne réponse à court terme et d’un point de vue du dynamisme commercial, il est à l’opposé d’une nécessaire stratégie collective pour faire face aux enjeux de la transition climatique qui s’annonce.

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