De l’importance de l’emploi des langues

Dans un arrêt de 2022, la cour du travail de Liège rappelle les conséquences irrémédiables d’un mauvais choix de langue pour l’entreprise en matière judiciaire. Même si l’erreur provient du tribunal lui-même…

Monsieur L était délégué du personnel et domicilié en Wallonie. La société dans laquelle il était employé a, quant à elle, son siège social à Gand. Elle dispose d’un siège d’exploitation à Tongres, là où L était employé. Pour des raisons qu’on ignore, la société a saisi le tribunal du travail d’Anvers (division Tongres) afin de licencier L pour motif grave.

Par jugement du 19 novembre 2018, notifié le même jour aux deux parties, le tribunal reconnaît le motif grave. La notification à L n’est toutefois pas assortie de la traduction en français alors qu’il est domicilié en Wallonie et qu’une loi du 15 juin 1935 impose la présence d’une telle traduction (sauf choix ou accord de la partie à qui elle doit être adressée).

Le 5 décembre suivant, Monsieur L n’ayant pas fait appel du jugement, la société lui notifie son licenciement. Mais le 3 janvier, L demande sa réintégration par courrier recommandé. Son “ancien” employeur ne donnant pas suite à cette demande, L introduit donc une procédure devant le tribunal du travail de Liège, lequel le déboute de ses demandes tendant au payement de la double indemnité de protection pour licenciement d’un représentant du personnel sans avoir suivi la procédure adéquate.

Renversement de situation

En seconde instance, la cour du travail de Liège va toutefois en décider autrement. Elle constate en effet que le décret flamand du 19 juillet 1973 concernant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs n’est pas applicable ici, puisque la question concerne le droit judiciaire. Ensuite, la cour constate la nullité du jugement notifié à Monsieur L parce que:

• la notification est contraire à la loi ;

• le fait que L ait participé aux débats devant le tribunal du travail d’Anvers ne présume pas son accord sur l’usage du néerlandais pour la notification du jugement.

Par conséquent, la cour constate que le délai d’appel contre le jugement de ce tribunal n’a jamais commencé à courir, ce qui entraîne la nullité du licenciement pour motif grave, dès lors que celui-ci ne peut être notifié qu’à partir du troisième jour ouvrable suivant l’échéance du délai d’appel. Par son arrêt du 30 août 2022, la cour du travail de Liège accorde donc à L la double indemnité de protection qu’il réclamait.

Recours contre l’Etat?

Cette décision est très sévère pour l’employeur. Toutefois, tout n’est pas perdu pour ce dernier. Le juge de première instance avait en effet estimé que la question de la traduction devait se régler entre le travailleur et l’Etat belge. Monsieur L, en appel, avait donc cité l’Etat en déclaration d’arrêt commun… et la cour avait fait droit à cette demande. Ce point est important pour l’employeur car celui-ci peut éventuellement se retourner vers l’Etat belge pour obtenir des dommages et intérêts équivalents à la somme déboursée, en raison de l’erreur du tribunal du travail d’Anvers.

© PG

Soyez donc toujours attentifs à la langue de la procédure, mais également à la notification des jugements. La procédure de licenciement des délégués du personnel est pleine de pièges, tout comme le droit judiciaire.

Alexandre Mignon,
avocat chez Younity

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