Comment le Thalys a repris des couleurs

Agnès Ogier, CEO de THI Factory (Thalys), est parvenue à relancer les ventes sans triomphalisme. © BELGA IMAGE

Après une décennie de stabilité, le train Thalys, qui dessert Paris, Amsterdam et Cologne, a retrouvé la croissance. Le TGV performerait encore davantage si Izy, son service low cost, était mieux connu des Belges.

Assiste-t-on à un nouveau départ pour Thalys ? Le TGV international a enfin franchi en 2017 le plafond des 7 millions de passagers par an, pour atteindre un total de 7,2 millions (+7%). C’était quasi inespéré : le service semblait être arrivé à maturité, avoir attiré tous les passagers qu’il pouvait transporter entre Paris, Bruxelles, Amsterdam et quelques villes allemandes (Cologne, Düsseldorf).

Depuis 2006, au gré de la conjoncture, son trafic tournait autour des 6,6 millions de voyageurs par an. Depuis son lancement voici une vingtaine d’années, Thalys a dû affronter la concurrence croissante des offres à prix égal et sur de plus longues distances (Barcelone, Milan, etc.) des compagnies aériennes à bas coûts, réduisant d’autant le vivier de la clientèle de loisirs.

“Une belle performance”

” Oui, 7,2 millions de passagers, c’est une belle performance “, note Agnès Ogier, CEO de THI Factory (Thalys), la société qui opère le service, filiale à 60 % de la SNCF et à 40 % de la SNCB. Ancien cadre de SFR en France, elle est arrivée à la tête de Thalys en 2014, après avoir passé quatre ans à la SNCF comme directrice marketing de la branche Voyages.

Agnès Ogier est parvenue à relancer les ventes, sans triomphalisme. Et attribue une partie de la progression à une conjoncture favorable. ” Nous bénéficions de l’intensification des relations économiques entre les capitales desservies, due à la reprise des affaires “, poursuit Agnès Ogier. Environ la moitié des voyageurs de Thalys se déplacent en effet pour des motifs professionnels. ” Nous tirons aussi parti d’un regain du tourisme européen “, ajoute-t-elle. En particulier sur la liaison Bruxelles-Amsterdam, dont la fréquentation a progressé de 14 %, grâce à l’ajout de capacité. Pour la première fois, le chiffre d’affaires dépasse la barre des 500 millions d’euros (509 millions d’euros, +11%).

Ce qui coince (ou coinçait) avec Thalys, ce sont les tarifs. Plutôt élevés, compte tenu de la distance parcourue. Un départ dans les sept jours revient aisément à 89 ou 99 euros (tarif plein) l’aller simple (188 euros l’aller-retour) pour 300 km. Les petits prix démarrent à 29 euros, mais il faut s’y prendre fort tôt. La ligne n’a pas encore de concurrent ferroviaire ( lire l’encadré “Ô Thello ” plus bas), mais de nouveaux acteurs ont redonné de l’attrait à la route, via le covoiturage (BlaBlaCar) ou de nouvelles offres de trajets en autocar (Flixbus et même Ouibus, un service de la SNCF).

Le TGV low cost Izy Malgré des campagnes de publicité, une couverture presse importante à son lancement, le train vert n'est pas encore assez populaire auprès des Belges.
Le TGV low cost Izy Malgré des campagnes de publicité, une couverture presse importante à son lancement, le train vert n’est pas encore assez populaire auprès des Belges.© ISOPIX

Izy, trop méconnu en Belgique

Pour relancer Thalys, Agnès Ogier a lancé en 2016 un train low cost, Izy, reliant Bruxelles-Paris une fois par jour (deux fois le vendredi et le samedi) à un tarif démarrant à 10 euros. Avec un prix plafond à 59 euros, soit un rabais d’environ 40 % sur le prix plein d’un ticket en train bordeaux. Le trajet en Izy est certes moins rapide que celui du Thalys standard (jusqu’à 2h30 au lieu de 1h22), mais il demeure toujours plus rapide que la voiture ou l’autocar.

Le démarrage de cette offre low cost a été correct, mais ce nouveau service pourrait encore mieux faire. ” Malheureusement, Izy n’est pas encore assez connu en Belgique, c’est un handicap “, déplore Agnès Ogier. Malgré des campagnes de publicité, une couverture presse importante à son lancement, le train vert n’est pas encore assez populaire. ” Il est moins connu en Belgique qu’en France “, déplore-t-elle. Les Français, il est vrai, connaissent les TGV low cost depuis plus longtemps, avec le service Ouigo, lancé en 2013, qui dessert une vingtaine de destinations dans l’Hexagone. Et dont le concept Izy est inspiré.

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Lancement prudent des trains low cost

En apparence, le service Izy a connu une forte progression, passant de 300.000 à 400.000 passagers entre 2016 et 2017. Mais cette progression n’est qu’apparente, car le train low cost n’a roulé que neuf mois en 2016 contre 12 mois en 2017. Ramené par mois de service, le volume n’a guère bougé entre les deux années.

Il faut dire que l’organisation de Thalys n’a pas cherché à développer Izy à n’importe quel prix. Izy ne propose pas un horaire pratique pour organiser un aller-retour dans la journée, le type de trajet dont les voyageurs professionnels sont friands, eux qui sont les gros contributeurs du service standard. Du lundi au jeudi, Izy part de Bruxelles à 10h28 pour arriver à 12h50. Il repart dans l’autre sens à 13h46. ” Nous sommes plutôt heureux car, selon nos enquêtes, 60 % des voyageurs qui empruntent Izy disent qu’ils n’auraient pas pris le train sans cette offre. C’est très encourageant. ” On y trouve principalement des clients loisirs ou des familles.

Pour Thalys, l’exercice du low cost n’est pas aisé. Les voyageurs ne le comprennent pas toujours, mais il est nécessairement plus cher que les voyages intérieurs en train. L’UE n’autorise pas les subsides pour l’international. Or les coûts fixes sont élevés. Ainsi, le coût d’un Bruxelles-Paris en grande vitesse, à 99 euros en tarif plein, représente un prix au km d’environ 33 cents, alors qu’un Bruxelles-Arlon en tarif plein (2e classe) revient à 22,2 euros, soit 12 cents/km.

” Notre premier coût est le péage, l’utilisation de la voie “, explique Agnès Ogier. Celui-ci est élevé pour les lignes à grande vitesse. Le service Izy réduit ce coût en recourant, sur le réseau français, à une ligne plus lente, moins chère, qui fait que son tarif standard de 59 euros équivaut à 19 cents/km.

Malgré un tarif apparemment élevé au km, Thalys, dont le ticket moyen se situe autour des 70 euros, n’est pas une activité formidablement rentable, du moins à la lecture des comptes publiés. En 2015 (exercice d’avril à décembre), le bénéfice n’avait guère dépassé les 5 millions d’euros. En 2016, les attentats avaient fait fléchir le trafic et les tarifs, débouchant sur une perte de plus de 20 millions d’euros.

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Et la rentabilité ?

Le défi de Thalys consiste à mieux remplir les rames et à affiner le yield management (gestion de la tarification selon l’offre et la demande). Il a retouché son offre en septembre dernier, passant d’une tarification en deux classes, Comfort 2 et Comfort 1, avec repas et journaux pour la dernière, à une offre en trois catégories : Standard, Comfort, Premium. Qui consiste surtout à créer une classe et un tarif intermédiaire, Comfort. Elle s’adresse à la clientèle business dont les entreprises qui ont adopté des politiques de transport plus restrictives. La classe intermédiaire Comfort propose les sièges et l’espace de la première à un prix modéré, car il n’y a pas de repas inclus, contrairement à la classe Premium (qui correspond à l’ancienne Comfort 1).

Pour le futur, Agnès Ogier est persuadée qu’il y a moyen de continuer à croître. En ajustant le réseau, en ajoutant des fréquences, de nouvelles destinations. Bien qu’à court terme, la flotte va être limitée. Sur les 26 rames en service (plus une rame Izy, provenant du parc SNCF), les trains subissent en effet les uns après les autres une révision en profondeur, à mi-vie. L’occasion aussi de passer par un réaménagement de l’intérieur, ce qui fait que le parc n’est pas totalement disponible.

Contrairement à Eurostar, Thalys ne s’est pas lancé dans un coûteux programme de renouvellement des trains. Il s’en tient à la durée de vie moyenne des trains – soit 30 ans – pour gérer ses rames. ” Vous verrez, les trains seront comme neufs “, assure Agnès Ogier. Les premières rames entièrement rhabillées arriveront en 2019.

A court terme, Thalys devra néanmoins franchir la période de grève perlée de la SNCF, qui s’annonce longue. Le personnel de Thalys n’est pas mêlé au conflit, né de la réforme que le gouvernement français entend imposer à l’entreprise publique française. Mais comme la SNCF assure en partie la maintenance des rames Thalys, des perturbations ne sont pas exclues sur les lignes de la filiale. Cela pourrait affecter légèrement ses chiffres de 2018.

Ô Thello !

Y aura-t-il enfin un concurrent au Thalys sur le rail ? Oui, si l’on en croit Roberto Rinaudo, le patron de Thello, une filiale française de l’opérateur public ferroviaire italien, Trenitalia. ” Notre idée consiste à développer des services internationaux à grande vitesse pour 2020 “, a-t-il expliqué au quotidien La Reppublica, qui parle de lignes ” riches ” de clients potentiels comme Paris-Milan ou Paris-Bruxelles. Trenitalia a l’expérience de la grande vitesse en Italie. Il est déjà actif dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.

Thello est présent en France, où il a lancé un train de nuit Paris-Venise, et aussi une liaison Marseille-Milan. Il n’a pas encore de train à grande vitesse en France, mais espère bien entrer dans ce marché qui sera libéralisé dans l’Hexagone à partir de 2020, conformément au quatrième paquet ferroviaire européen. Depuis plus de 10 ans, le transport de marchandises a été ouvert à la concurrence et plusieurs acteurs opèrent déjà en Belgique. L’accès a été ouvert en 2010 pour le trafic de passagers internationaux, mais personne n’est encore venu rivaliser avec les lignes historiques existantes. L’annonce de Thello est la première du genre. Arriva, une filiale de Deutsche Bahn, qui gère les transports en train et en bus dans le Limbourg néerlandais, pourrait aussi ouvrir une ligne Maastricht-Liège cette année. La timidité de la concurrence tient à la difficulté et au délai important à prévoir pour certifier et mettre en service des rames sur des lignes internationales complexes. Même Thalys hésite, pour cette raison, à envisager l’achat de nouveaux trains.

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