Caissier: l’un des métiers les moins bien rémunérés de Belgique

LE SALAIRE d’un caissier de supermarché est 33% plus faible que le salaire moyen national. © BELGAIMAGE
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

La grande distribution abrite l’un des métiers les moins bien rémunérés de Belgique, celui de caissier. Une profession souvent exercée par des femmes et à temps partiel, ce qui tire encore les salaires vers le bas.

Le feuilleton Delhaize, la tendance à la franchisation et donc les changements de commissions paritaires qui en découlent, ont été l’occasion de (re)découvrir les modalités dans lesquelles le travail s’exerçait généralement dans le secteur de la grande distribution. Horaires décalés, présences le week-end: ces conditions ne sont pas les plus enviables, peu importe que le travailleur soit employé par un franchisé ou effectue son job dans un magasin intégré. Preuve de la difficulté du métier: la pénurie de main-d’œuvre, qui constitue la principale menace pesant aujourd’hui sur le commerce d’alimentation. “On n’est plus dans une situation de chômage de masse”, remarque Christophe Sancy, rédacteur en chef de la plateforme spécialisée Gondola.

Voilà pourquoi les distributeurs belges multiplient les campagnes de communication afin de vaincre les préjugés associés “à tort” à ce type d’employeurs. “Aujourd’hui, les concurrents des enseignes de la grande distribution ne sont plus seulement les autres retailers mais le marché de l’emploi en général”, ajoute Christophe Sancy. Il faut donc redoubler d’imagination pour séduire les futurs employés.

Spécificité du secteur: le taux d’emploi des personnes peu qualifiées y est en hausse depuis quelques années. Ce qui signifie qu’on y offre davantage de perspectives pour ces profils, que ce soit en termes de conditions salariales ou de travail (type de contrat ou horaire). “Le marché avait tendance à aller dans le sens d’une dualisation, note Thierry Dock, professeur de l’UCLouvain spécialisé dans le marché du travail. D’un côté, des emplois plus qualifiés bien rémunérés. De l’autre, des emplois peu qualifiés mais dont le niveau de rémunération n’était pas le point fort. Or, aujourd’hui, on observe un rééquilibrage. Alors que l’employeur était celui qui imposait ses conditions, le travailleur peut davantage négocier ses horaires ou son salaire.”

“Les incitants à l’emploi ne sont pas seulement fiscaux.” – THIERRY DOCK (UCLOUVAIN) © PG

Conditions plus que salaire

Cette pénurie de main-d’œuvre devrait donc pousser les conditions de travail vers le haut. Mais “plutôt en ce qui concerne les conditions de travail que salariales”, tempère Thierry Dock qui rappelle combien les marges du secteur se révèlent aujourd’hui trop basses pour que les enseignes osent une augmentation de salaire direct. “Ceci notamment en raison de la forte concurrence entre les enseignes et le nombre de surfaces présentes en Belgique.”

Les fonctions que l’on peut exercer dans la grande distribution sont assez variées: manager, logisticien, mais aussi, bien sûr, caissier. Curieusement, l’un des emplois les plus représentatifs du secteur est aussi l’un des moins bien rémunérés du pays (avec ceux de l’horeca et des titres-services). D’un montant brut moyen de 2.500 euros par mois (environ 1.400 euros net), le salaire d’un caissier de supermarché est en effet 33% plus faible que la moyenne nationale. En Belgique, près de 16% des salariés à temps plein sont concernés par de bas salaires, gagnant moins de 2.500 euros par mois, selon les données de Statbel, l’office belge de statistique. “En matière de différence de revenus entre actifs et inactifs, cela pose question”, analyse Thierry Dock, qui juge l’écart nécessaire pour juguler ce problème plutôt difficile à déterminer. Mais pour le creuser, il n’existe que deux solutions. “Soit on diminue les allocations de chômage, soit on augmente les bas salaires”, résume le professeur de l’UCLouvain, qui estime que “les allocations sont rarement trop généreuses”.

Ceci étant, si la différence entre les deux revenus est parfois faible, il est bien réel, comme le note l’économiste Philippe Defeyt. Dans une étude, le directeur de l’Institut pour un développement durable y rappelle qu’une personne travaillant à temps plein ne peut pas gagner moins qu’une personne bénéficiant du revenu d’intégration, même dans la situation d’un parent seul. “C’est structurellement impossible dès lors que le salaire minimum pour un temps plein est de 2.070 euros par mois.”

Féminin partiel

Seule exception, selon l’économiste, le travail à temps partiel. “Un travailleur à temps partiel, surtout dans les secteurs où les salaires horaires sont faibles (distribution, horeca, nettoyage, etc.), peut gagner moins qu’au CPAS”, explique Philippe Defeyt. Certes, dans ce cas de figure, le travailleur bénéficie théoriquement d’un complément accordé par le même CPAS. Mais des études démontrent qu’en pratique, la méconnaissance du système ou la complexité de celui-ci freinent les démarches administratives entreprises en ce sens.

Or, justement, le temps partiel, c’est l’une des réalités bien connues de la grande distribution. Selon le Conseil central de l’économie, près d’un tiers des employés du secteur ont déjà eu recours au travail à temps partiel (environ 27%). Des travailleurs qui ont généralement peu de visibilité à long terme sur leurs horaires. “Ces prestations à temps partiel offrent peu de possibilités de s’organiser, confirme Thierry Dock, ce qui ne laisse guère la possibilité de compléter son revenu avec une autre activité.”

Autre statistique notable: ce temps partiel est une réalité pour un peu plus de la moitié des femmes employées dans le secteur. Un degré de féminisation élevé qui en est à la fois la conséquence et la cause. D’une part, les femmes sont davantage attirées par les emplois à temps partiel et seront donc plus souvent actives dans les secteurs où ces derniers sont disponibles. D’autre part, les secteurs qui emploient de nombreuses femmes sont enclins à proposer davantage d’emplois à temps partiel, à leur demande… “C’est principalement parce que dans nos sociétés occidentales, les tâches domestiques ou d’éducation incombent encore surtout aux femmes”, rappelle le professeur de l’UCLouvain. La crise sanitaire a d’ailleurs amplifié ce déséquilibre dans le partage des rôles. Lors du premier confinement, ce sont les femmes qui, une fois encore, ont assumé la majeure partie des tâches supplémentaires causées par la fermeture des écoles et des crèches. Par exemple la garde des enfants, qui a obligé certaines mères à passer par la case congé parental. “Lorsque les salaires sont déjà bas au départ, la nécessité du travail à temps partiel ou des congés parentaux fait en sorte que la différence de rémunération entre une personne active et inactive finit par se révéler très faible”, constate Thierry Dock, qui déplore combien le marché du travail reste inadapté à la situation de certaines familles, notamment les femmes seules avec enfants.

Cela éloigne du marché des personnes qui étaient actives, ce qui pose des problèmes de maintien de compétences mais également de disponibilités de main-d’œuvre suffisantes”, analyse le professeur. Une solution? Refinancer le secteur de l’enfance afin d’offrir des services collectifs de qualité – les places de structures pour accueillir les enfants se révélant souvent trop limitées et/ou onéreuses. “Les incitants à l’emploi ne sont pas seulement fiscaux”, conclut Thierry Dock.

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