Bien-être au travail: moins de travail, plus de concentration

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Une plus grande autonomie pour organiser son travail, fixer ses horaires ou pouvoir se déconnecter augmente le bien-être au travail. Mais gagner en autonomie sans adapter l’entreprise ou sa propre organisation peut aussi déboucher sur un burn-out. Comment résoudre ce paradoxe?

C’est sans doute le résultat le plus marquant de notre enquête Trends-Tendances sur le bien-être au travail: lorsqu’on leur a demandé ce qui peut améliorer leur bien-être mental au travail, un grand nombre de personnes ont répondu “un salaire plus élevé” (lire l’article en page 52). Ce constat est en contradiction avec d’autres recherches, ce que n’ont pas manqué de commenter les trois experts que nous avons interrogés: l’enquête ayant été réalisée juste au moment où les gens ont vu leurs factures d’énergie exploser, il semblerait que la crise énergétique ait influencé ses résultats.

Avec davantage d’autonomie, nous devons aussi accepter le fait que nous ne pouvons pas tout faire.” Murielle Machiels (QiLeader)

Car effectivement, ce ne sont pas le salaire ou les conditions de travail qui arrivent en tête lorsqu’on demande aux gens ce qu’ils aiment dans leur job, mais plutôt le contenu du travail: “Et donc l’autonomie, la capacité de se différencier des autres, affirme le professeur de sociologie du travail Geert Van Hootegem (KU Leuven). Le travail est très signifiant. Perdre son emploi déclenche même un processus de deuil. Par leur travail, les gens veulent pouvoir apporter leur pierre à l’économie et à la société”.

En deuxième position après “un plus gros salaire” comme réponse à ce qui peut augmenter le bien-être, arrive le fait de pouvoir organiser son propre travail, d’avoir des horaires flexibles et de pouvoir rester injoignable. Ces trois éléments peuvent être regroupés dans le concept “plus d’autonomie” . Pourtant, forcer à davantage d’autonomie sans une certaine concertation n’est pas une bonne idée, estime notre experte Murielle Machiels: “Devenir autonome sans changer ses habitudes ni sa manière augmente le risque de burn-out. L’autonomie, cela s’apprend à petits pas. Plus les pas sont grands, plus c’est dur. C’est comme apprendre à skier: on ne va pas directement sur la piste noire”. Murielle Machiels sait de quoi elle parle: elle est la fondatrice et CEO de QiLeader, société qui donne aux cadres supérieurs des conseils en matière de leadership. Lorsqu’elle dirigeait la maison d’édition Plantyn, il y a 10 ans, elle était déjà l’une des premières CEO en Belgique à expérimenter un mode de travail plus durable: alors que Plantyn traversait une passe difficile, elle a radicalement changé la culture de l’entreprise. “J’ai beaucoup gagné en autonomie”, se souvient-elle. Une autonomie qui n’est pourtant pas sans danger.

Charge plus grande

“Avec plus d’autonomie, vous voulez prouver que vous êtes digne de confiance et que vous pouvez gérer vous-même votre travail, explique Murielle Machiels qui est également directrice académique à la Solvay Business School. Vous commencez par travailler plus parce que vous pensez que c’est la seule manière de bien faire votre boulot. Vous vous rendez moins souvent au bureau parce que vous estimez que les heures passées dans un embouteillage peuvent être utilisées pour travailler plus. Vous laissez tomber d’autres choses qui semblent moins importantes, comme les contacts sociaux, toujours pour travailler davantage. Votre santé mentale se détériore… de même que votre efficacité.” Dans un premier temps, cette autonomisation a donc entraîné plus de stress et d’épuisement professionnel, mais au bout du compte, Plantyn a enregistré une forte croissance, sans aucun burn-out et avec moitié moins d’absentéisme. Et l’explication est peut-être à trouver via une autre réponse de notre enquête. Ainsi, quand on demande aux employés ce que leur entreprise peut faire pour améliorer le bien-être au travail: recruter davantage de personnel est la réponse qui revient le plus… Pas étonnant, selon Geert Van Hootegem qui se réfère à un modèle bien connu du sociologue américain Robert Karasek, qui mesure le stress au travail en évaluant les exigences auxquelles le salarié est soumis, l’autonomie qui lui est accordée et le soutien qu’il reçoit. “Au cours des 20 dernières années, les exigences (soit la charge de travail, Ndlr) ont augmenté mais l’autonomie n’a pas progressé en proportion. Vous avez la même chose partout: dans l’enseignement, les soins de santé, les universités… Partout la charge administrative a augmenté.” Geert Van Hootegem et Murielle Machiels préconisent donc tous deux d’en faire moins. “Surtout dans le contexte d’un marché du travail tendu, il est important de se demander si nous devons continuer à faire tout ce que nous faisons actuellement, analyse le professeur de la KU Leuven. Tous ces emballages sont-ils nécessaires? Avons-nous besoin de tous ces spécialistes dans les soins de santé? A-t-on bien fait de décider que les personnes de terrain ne puissent plus appeler les clients mais que ce soient des centres d’appels qui le fassent? Nous devons travailler plus intelligemment et pas plus durement.” A la tête de Plantyn, Murielle Machiels a elle-même montré l’exemple en rentrant plus tôt chez elle pour montrer à ses employés qu’elle travaillait moins: “Je les motivais tous les jours pour qu’ils travaillent moins, avec un programme happiness, des massages au bureau et pas d’e-mails entre 18 heures le soir et 8 heures le matin”.

L’équation du burn-out

“Avec plus d’autonomie, vous n’allez pas résoudre le problème du burn-out, nuance la psychologue du travail Steffie Desart, d’Idewe, un service pour un environnement de travail sûr et sain. Ce n’est pas si simple. Si vous examinez les causes d’un burn-out, il s’agit d’un déséquilibre. Nous distinguons ce qui prend de l’énergie, comme la pression au travail et sur les horaires, et ce qui en donne, comme l’autonomie qui est sans doute le facteur le plus important. Le burn-out est une question d’équilibre entre ces deux composantes. Mais les ‘donneurs d’énergie’, comme l’autonomie, sont surtout des tampons. Or, diminuer la pression du travail dans une société n’est pas facile. Donner de l’autonomie, si.” Alors, comment bien gérer cette autonomie en tant qu’employé ou employeur? Travailler moins, certes, mais de manière plus concentrée, sans oublier le côté social du travail. “En tant que directrice générale et aujourd’hui directrice académique à la Solvay Brussels School, j’apprends aux dirigeants à travailler moins, à se concentrer et à accorder plus d’attention aux émotions et au contact social, explique Murielle Machiels. Se concentrer signifie dire ‘non’ à beaucoup d’opportunités, de problèmes ou de personnes. Car les problèmes ne disparaîtront pas d’eux-mêmes et commenceront à générer du chaos. Nous devons apprendre à l’accepter et à lâcher prise. Avec davantage d’autonomie, nous devons aussi accepter le fait que nous ne pouvons pas tout faire. Nous devons apprendre à fixer nous-mêmes des limites aux heures de travail et au nombre de projets.”

Un salaire plus élevé Tel est le premier critère susceptible d'améliorer le bien-être mental au travail, ont répondu les participants à notre sondage.
Un salaire plus élevé Tel est le premier critère susceptible d’améliorer le bien-être mental au travail, ont répondu les participants à notre sondage.© Getty Images

Pour la fondatrice de QiLeader, remplacer la hiérarchie par plus d’autonomie signifie également fixer des objectifs clairs, élaborer des processus de prise de décision, remplacer une structure en silo par une vision plus systémique de l’entreprise et créer un environnement dans lequel les employés n’ont pas peur. Cela nécessite des dirigeants authentiques, centrés sur les personnes plutôt que sur les tâches. “De nombreux dirigeants veulent accorder davantage d’autonomie à leurs employés, précise Murielle Machiels. Mais sous la pression, ils retombent dans de vieilles habitudes et reprennent un comportement dominant. Un leader authentique reste calme et empathique, sait lâcher prise et donne confiance.”

Le degré d’autonomie dans lequel les gens peuvent s’engager diffère d’une personne à l’autre. Vous pouvez intégrer ces particularités lorsque vous définissez un profil de poste.” Geert Van Hootegem (KU Leuven)

Privilégier l’artisanat

Les entreprises peuvent accroître les chances de réussite de l’autonomie sur le lieu de travail en créant un cadre approprié. Pour cela, il faut considérer la personne derrière l’employé. “Ce qui fonctionne pour Jan dans le département de production ne fonctionnera pas pour Marie à la comptabilité, explique Steffie Desart. Par exemple, Marie aime traiter un type de facture mais pas un autre. Vous pouvez lui donner la possibilité de choisir. Jan, à la production, ne peut pas choisir ses tâches… mais vous pouvez lui accorder davantage de liberté quant à son environnement de travail. Il peut, par exemple, faire en sorte que la courroie tourne plus lentement ou plus rapidement.”

En anglais, on appelle cela du “crafting“, de l’artisanat. Et on peut l’appliquer partout, explique Steffie Desart. Sur les tâches et sur l’environnement de travail, mais aussi dans les relations. “Faire venir Marie de la comptabilité pour aider au comité des fêtes parce que cela correspond à sa passion, c’est de l’artisanat relationnel. Vous pouvez aussi faire de l’artisanat contextuel. Par exemple, permettre à quelqu’un qui doit téléphoner souvent pour son boulot de choisir d’où il peut le faire. Certaines personnes n’ont aucune autonomie à cet égard.”

Geert Van Hootegem explique aussi que lors du retour au travail après un burn-out, le travail est rarement adapté. L’employeur se contente de redonner les mêmes tâches à l’employé alors que la personne en question a changé en raison de sa maladie et qu’elle ne peut plus assumer exactement ce qu’elle faisait précédemment. Adapter le travail en fonction de la personne est important, et pas seulement lors d’un retour de burn-out: les entreprises peuvent en tenir compte dans tous les cas, surtout dans le contexte actuel où il est difficile de recruter. “Le degré d’autonomie dans lequel les gens peuvent s’engager diffère d’une personne à l’autre, affirme Geert Van Hootegem. Vous pouvez intégrer ces particularités lorsque vous définissez un profil de poste.”

Une équipe de Messi

Le professeur de Louvain, qui est également présent sur le terrain et donne des conseils en matière d’organisation du travail dans les entreprises, suggère de commencer par l’équipe et non par le poste. “Est-ce que tous les membres de l’équipe doivent parler un néerlandais parfait? Doit-il y avoir une infirmière à tout moment? C’est comme quand vous formez une équipe de football. Il faut un gardien de but, des milieux de terrain, des attaquants. Si vous ne recherchez que des Messi pour votre entreprise, bonne chance pour les trouver sur le marché du travail actuel!”

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