ArcelorMittal : 5 milliards d’argent public gaspillés ?

© Image Globe/Eric Lalmand

Selon Philippe Delaunois, les interventions publiques ont atteint 5 milliards depuis 1974 dans l’acier liégeois. De l’argent public gaspillé ? “Loin de là !”, défend l’ex-patron de Cockerill Sambre. Le PTB n’est pas de cet avis. Interview croisée.

Delaunois : “Ces 5 milliards d’euros d’interventions publiques ne furent pas de l’argent dépensé à fonds perdus !”

Philippe Delaunois est un ex-administrateur délégué de Cockerill Sambre, rachetée par le français Usinor en 1998, quatre ans avant que la nouvelle société fusionne avec Arbed et Aceralia en 2002, donnant ainsi naissance à Arcelor. Autant dire que l’homme a un avis plus qu’autorisé sur les récents événements chez ArcelorMittal Liège.

Etait-il efficient de dépenser autant d’argent public pour en arriver quand même à l’inéluctable ?

Depuis 1974, on estime le cumul des interventions publiques à 5 milliards d’euros mais ce n’est pas de l’argent dépensé à fonds perdus, loin de là ! En termes de masses salariales, Cockerill Sambre pesait déjà environ 450 millions euros par an, dont la moitié repartait en impôts et cotisations sociales. Et l’autre moitié était dépensée – avec de la TVA – dans l’économie locale des bassins liégeois et de Charleroi. Ajoutez-y ne serait-ce que les taxes communales et provinciales, soit environ 25 millions d’euros par an…

Le bassin de Liège est connu pour être un site “intégré”. La filière “froid” est-elle à terme viable sans une source de “chaud” dans son périmètre ?

Toute la question est de savoir si ArcelorMittal pourra fournir depuis Dunkerque des brames répondant aux critères de qualité voulus par la filière froid du bassin de Liège, à des prix de transfert compétitifs. On entre là dans des considérations relevant de négociations clients/fournisseurs… mais ici à l’intérieur d’un même groupe.

Sans le “chaud”, le pôle de recherche et de développements ne sera-t-il pas mis à mal à son tour ?

Les activités de recherche ont toujours été proches des usines, du chaud comme du froid. Il faudra veiller à ce que les budgets continuent à être disponibles si l’on veut que des activités de recherche subsistent en Wallonie. Je rappelle que ces recherches produisent des résultats, comme par exemple des applications dans le secteur du bâtiment.

(Propos recueillis par Jean-Marc Damry)

PTB : “Cet argent a servi à restructurer et moderniser la sidérurgie et la préparer à la reprivatisation”

Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, réagit aux propos de Philippe Deaunois, et notamment au montant indiqué par l’ex-patron de Cockerill Sambre.

D’où viennent les 5 milliards d’euros dont parle Philippe Delaunois ?

Le plan Gandois a apuré tout ce que l’Etat avait pompé dans toute la sidérurgie belge depuis la crise de 1975. Il s’agissait de 200 milliards de francs : voilà donc les 5 milliards de Philippe Delaunois.

(Pour rappel, le plan Gandois, lancé dans les années 1980, a consisté à rationaliser les activités sidérurgiques et à les concentrer sur les produits plats au détriment des produits longs (poutrelles, fils), ainsi qu’à développer les activités aval de laminage à froid et de revêtement à Liège.)

A quoi ces 5 milliards d’argent public ont-ils servi ?

Cet argent a servi à restructurer et moderniser la sidérurgie et la préparer à la reprivatisation. En 1998, Francis Mer (Usinor) peut ainsi mettre, pour 27 milliards de francs belges (675 millions d’euros), le grappin sur une entreprise qui est au top du point de vue technique, commercial, etc.

Tout cet argent a-t-il été injecté en vain dans la sidérurgie liégeoise ?

On a donc assisté à une privatisation d’une entreprise en bénéfice, et, dans les années 1970, à la nationalisation d’une entreprise qui faisait des pertes. Le PTB verrait d’un bon oeil d’inverser cette logique.

(Propos recueillis par Vincent Degrez)

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