Après l’effondrement, la guerre d’usure pour les commerçants belges: “Je m’attends à un bain de sang”

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Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

Depuis ce mardi 1er décembre, plus de 43.000 commerces belges, qualifiés de “non essentiels”, peuvent à nouveau accueillir des clients. La crise sanitaire a été un crash test pour le commerce en ligne, mais a également raccourci la période nécessaire à une réflexion sur une question existentielle : les commerçants classiques survivront-ils à une époque où le consommateur ne fait aucun compromis sur le prix, le service et la rapidité de livraison?

Ces dernières semaines, les e-shops des grandes et petites enseignes croulent sous les commandes. Même le géant néerlandais du e-commerce bol.com a dû mettre en place des mesures d’urgence. Les cadeaux de fin d’année et les autres commandes urgentes ont la priorité. Maintenant que les boutiques peuvent rouvrir, les commerçants belges tentent de sauver leur fin d’année. Au cours des semaines à venir et au début de l’année prochaine, ils pourront peut-être aussi profiter quelque peu de l’argent resté sur les comptes-épargne. Mais la situation reste exceptionnelle. Le consommateur a changé. Ces derniers mois, beaucoup plus de Belges ont commandé sur internet, en prenant davantage le temps de comparer les prix durant leur shopping en ligne. Même s’il était coincé dans son salon, le consommateur belge a vu son monde s’agrandir.

“Déjà avant le coronavirus, les concurrents principaux des commerçants belges ne se trouvaient plus dans leur voisinage”, explique Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail. “Mais la crise sanitaire a déclenché un véritable séisme. Suite au confinement, le e-commerce s’est installé dans presque toutes les catégories. De très nombreux commerçants, dans le secteur de la mode, mais pas uniquement, continuent à ressentir la pression des concurrents internationaux comme Zalando, bol.com et Amazon. Cette transition vers le commerce en ligne touche doublement les commerçants classiques : leur nombre de clients diminue et ils doivent investir dans leur présence sur la toile.”

“Cette transition vers le commerce en ligne touche doublement les commerçants classiques : leur nombre de clients diminue et ils doivent investir dans leur présence sur la toile.” – Jorg Snoeck, RetailDetail

“C’est un problème, parce qu’en fait, seulement les supermarchés, les magasins de bricolage, et le secteur multimédia, tout ce qu’il faut pour vivre dans sa bulle, ont fait des affaires en or ces derniers mois. Le reste sort affaibli de 2020”, ajoute Jorg Snoeck. “Aux Pays-Bas, le secteur du commerce de détail ressentait déjà l’impact du commerce électronique avant la crise sanitaire. Beaucoup de chaines ont subi de grandes restructurations, au cours desquelles elles ont conservé les boutiques les plus performantes. Cela sera plus compliqué en Belgique. Je m’attends à un bain de sang. Le marché se polarise : les grands noms prospèrent et le reste est encore plus sous pression.”

Acheter local

Les survivants de la crise du coronavirus ne se retrouveront pas sur un marché moins concurrentiel. “Le consommateur à tout le pouvoir. Son influence va plus loin qu’une simple pression sur les prix”, explique Jean-Pierre Roelands. En 2016, il quittait le groupe Colruyt après vingt ans, où il a donné forme au concept des “meilleurs prix”. Il continue à suivre de près le secteur du commerce de détail. “Le coronavirus a accéléré l’évolution de la mentalité des consommateurs. “Service” ne signifie plus “meilleure expérience shopping”. Ce terme inclut désormais la liberté totale de décider comment et quand nous recevons nos achats. J’aimerais rebondir sur l’espoir que les Belges, par chauvinisme, soutiendront les commerces locaux. Un prix plus avantageux ou une livraison plus rapide l’emporteront toujours sur la sympathie envers les petits commerçants, certainement parce qu’une partie des consommateurs sont toujours en mode survie.”

“Service” ne signifie plus “meilleure expérience shopping”. Ce terme inclut désormais la liberté totale de décider comment et quand le consommateur reçoit ses achats. — Jean-Pierre Roelands, anciennement directeur commercial Colruyt Group

Il reste à voir dans quelle mesure les clients continueront à acheter local. Mien Gillis, retailexpert pour Unizo, remarque des signes que les clients achètent ainsi consciemment. “Une étude menée par McKinsey, les chiffres de l’agence flamande VLAM et notre propre enquête nous montrent que les consommateurs portent aujourd’hui plus d’attention au commerce local. Ils apprécient à nouveau l’importance de la proximité et le plaisir d’acheter dans les boutiques physiques. Cette tendance peut parfaitement être associée à des commandes en ligne dans certains domaines. Les commerçants devront se concentrer à la fois sur leur magasin physique et leurs ventes en ligne”.

Investissements abordables

Mien Gillis insiste sur le fait que les investissements ne devront pas nécessairement être conséquents. “Il existe de nombreuses formules qui permettent de fonder un e-shop sans trop de frais de lancement. En outre, nos enquêtes d’octobre montrent une grande augmentation du social selling chez les commerçants indépendants : ils boostent leurs ventes en utilisant les réseaux sociaux pour communiquer, en misant sur des sessions personnalisées et des conseils offerts par WhatsApp ou visioconférence. Ces techniques sont abordables, elles demandent juste un certain investissement en temps. C’est peut-être là l’obstacle majeur pour les indépendants. Après le premier confinement, 85 % des indépendants interrogés ont expliqué vouloir améliorer leur système de vente en ligne, lancé à la hâte. Mais cet été, cette ambition a été revue à la baisse. Peut-être parce que les commerçants ont dû se concentrer sur leur boutique physique.”

Voici donc peut-être le plus grand défi de cette crise sanitaire : le commerce de détail va devenir beaucoup plus exigeant en main-d’oeuvre, tandis que les marges seront sous pression pendant longtemps. Peut-être les détaillants belges feront-ils encore plus appel aux contrats flexibles. Ce statut est attirant pour les personnes cherchant un revenu supplémentaire. Pour les entreprises, les cotisations patronales nettement plus faibles sont intéressantes. Depuis 2018, le secteur du commerce de détail est autorisé à utiliser de ce statut. Début 2020, plus de 11 000 personnes travaillaient déjà sous contrat flexible.

Du travail pour Père Noël

Papa Noël n’aura nullement besoin d’avoir recours au chômage temporaire. Même si un Noël avec toute la famille réunie autour du sapin n’est pas envisageable cette année, les consommateurs ne regardent pas à la dépense. La plupart d’entre eux disposent d’un pouvoir d’achat élevé, malgré la contraction économique de 8 % cette année. La politique de soutien du gouvernement n’a pas manqué sa cible. Grâce au fonctionnement automatique de la sécurité sociale et aux mesures supplémentaires comme le chômage temporaire et le droit passerelle pour les indépendants, le revenu disponible des foyers est resté intact cette année. Le gouvernement a presque entièrement absorbé la perte de bien-être d’environ 50 milliards d’euros.

Alors que le pouvoir d’achat n’a pas bougé, surtout pour les revenus les plus élevés, la consommation a chuté de manière significative, principalement pendant le premier confinement. En conséquence, les réserves financières des ménages ont augmenté. Le total des comptes courants s’élève désormais à 280 milliards d’euros, contre 250 milliards d’euros au début de l’année 2020. Les comptes-épargne ont également augmenté de quelque 10 milliards d’euros. Ce n’est donc pas l’argent qui manque.

La peur du virus empêchera toujours de nombreuses personnes de se rendre dans les rues commerçantes, même si les magasins sont ouverts. Les petits commerçants vont donc devoir investir un maximum dans l’e-commerce, pour garder leur clientèle intacte.

La crainte d’une détérioration persistante des perspectives économiques et le risque d’augmentation du chômage et d’une perte de revenus qui lui est associé freinent également la consommation. Les récentes bonnes nouvelles concernant les vaccins pourraient balayer de nombreux doutes. La consommation pourrait augmenter ce mois-ci, en guise d’avant-goût de 2021. L’année prochaine, si le virus est maîtrisé, les clients auront surement envie de rattraper le temps perdu.

(DK)

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