Alexia Bertrand

2022 ou la montée en puissance des entreprises sur la question climatique

Alexia Bertrand Chef du groupe MR au Parlement bruxellois

Comme 2020, l’année 2021 a été empreinte d’incertitude, contribuant à des changements d’une rapidité sans précédent. Les tendances sont donc nombreuses et capables d’induire des tournants forts en peu de temps.

Pour 2022, j’aurais pu vous parler de l’accélération de la digitalisation dans le domaine de la santé, de la fragmentation croissante de la société – entre ceux qui font confiance et ceux qui se méfient de l’autorité, entre les pro et anti vax,… – marquée par des schismes nombreux, des mouvements sociaux et le morcellement, voire repositionnement, des partis politiques. J’aurais pu vous parler de la pénurie mondiale des matières premières qui renforce la consécration du local ou encore d’un marché de l’emploi caractérisé par plus de flexibilité et une autonomisation grandissante des salariés par le télétravail. Parmi les tendances sociétales, j’observe une quête de sens et de spiritualité grandissantes en raison du mal-être ambiant ou encore le renforcement des écarts intergénérationnels.

Mais l’évolution qui me paraît la plus marquante pour 2022 et qui est à la fois économique, politique et sociétale sera, selon moi, la montée en puissance des entreprises sur la question climatique. Ce n’est pas juste un espoir. C’est une intime conviction fondée sur l’observation d’une conjonction de faits survenus en 2021:

  • Les plus visibles ont été les inondations dramatiques de l’été, non plus au Bengladesh ou en Chine, mais chez nous, en Belgique. 2021 a aussi été marquée par l’échec perçu de la Cop26 à Glasgow, en raison de l’incapacité des Etats à adopter de nouveaux engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre malgré le dernier rapport alarmant du GIEC. Malgré certaines avancées, le décalage entre les objectifs et les mesures adoptées a mis en exergue une fois de plus, l’urgence à agir.
  • Peut-être moins connu du grand public mais suivies de près par les entreprises, des interventions du pouvoir judiciaire et législatif ont constitué des points de bascule cette année.

Je pense d’abord au jugement Shell du mois de mai dans lequel le tribunal de La Haye a obligé la société pétrolière à réduire drastiquement ses émissions de C02 d’ici à 2030 pour s’aligner sur l’accord de Paris. Une décision historique qui condamne pour la première fois une entreprise pour non-respect de ses obligations climatiques.

Les tribunaux belges ne sont pas en reste. En juin 2021, le tribunal de première instance de Bruxelles a retenu la responsabilité des pouvoirs publics belges pour négligence dans la mise en oeuvre de leur politique climatique. Cette décision de justice admettant la responsabilité d’une entité pour non-respect d’une politique climatique interne est aussi une première et pourrait avoir un impact majeur sur les entreprises privées.

  • Enfin, l’Union Européenne est en train d’adopter une série de réglementations à une vitesse impressionnante : l’acte délégué relatif au volet climatique de la taxinomie de l’UE, la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (“CSRD”), mais surtout, l’initiative législative sur le devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement annoncée pour janvier 2022 (“Corporate Due Diligence and Corporate Accountability”). Cette règlementation, qui imposerait une obligation de vigilance et une responsabilité aux entreprises pour toute atteinte aux droits de l’homme, à l’environnement et à la bonne gouvernance sur toute leur chaîne d’approvisionnement mondial constitue un véritable shift régulatoire d’un modèle basé sur un “duty to disclose” à un modèle basé sur un “duty to act”. Le mécanisme se devra d’être équilibré et faisable sous peine de pénaliser nos entreprises européennes.

La combinaison de ces facteurs a préparé le terrain pour une accélération inédite par les entreprises d’un investissement massif dans un modèle durable. Un modèle qui met fin au greenwashing dont plus personne n’est dupe. Un modèle où la durabilité n’est plus seulement “nice to have”, mais “core business” et, plus déstabilisant encore, où le respect de la législation ne suffit plus à lui seul à éviter toute forme de responsabilité.

Les entreprises, qui sont plus agiles et adaptatives que les Etats, l’ont bien compris et consacreront une partie importante de leur énergie en 2022 à anticiper les règlementations, à créer de nouveau KPI’s pour elles-mêmes et à intégrer les externalités négatives dans leur calculs financiers. Il y aura des gagnants et des perdants et ce sont celles qui le feront avec conviction, rigueur et transparence qui subsisteront.

J’ai toujours pensé que les entreprises faisaient partie de la solution dans le défi climatique. Là où la crise Covid avait d’abord laissé croire à un renforcement du régalien, 2022 laissera finalement peut-être plus de place à des partenariats avec le privé et verra une accélération de fond. Les deux dernières années ont montré que l’Etat ne peut pas tout régler, que la relance devra se faire avec le secteur privé et passera par une économie verte et durable basée sur une croissance propre. Il s’agira néanmoins que les États respectent eux-mêmes les standards qu’ils demandent aux entreprises de respecter.

Sans oublier ses deux autres composantes, 2022 marquera donc la consécration du “E” de “ESG”!

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