“Un logement reste un produit essentiel”

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Avec Siham Rahmuni (Quares) et Sophie Lambrighs (Eaglestone), deux femmes occupent aujourd’hui des postes cruciaux dans l’immobilier belge. Toutes deux sont d’accord sur un point : les perspectives toujours favorables pour le marché résidentiel belge. Et voient toujours du potentiel de croissance pour le marché locatif. Et en matière de durabilité, il n’y a pas de marche arrière possible.

“Investissez dans des biens pour lesquels vous avez des affinités, conseille avant tout Siham Rahmuni aux lecteurs de Trends-Tendances. Vous resterez passionné par votre investissement et vous vous engagerez pour le long terme.”

Sophie Lambrighs acquiesce : “Vos investissements ne doivent pas être une charge, insiste-t-elle. Si vous n’avez vraiment aucune envie d’assister à une réunion de copropriétaires, n’achetez pas un appartement. Et si une baisse des cours de Bourse vous empêche de dormir, évitez de placer vos économies dans de l’immobilier papier.”

Siham Rahmuni et Sophie Lambrighs seront souvent sur la même longueur d’onde pendant la discussion. Elles se complètent fréquemment, se contredisent rarement. Pourtant, c’était la première fois que ces deux grandes figures de l’immobilier belge se rencontraient.

Ingénieure civile de formation, Sophie Lambrighs a déjà 26 ans d’expérience dans le secteur de la construction et de l’immobilier. Après avoir débuté sa carrière chez le fabricant de béton préfabriqué Ergon, elle remplira plusieurs fonctions dans le département immobilier d’Axa Belgium entre 2003 et 2014. En 2014, elle passe chez Home Invest Belgium, une société immobilière réglementée (SIR) spécialisée dans l’immobilier résidentiel. Et début 2019, elle débarque chez l’ambitieux promoteur immobilier bruxellois Eaglestone. En qualité de COO, elle fait figure de bras droit des fondateurs Nicolas Orts et Gaétan Clermont.

Siham Rahmuni, experte-comptable, fiscaliste et juriste de formation, travaille depuis près de 10 ans au sein du groupe immobilier anversois Quares. Elle y a fait ses débuts comme finance manager. L’an dernier, les actionnaires principaux et fondateurs Herman Du Bois et Freddy Hoorens lui ont confié la direction de l’entreprise.

La plupart des économistes prévoient une légère baisse des prix des habitations en 2021. Vous êtes d’accord?

SIHAM RAHMUNI. Nous attendons plutôt une stabilisation des prix. Les professionnels de l’immobilier ont un regard différent des économistes sur l’évolution des prix. Pour réaliser leurs prévisions, les économistes se concentrent sur des variables économiques comme les revenus et les taux d’intérêt, qu’ils intègrent dans des modèles. Il est acquis que la crise sanitaire aura des conséquences économiques qui se feront également sentir sur le marché de l’immobilier résidentiel. Mais en tant que professionnel de l’immobilier, nous tenons également compte de notre ressenti du marché dans notre analyse. Nous remarquons par exemple que les gens recherchent davantage d’espace. Qu’ils veulent investir dans leur habitation. La crise sanitaire a encore accru l’importance du logement. Ces facteurs auront un effet positif sur l’évolution des prix. Et en raison des taux bas et d’un climat boursier qui reste incertain, l’immobilier suscite toujours un fort intérêt chez les investisseurs.

SOPHIE LAMBRIGHS. A court terme – deux à trois ans -, je pense que les prix vont augmenter au rythme de l’inflation. Et cette inflation pourrait rester limitée. Je vois également plusieurs raisons fondamentales pour lesquelles la demande d’immobilier résidentiel va se maintenir. N’oubliez pas qu’un logement reste un produit indispensable. On a récemment beaucoup évoqué la question des biens et services “essentiels”, et je pense que tout le monde s’accordera à dire qu’un logement est un bien essentiel. Des phénomènes démographiques soutiennent également la demande de logements. La population continue à augmenter, les familles continuent à se rétrécir. Résultat : le nombre de ménages ne cesse d’augmenter. Enfin, je ne connais guère de villes ou communes où il est facile d’obtenir un permis. Le marché est sous pression partout, et je vois très peu de logements inoccupés.

L’immobilier résidentiel belge a bien résisté à la crise financière de 2008 et semble à présent sortir indemne de la crise sanitaire. Les nombreux Belges qui sont persuadés que les prix des maisons et appartements ne peuvent baisser ont-ils raison?

S.R. Comme Sophie l’a déjà dit: le logement est un besoin de base. Cela rend le marché immobilier résidentiel très solide. A cela s’ajoute le fait que tout le monde recherche du rendement. Tant que l’immobilier peut continuer à en fournir, il restera prisé des investisseurs. Si ce rendement disparaît pour l’une ou l’autre raison, les investisseurs se tourneront vers des alternatives et cela aura sans doute un impact sur les valorisations. Voyez ce qui est advenu du marché de l’immobilier commercial.

S.L. Il est important de regarder le passé, mais il n’apporte aucune garantie pour l’avenir. Par rapport à nos pays voisins, l’immobilier résidentiel belge a longtemps été sous-valorisé. Je n’affirme pas qu’il faut mettre Bruxelles sur le même pied que Paris, mais une comparaison avec des villes comme Lille, Lyon ou Amsterdam a du sens, et la conclusion sera inévitablement que les prix sont très bas ici. Ou l’étaient, car nous avons entre-temps comblé une grande partie de ce retard. La baisse des taux d’intérêt est une autre explication au fait que les prix de l’immobilier ont continué à augmenter en Belgique. Et tous les observateurs s’accordent à dire que les taux ne vont pas remonter avant longtemps. Mais la réalité est aussi qu’ils ne vont plus beaucoup baisser, pour la bonne et simple raison qu’ils ont déjà atteint un niveau plancher. Ce facteur favorable est donc en train de disparaître. Si une crise venait à frapper le marché résidentiel, nous ne pourrions pas l’atténuer en abaissant les taux.

Voyez-vous des alternatives intéressantes à l’appartement de rapport classique dans d’autres segments ou niches du marché immobilier?

S.R. L’immobilier logistique est le grand vainqueur de la crise sanitaire, mais en réalité, ce segment était déjà très performant avant la pandémie. Les investisseurs immobiliers peuvent y investir via des SIR comme WDP et Montea et des fonds spécialisés dans l’immobilier logistique, mais il s’agit alors d’investissements indirects. Les primes sur la valeur intrinsèque auxquelles se négocient ces SIR montrent une énorme confiance dans ces produits. Nous constatons également que le segment des logements étudiants n’est pas du tout cyclique. Malgré la crise sanitaire et les confinements, nous observons des taux d’occupation comparables aux années précédentes dans notre immobilier étudiant. L’accessibilité de notre enseignement supérieur n’y est pas étrangère. En période de crise, de nombreux étudiants choisissent de prolonger leurs études d’un an afin d’accroître leur chance sur un marché de l’emploi tendu

S.L. Je vois aussi une alternative intéressante dans les maisons de rangée. Surtout pour les investisseurs particuliers qui pourraient être effrayés par le système de copropriété. Il faut bien l’admettre : les assemblées générales de copropriétaires sont rarement les soirées les plus amusantes de l’année. L’avantage d’une maison de rangée est que vous êtes seul propriétaire et que vous ne devez pas tenir compte de copropriétaires. L’habitation de rangée avec un jardin, voire une petite cour, est redevenue attrayante depuis la pandémie. Un appartement est l’idéal pour de jeunes couples et des personnes isolées, mais ce n’est pas une forme d’habitat évidente pour un ménage avec de jeunes enfants. Les ménages avec enfants préfèrent souvent investir dans une maison et je pense que ce peut également être une niche intéressante sur le marché locatif.

Notre pays a de nouveau été condamné pour l’inégalité de traitement fiscal entre les revenus locatifs belges et étrangers. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a promis de ne pas toucher aux biens immobiliers en Belgique, mais des voix de plus en plus nombreuses appellent à ce que l’on impose l’immobilier belge sur la base des revenus locatifs réels.

S.R. Je suis curieuse de connaître l’issue de ce débat. Il faut absolument éliminer cette inégalité, mais je me demande si ce sera possible sans chasser les investisseurs plus âgés du marché, par exemple. La solution ne doit évidemment pas non plus mener à de nouvelles discriminations.

S.L. La grande complexité de notre fiscalité immobilière est peut-être un avantage. Le précompte mobilier est régi au niveau régional, l’impôt sur les revenus locatifs est surtout une matière fédérale et pour la TVA, nous devons tenir compte de l’Europe. La présence de ces différents niveaux de pouvoir fait qu’il est plus difficile de se mettre d’accord, mais permet également d’avoir toutes les tendances politiques autour de la table. De ce fait, on peut également s’attendre à ce que la solution tienne compte des sensibilités des différentes parties prenantes. Globalement, la pression fiscale sur l’immobilier ne va pas évoluer de manière fondamentale, mais une réforme pourrait avantager certains investisseurs et en pénaliser d’autres.

La crise sanitaire va-t-elle affaiblir le marché locatif ?

S.R. Aujourd’hui, un grand nombre d’entreprises – et donc, indirectement, une partie des revenus des ménages – sont maintenues artificiellement en vie par différentes mesures d’aide. Si celles-ci se sont abandonnées en 2021, des faillites sont inévitables et le chômage ne pourra qu’augmenter. Cela pourrait également conduire à davantage de problèmes de paiement chez les locataires.

S.L. Reste savoir dans quelle mesure l’Europe et la Belgique seront prêtes à atténuer cette crise économique – qui est vraiment dramatique pour certains secteurs, comme le tourisme et le commerce. A la différence des crises économiques précédentes, les entreprises et les ménages bénéficient d’énormes aides. Si elles sont maintenues, l’impact sur les revenus restera limité et le marché locatif sera peu touché. On peut distinguer deux groupes de locataires. Certains louent parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter. Mais parallèlement à eux, une partie du marché locatif s’adresse à des locataires financièrement solides qui optent délibérément pour la location pour la flexibilité qu’elle offre. Pensez aux étudiants, aux jeunes diplômés, aux expats… Pour ce groupe, il n’y a en fait aucun problème. Pour celui de locataires financièrement plus faibles, je pense que les mesures d’aide vont les soulager dans la plupart des cas. Chez Home Invest Belgium, j’ai également constaté que le paiement du loyer restait vraiment une priorité pour les gens.

S.R. Nous constatons également que malgré les taux bas, les jeunes ont au moins tendance à acheter. Ce groupe de locataires par choix est donc en augmentation. Vous avez également des gens qui ne peuvent pas acheter alors qu’ils disposent en fait d’un revenu tout à fait appréciable. Pensez aux célibataires et aux familles monoparentales. La réglementation plus stricte de la Banque nationale en matière de crédit hypothécaire fait qu’il leur est encore plus difficile de devenir propriétaire.

S.L. Il y a également une grande différence entre le marché locatif dans les grandes villes comme Bruxelles et Anvers et le reste du pays. A Bruxelles, nous recensons 60% de locataires. Cette part est assez stable depuis une dizaine d’années et pourrait donc correspondre à une espèce de plafond. Mais en dehors des grandes villes, la part des locataires est encore très faible. On peut se demander si ce phénomène des jeunes qui optent pour la flexibilité de la location va prendre de l’ampleur. Ces couples à deux revenus sans enfants vont-ils continuer à louer quand ils auront des enfants ? Où vont-ils opter pour un logement en dehors de la ville ? Et y trouveront-ils un logement à louer ? Car dans ces régions, le marché locatif est encore assez limité…

Il faut y ajouter l’intérêt croissant des investisseurs institutionnels pour l’immobilier résidentiel belge. Pourraient-ils évincer du marché l’investisseur particulier ?

S.R. Pour certains projets, ce sera effectivement le cas. Pour un promoteur, la vente à un investisseur institutionnel apporte davantage de sécurité. Elle lui permet de passer plus rapidement au projet suivant. D’un autre côté, elle a également un impact négatif sur les marges du promoteur. Les développeurs de projets vont donc tenter de trouver un équilibre entre des projets vendus à l’unité à des particuliers et des projets qu’ils peuvent écouler en une fois auprès d’un investisseur institutionnel.

S.L. Les investisseurs institutionnels ciblent un seul type de produit: des immeubles assez grands, et relativement récents. Le marché secondaire reste donc entièrement disponible pour l’investisseur particulier. Idem pour les plus petits projets. Les investisseurs institutionnels sont également très sélectifs concernant la situation. Dans notre pays, ils ne s’intéressent qu’à une poignée de villes : Bruxelles, Anvers peut-être et éventuellement Gand ou Liège.

La durabilité et la problématique du climat sont-elles d’autres thèmes dont les investisseurs immobiliers particuliers ont intérêt à tenir compte ?

S.R. Absolument. Ne serait-ce qu’avec le durcissement des normes. Mais je m’attends également à ce que les banques imposent des exigences en matière de durabilité lors de l’octroi d’un crédit hypothécaire. Elles auront ainsi la garantie du caractère future-proof de l’immeuble sur lequel elles établissent une hypothèque. Et cette évolution s’inscrirait également dans le profil de durabilité que veulent adopter les institutions financières. Par ailleurs, il me semble assez logique que les autorités imposent une espèce de score EPC minimal. En matière de durabilité, il n’y aura pas de retour en arrière.

S.L. Je suis totalement d’accord. L’Europe l’a encore réaffirmé clairement. J’ai également la conviction qu’une réglementation sera adoptée à court terme qui interdira d’encore louer des immeubles avec un score énergétique médiocre. C’est déjà le cas au Royaume-Uni.

Propos recueillis par Laurenz Verledens

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