L’approche expérimentale couronnée par le prix Nobel

Esther Duflo et Abhijit Banerjee © isopix

Le prix Nobel d’économie décerné lundi met en lumière une branche spécifique de la discipline, à savoir l’économie expérimentale. Le trio composé d’Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer a été récompensé pour ses travaux sur la réduction de la pauvreté dans les pays en développement.

L’académie royale des sciences de Suède, qui a décerné le prix, a souligné l'”approche expérimentale” des économistes. Elle montre ainsi que l’économie n’est pas seulement une question de modèles théoriques, mais que les preuves empiriques sont tout aussi importantes pour étayer la base théorique.

Spécialisé dans la réduction de la pauvreté, Patricio Dalton enseigne l’économie expérimentale à l’université de Tilbourg. Il se réjouit de la reconnaissance que le prix représente pour cette branche singulière de l’économie.

Qu’est-ce qui rend le travail d’Esther Duflo, d’Abhijit Banerjee et de Michael Kremer si spécial ?

PATRICIO DALTON. “Le fait qu’ils aient démontré au moyen d’expériences les effets causaux d’une certaine politique de lutte contre la pauvreté. Par ailleurs, ils n’effectuent pas ces études en laboratoire, mais sur le terrain. Les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont également reçu le Nobel d’économie, mais pour des expériences qu’ils ont menées notamment avec des étudiants. Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer ont quant à eux réalisé des expériences sur le terrain avec différentes possibilités d’action pour voir lesquelles parviennent le mieux à réduire la pauvreté.”

Pouvez-vous illustrer cette approche par un exemple ?

PATRICIO DALTON. “Nous avons par exemple étudié la raison pour laquelle les petits commerçants indonésiens ne sont pas parvenus à se développer ni à augmenter leurs marges bénéficiaires. Nous avons développé pour eux du matériel pédagogique basé sur leurs propres contributions et expériences. Notre travail a ensuite consisté à voir quelle était la meilleure façon de leur fournir ce matériel, par exemple sur papier ou sur vidéo, puis à voir où ils obtenaient les meilleurs résultats.”

L’économie expérimentale s’appuie-t-elle sur des méthodes issues d’autres disciplines ?

PATRICIO DALTON. “Certainement. Nous utilisons des méthodes issues de la médecine, de la psychologie ou de la biologie, comme les essais randomisés contrôlés (randomised controlled trials -rct’s-, NDLR). La difficulté consiste à appliquer ces méthodes dans un contexte quotidien, avec des personnes qui ignorent qu’elles participent à un tel essai. Réaliser cela dans un environnement de laboratoire avec, par exemple, des étudiants, comme l’a fait Daniel Kahneman, constituait un premier pas. L’appliquer ensuite sur le terrain à la manière d’Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer représente une nouvelle étape importante. D’autant plus qu’ils l’ont fait dans les pays en développement.”

Pourquoi ?

PATRICIO DALTON. “Ces expériences et tests de contrôle sont plus difficiles à appliquer dans un contexte qui est déjà problématique, comme dans les régions pauvres et les pays en développement. Ce faisant, ils ont directement testé l’impact de certaines théories sur la politique de lutte contre la pauvreté.”

Ces tests de contrôle représentent-ils le nouveau standard de la recherche en économie ?

PATRICIO DALTON. “Un débat est toujours en cours dans le domaine des sciences économiques sur la meilleure façon de réfléchir à certains problèmes et la meilleure base sur laquelle établir des preuves économiques : de simples données ou des expériences. Je pense que les deux sont complémentaires. Ce qui est amusant, c’est que le lauréat du Nobel 2015, Angus Deaton, voit moins d’avantages dans les expériences. Le fait que le prix de cette année ait été décerné à un courant opposé montre qu’on s’y intéresse à nouveau. “

Quels sont les défis de l’économie expérimentale ?

PATRICIO DALTON. “Nous devons nous employer davantage à mesurer les effets à long terme des options de la politique que nous examinons. Nous menons actuellement des expériences pour en estimer les effets dans un ou deux ans. Le défi est de mesurer comment une politique affectera les populations dans dix à quinze ans, mais aussi, plus globalement, de déterminer si elle touchera les personnes qui ne font pas partie du groupe expérimental.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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