Les 10 travaux de Di Rupo: le marché de l’énergie (3/10)

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“Si l’on n’investit pas sur le long terme, il n’y a pas de court terme”. Nos gouvernements font rarement preuve de vision à long terme en matière d’énergie et le gouvernement Di Rupo ne fait pas exception à la règle.

Même s’il est injuste de prétendre que le gouvernement fédéral n’ait pas entrepris d’actions méritoires sur le marché de l’énergie, les questions les plus difficiles ont toujours été remises, entraînant le mécontentement d’un nombre croissant d’entreprises industrielles face au désavantage compétitif qu’elles subissent en matière de prix d’énergie.

L’énergie, et surtout l’électricité, constituent l’un des grands dossiers sociétaux de ce siècle. Les nouvelles technologies, dont l”énergie renouvelable constitue l’un des éléments les plus importants, modifient le marché de l’énergie qui sera méconnaissable d’ici la fin du siècle. À certains moments, l’énergie durable remplit plus de quarante pour cent des besoins. Les possibilités de stockage d’énergie constituent une partie de la solution, tout comme les réseaux intelligents.

L’intérêt des développements ne peut être sous-estimé. Dans les années cinquante et soixante, la Belgique a réussi à attirer de grandes industries, et notamment le secteur pétrochimique. Ce succès repose sur notre situation centrale en Europe occidentale et sur la productivité de la population, mais surtout sur les prix avantageux de l’énergie, qui à cette époque pesaient déjà très lourdement sur les dépenses de ces entreprises.

Plan d’équipement

On peut souligner que pour la première fois, le plan d’équipement du secrétaire d’État à l’énergie Melchior Wathelet (cdH) contient l’explication de la vision du gouvernement belge à l’égard de la problématique d’énergie. Le document part d’un avenir exempt d’énergie nucléaire et propose l’énergie durable et la production de gaz comme alternatives à notre approvisionnement en énergie.
Malheureusement, la vision est une chose. Une stratégie basée sur cette vision, un plan d’approche et son implémentation en est une autre. Comme l’énergie renouvelable relève des compétences régionales, une grande partie du plan ne s’applique même pas au gouvernement fédéral.

En outre, les méthodes de stimulation de l’énergie verte dans les trois régions et la production fluide de nouvelles législations et réglementations en matière d’énergie tout court, entraînent des frais inutiles pour toutes les entreprises d’énergie opérant en Belgique.
Même si celui-ci relève sans doute plus d’un conte de fées moderne, le plus grand défi des gouvernements devrait être l’établissement d’une réglementation logique globale. C’est en tout cas un défi que le gouvernement actuel n’a pas réussi à relever.

Les coûts restent également très imprécis. Même si Wathelet avait choisi 100% d’énergie nucléaire ou 100% de charbon, quoi qu’il en soit il faudrait renouveler la quasi-totalité de notre parc de production vétuste et relativement polluant. Nous passons sous silence la discussion sur les risques de subsides de nouvelles centrales de gaz et des dangers et des implications parce qu’elles nous mèneraient trop loin. Il s’agit notamment d’énergie verte qui devrait au moins bénéficier du même niveau de subsides. Les prix du marché devraient donc faire augmenter le soutien de l’état.

Quelle que soit l’approche choisie, la Belgique devra faire face à de lourds investissements, sans même parler les réseaux intelligents. L’énergie nucléaire – y compris l’importation de France – couvre toujours plus de la moitié de notre production. Remplacer celle-ci coûtera très cher. En outre, le choix d’une demie “monoculture” implique que les prix de l’énergie belges dépendront très fort de l’évolution du prix du gaz : volatilité garantie avec les mêmes effets sur l’inflation et la compétitivité de notre pays.

Pourtant, le Plan d’exécution stipule que le prix de l’énergie ne peut pas trop augmenter pour ne pas mettre l’industrie lourde en difficulté. En outre, celle-ci souffre de la concurrence avec les États-Unis. Là-bas, la montée du gaz de schiste a fortement fait baisser la facture d’énergie de plusieurs industries dans le secteur chimique.
Plus d’un observateur, dont le leader de GDF-Suez, Gérard Mestrallet, part du principe que la combinaison impossible d’investissements de remplacement et de prix d’énergie élevés forcera le gouvernement en 2025 à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires les plus récentes. Avec l’avantage supplémentaire de prolonger l’intérêt nucléaire.

Cela nous ramène à notre point de départ, car la perspective de concurrencer avec de l’énergie nucléaire meilleur marché produite par des centrales amorties n’incite aucune entreprise d’utilité publique à investir dans la construction de nouvelles centrales électriques, ce qui ne diminue pas le danger de black-out durant les années à venir.

Le Plan d’exécution constitue une première étape louable. Les conséquences sont moins claires. Comment la Belgique gérera-t-elle le gaz de schiste si des pays tels que la Pologne ou le Royaume-Uni investissent dans ce type d’énergie ? Les Pays-Bas ont planifié leurs premiers forages exploratoires à la fin du mois.

L’énergie pourrait servir à attirer de nouveaux investissements à condition que nous soyons pionniers en matière de réseaux intelligents et de stockage d’énergie. S’il est fort exagéré de prétendre que le gouvernement Di Rupo a gâché ses chances, il aurait pu fournir davantage d’efforts dans ce domaine.

Particuliers

En revanche, le gouvernement Di Rupo et le ministre de l’Économie, des Consommateurs, Johan Vande Lanotte (sp.a) peuvent se féliciter d’avoir réussi à faire bouger le marché résidentiel. Bien que tous les éléments pour motiver les particuliers à changer de fournisseur d’énergie soient présents depuis un certain temps, ce changement ne s’est fait qu’à grande échelle qu’après l’imposition d’un gel des prix début 2012 aux entreprises d’utilité publique.

Tout à coup, les particuliers se sont réveillés. Ils ont vérifié leurs factures, effectué les tests du CREG, consulté les sites de comparaisons de tarifs, souscrit aux achats groupés et sont passés à EDF-Luminus, Eni, Essent, Lampiris, Eneco ou encore Elegant.
Electrabel affiche une part de marché de 43,07% pour l’électricité et de 39,98% pour le gaz. Bien que la descente en flammes d’Electrabel soit indubitablement teintée électoralement, il est sain que plusieurs acteurs couvrent une part de marché de plus de 10 pour cent.

Pour les grandes entreprises, et certainement pour les grands consommateurs d’énergie, la liberté de choix demeure relativement limitée. Un grand nombre d’entreprises ont installé des installations de cogénération et par l’initiative Blue Sky on a réussi à obtenir de meilleures conditions pour un groupe limité. Cependant, l’immense majorité, qui ne peut se permettre de se retrouver sans courant, ne peut faire autrement que de s’adresser à une entreprise qui dispose d’un parc de production assez grand. Jusqu’à nouvel ordre, cette société reste Elactrabel, qui contrôle environ 70% de la production d’électricité.

Entre-temps, les plans du gouvernement pour y remédier sont enfermés dans un congélateur scellé. La dernière tentative a été la vente aux enchères d’une capacité de production de 1000 MW, consentie par Electrabel en échange de la durée de vie des plus anciennes centrales nucléaires. Début juillet, il s’est avéré lors de l’annonce du plan de l’équipement de Wathelet, que les enchères ont été supprimées, car considérées comme “juridiquement difficiles”.

Cela ne signifie pas que le gouvernement laisse Electrabel entièrement libre de ses mouvements. Il a augmenté l’intérêt nucléaire, la contribution payée par Electrabel et EDF-Luminus pour prolonger l’ouverture des plus anciennes centrales nucléaires, à 550 millions d’euros.

Arbitre

Cette contribution illustre aussi la faiblesse du marché belge de l’énergie. Le régulateur fédéral d’énergie CREG a calculé que cette contribution devrait faire au moins le double. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que le gouvernement suive l’instance indépendante chargée de surveiller les marchés de l’énergie, il a choisi de commander une étude auprès de la Banque Nationale, une décision qui mine la crédibilité de la CREG.

Luc Huysmans

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